Intervention de Bernard Cazeau

Réunion du 24 juin 2009 à 14h30
Réforme de l'hôpital — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Bernard CazeauBernard Cazeau :

Il vous faut entendre l’inquiétude des personnels hospitaliers que l’on se propose de réorganiser sans ménagement, pour transférer leurs missions à d’autres opérateurs.

Il vous faut admettre que les usagers du système de soins sentent que notre système se délite peu à peu, la carte de crédit se substituant à la carte vitale.

Il vous faut enfin écouter les attentes des élus locaux qui n’ont pas envie que se créent demain des déserts sanitaires, abandonnés des professions libérales de santé et des pouvoirs publics.

Faute d’avoir fondé votre approche sur ces problèmes essentiels, vous avez produit une loi partielle et détachée des enjeux du moment. En un mot, vous avez renoncé au grand texte d’orientation, de financement et d’organisation, dont le système de santé français a tant besoin, pour ne traiter qu’une partie du sujet : le volet administratif de l’organisation des soins.

Oui, madame la ministre, nous attendions une loi ambitieuse, ouvrant la voie du renforcement et de la pérennité de notre système de soins, et nous obtenons en retour un texte bancal qui réorganise l’administration de la santé et règle quelques questions subalternes, mais dans lequel les vrais problèmes ne sont bien souvent qu’effleurés et non pas réellement traités.

Les parlementaires des deux assemblées l’ont d’ailleurs bien compris puisqu’ils ont multiplié par trois le nombre d’articles que comptait le projet de loi, et cela malgré les promesses de textes futurs relatifs tant au financement qu’à la santé publique et à la santé mentale : en ce qui concerne le financement, le Gouvernement nous soumettra bien sûr, puisque c’est obligatoire, un projet de loi de financement de la sécurité sociale ; mais quand examinerons-nous les autres textes ?

À quoi sommes-nous en effet parvenus au terme de six mois de travaux et de controverses ?

En matière de gouvernance de l’hôpital public, le Sénat a su faire preuve d’écoute à l’endroit des acteurs de la santé, et le Gouvernement a fait machine arrière – certes à contrecœur, et je constate qu’il tente hélas ! encore, à travers un dernier amendement à l’article 6, d’imposer ses vues –, revenant sur ses intentions les plus caricaturales qui conduisaient à calquer le fonctionnement de l’hôpital sur le modèle militaire…

De la même façon, le caractère facultatif de l’adhésion à une communauté hospitalière de territoire apparaît comme une modification opportune, conforme au souci de préserver la liberté de gestion des établissements hospitaliers, même si nous ne sommes pas dupes des moyens de pression à la disposition des futures ARS en ce domaine.

Cependant, les menues concessions que l’on recense restent bien dérisoires face aux grands enjeux que ce texte a soulevés.

Tout d’abord, s’agissant de la garantie des moyens et du champ d’intervention de l’hôpital public, rien n’est venu entraver la généralisation des missions de service public au secteur privé lucratif, laquelle constitue à nos yeux une régression discutable.

Il n’y a plus de domaine réservé des financements publics ! Il y avait des accréditations au secteur privé, des possibilités de subvention ; il y aura désormais le financement intégral des services médicaux.

Nous savons ce que cela cache : vous vous dotez là d’un outil juridique qui permettra de perfuser la partie la moins rentable de l’activité des établissements privés. Cela porte un nom, madame la ministre : la socialisation des pertes.

Les cliniques françaises perdent en rentabilité et attendent un coup de pouce de la collectivité. Par le biais du contrat de service public, elles l’auront, mais, dans le même temps, les profits, eux, resteront privés.

Le mélange des genres entre secteur privé lucratif et argent public n’annonce selon nous rien de bon.

