Intervention de Patricia Chatenay-Rivauday

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 20 octobre 2022 à 15h05
Audition publique sur la chlordécone : conséquences sur la santé humaine et répercussions sociales aux antilles

Patricia Chatenay-Rivauday, présidente de l'association Vivre :

L'association Vivre, ses adhérents, ses partenaires et moi-même vous remercions de nous donner ce temps d'échange et de partage sur notre vision de la situation actuelle en Guadeloupe et en Martinique.

Je viens dans cette instance relayer humblement la voix de nos adhérents, de nos partenaires, dont le collectif martiniquais Lyananj pou dépolyé Matinik représenté par André Edouard, de nos familles, de nos parents et amis, plus particulièrement de nos proches actuellement en soins pour des maladies métaboliques, et, bien entendu, de nos défunts, de l'ensemble des victimes inoubliables que nous avons vu souffrir de maladies métaboliques. Nous portons un regard particulier sur les femmes ouvrières agricoles qui ont été oubliées par l'État dans le cadre des fonds d'indemnisation. Dans leur chair et leurs pensées, elles vivent une forme de discrimination.

L'OMS souligne que la santé environnementale comprend les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, déterminés par des facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement. La santé environnementale concerne également la politique et les pratiques de gestion, de résorption, de contrôle et de prévention des facteurs environnementaux susceptibles d'affecter la santé des générations actuelles et futures. Nous vivons précisément ce type de situation depuis plus de 40 ans, avec le scandale de la contamination et de la pollution sur les territoires de Guadeloupe et de Martinique.

En Guadeloupe et en Martinique, des familles entières, des personnes qui n'ont jamais utilisé aucun pesticide, ont perdu des parents, souffrent avec des parents en cours de traitement, et auront probablement encore à subir des impacts psychosociaux et économiques scandaleux. Le peuple meurt en silence, pour avoir été exposé depuis longtemps et insidieusement à un pesticide et à des cocktails de pesticides terriblement dangereux et mortifères. Malgré les efforts des dernières années, à travers les différents plans chlordécone, à travers des mobilisations, à travers une forme de prise de conscience, même si elle a été infantilisante jusqu'à ce jour, il reste urgent d'entendre la souffrance des peuples et de parer à une explosion sociale qui sera probablement terrible. La conjonction de l'ensemble des souffrances, des inégalités et des injustices fera que les personnes touchées et leurs proches n'accepteront plus en effet cette situation.

Le sentiment de colère, d'injustice, de défiance, de génocide latent dont certains parlent envers les peuples de Guadeloupe et de Martinique, constitue une cocotte-minute dont il faut rapidement retirer la soupape. Les manifestations pacifiques que nous accompagnons peuvent à tout moment laisser cours à des accès de violence. Certes, nous ne pouvons pas soutenir ces excès. Nous attirons néanmoins l'attention de tous sur la répression, sur les arrestations et sur le manque de dialogue avec certains qui souffrent et ne trouvent de solution pour communiquer que dans des gestes illégaux.

Des personnes âgées ou des personnes qui n'ont toujours eu que leurs jardins créoles, qu'elles ne peuvent plus exploiter à cause de la chlordéone, subissent des dépenses nouvelles surpassant leurs budgets. De même, du fait de la présence de chlordécone dans l'eau, des familles entières procèdent à des dépenses supplémentaires d'achat de bouteilles d'eau. Les situations actuelles de ces personnes s'en trouvent fortement dégradées.

Les ouvriers agricoles, les ouvrières agricoles, les agriculteurs, les maraîchers, les éleveurs, les pêcheurs, les aquaculteurs vivent, depuis plusieurs années, un désastre économique. Les faillites se multiplient. Les familles s'effondrent. Le nombre de divorces augmente. Les activités professionnelles périclitent. Les endettements se font légion. Les difficultés familiales sont innombrables. Des étudiants ont dû abandonner leurs études. Certes, des efforts sont accomplis par le biais du plan chlordécone, d'un montant de 92 millions d'euros sur la période 2021-2026, mais pour deux territoires qui totalisent, en moyenne, près de 790 000 âmes. Le rapport aboutit ainsi à un montant de 19,40 euros par habitant et par an. Ce monde est-il sérieux ? Est-ce qu'avec 19,40 euros par Martiniquais et Guadeloupéen par an nous couvrons les besoins qui doivent être pris en compte dans le cadre de ce scandale ?

S'il existe des solutions, la communication, les modes d'information, les modalités d'apprentissage sont, de surcroît, actuellement totalement insuffisants. Des personnes ont besoin d'être accompagnées pour s'assurer que les produits achetés, plantés ou consommés sont sains. Des personnes vivent des peurs. L'accompagnement psychologique des personnes reconnues comme contaminées doit notamment être revu. Certaines personnes sont accompagnées, quand d'autres ne le sont pas. Les impacts psychosociaux doivent être urgemment pris en compte, avec une forme de communication et d'accompagnement jusqu'aux personnes et à leurs domiciles. Certaines personnes n'ont plus la force en effet de se rendre à l'ARS ou dans les pharmacies. Il est urgent enfin de sacraliser les terres qui n'ont pas été contaminées. Il s'agit d'éviter les transbordements de terre entre territoires contaminés et territoires qui ne le sont pas.

L'accompagnement des professionnels est capital. Il doit être financier. Il doit permettre de reclasser ces professionnels. Il doit également être psychologique. Il doit permettre aux personnes de s'exprimer librement, sans honte de leur vécu, car beaucoup de victimes culpabilisent de leur situation.

L'association Vivre a proposé la création d'une commission « Justice et vérité », qui apporterait la pédagogie et l'accompagnement nécessaires. Il faut que le fonds d'indemnisation ne soit pas uniquement consacré aux maladies professionnelles mais à toutes les maladies, y compris celles touchant les femmes. Nous devons en outre penser un projet économique écologique différent, notamment avec la participation des politiques, des économistes et des chercheurs de la Guadeloupe et de la Martinique. L'ensemble des décisions ne doivent plus en effet être prises au niveau national. Les sciences sociales et humaines, de leur côté, sont capitales, comme l'est la mise en place d'une démocratie participative à tous les niveaux (collectivités, éducation nationale, cellules familiales et associations) pour restaurer la confiance et avancer dans la résorption du scandale que nous vivons. La communication doit pouvoir être faite au niveau des familles et des quartiers avec des ambassadeurs guadeloupéens et martiniquais formés en amont.

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