Concernant l’accès aux soins, le texte est une déception : en matière de démographie médicale, les mesures sont renvoyées à plus tard ; le numerus clausus régionalisé mettra beaucoup de temps à produire ses effets ; la mesure coercitive du contrat santé solidarité est renvoyée à l’après-2012 ; le contrat d’engagement de service public en contrepartie d’une bourse universitaire produira ses effets sous dix ans... Quant aux autres mesures incitatives, elles existent déjà.

Sur la question des discriminations dans l’accès aux soins, votre position frôle l’hypocrisie. En refusant l’usage encadré du testing, vous continuez de considérer que ce problème n’en est pas un. C’est là une curieuse posture : la discrimination est réprouvée dans les mots, mais ne peut être testée dans les faits ! Cela revient un peu à définir des limitations de vitesse sans les assortir de contrôles des excès potentiels... À quoi bon se draper dans des principes protecteurs si aucun moyen n’est mis en place pour évaluer leur application ? Le testing est aux yeux de certains une marque de suspicion ; nous y voyons plutôt un moyen de dissuasion.

S’agissant des dépassements d’honoraires, c’est le mutisme le plus complet ! Renvoyée à une négociation ultérieure entre les professionnels et l’assurance maladie, la question est pour ainsi dire balayée d’un revers de main. Même les parlementaires de votre majorité ont dû se rendre à l’évidence, madame la ministre : le Gouvernement fait peser une véritable chape de plomb sur ce débat. Nous connaissons vos raisons, nous savons qui a votre oreille. Je vous pose cependant la question : a-t-on encore le droit, en République, de contrarier quelques intérêts privés, ou bien l’argent libre est-il devenu la mesure de toute chose ?

J’évoquerai enfin le titre IV et l’avènement des ARS, qui s’annonce difficile.

Par sagesse, il est question de reporter la mise en place définitive de cette gigantesque administration à juillet 2010. Quel aveu d’impréparation ! On découvre soudainement que la fusion d’administrations différentes ne va pas de soi et qu’il faudra examiner les conditions d’évolution des agents. Bref, on découvre l’existence d’un statut de la fonction publique !

Plus généralement, par-delà les vicissitudes administratives, ce report illustre la complexité des ARS, qui sont de véritables mastodontes. Leurs règles hiérarchiques comme les modalités des délégations de pouvoir devront être codifiées avec la plus grande précision.

Les ARS naîtront dans la douleur. Nous ne sommes pas contre la coordination entre soins libéraux, secteur hospitalier et secteur médico-social, mais, pour nous, coordonner n’est pas régenter. Force est d’admettre que rien n’a été prévu pour limiter l’autoritarisme administratif du directeur de l’ARS, qui disposera de tous les pouvoirs sur les établissements placés sous sa tutelle.

Le drame de votre texte, madame la ministre, c’est son anachronisme : à peine en terminons-nous l’examen que les mauvaises nouvelles consacrent ses limites. La commission des comptes de la sécurité sociale vient en effet d’annoncer un record historique, le déficit s’établissant à 20, 1 milliards d’euros en 2009, soit un doublement par rapport à 2008. La Cour des comptes évoque de son côté un déficit de 30 milliards d’euros en 2010

Dans cet effondrement, c’est la branche maladie qui a le déficit le plus important, représentant 10 milliards d’euros à elle seule.

En réaction, le Gouvernement n’a trouvé pour seule parade que de communiquer pour la énième fois sur la chasse aux abus en matière d’arrêts de travail pour maladie. Cet artifice de communication ne tient pas, car nous savons toutes et tous ici que c’est le vieillissement de la population active qui est en cause et que les arrêts de travail pour maladie sont utilisés par les travailleurs d’un certain âge, parfois d’ailleurs avec la complicité de leurs employeurs.

Il n’y a désormais plus de diversion possible, et je ne pense malheureusement pas que ce texte vous sera d’un réel secours pour redresser la barre. Vous aurez sans doute ainsi compris, madame la ministre, quelle position adoptera le groupe socialiste lors du vote de ce projet de loi !

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