Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui Mme Christel Heydemann, nouvelle directrice générale du groupe Orange, accompagnée de M. Nicolas Guérin, secrétaire général du groupe. Madame, vous avez pris vos fonctions au mois d'avril dernier, après le départ de M. Stéphane Richard, et je tiens à souligner que vous êtes la première femme à diriger le groupe Orange et la deuxième femme à diriger une entreprise du CAC 40.
Si Orange est avant tout connu pour ses activités d'opérateur d'infrastructures et de réseaux de télécommunications, le groupe est désormais multiservice, développant des activités de services financiers, bancaires et numériques à destination des particuliers et des entreprises. Avec un chiffre d'affaires estimé à 42,5 milliards d'euros en 2022 et 271 millions de clients présents dans vingt-six pays, la croissance nouvelle du groupe est désormais davantage soutenue par ses activités dans d'autres pays européens, en Afrique et au Moyen-Orient.
Alors que le groupe poursuit la diversification de ses activités et son expansion géographique, il semble pourtant que le temps soit venu pour Orange de se recentrer sur son coeur d'activité, à savoir son rôle d'opérateur de réseaux en France.
Le secteur des télécommunications est aujourd'hui à une période charnière avec l'extinction programmée, à l'horizon 2030, du réseau cuivre, dont Orange est l'opérateur historique, et l'accélération du développement des réseaux de fibre optique dont la généralisation est prévue sur l'ensemble du territoire d'ici à 2025, c'est-à-dire « demain ».
Dans cette période transitoire, les inquiétudes et les mécontentements des usagers, des entreprises et des élus locaux sont multiples. Alors que plus de 20 millions de personnes utilisent encore le réseau cuivre en France, principalement pour la téléphonie fixe et l'ADSL dans les zones peu denses, mais également pour le traitement des appels d'urgence, cette transition représente un triple défi industriel, technologique et social pour notre pays.
D'ici à 2025, on estime que 670 000 foyers ne disposeront pas de la fibre optique en raison de la complexité de leur raccordement aux réseaux, alors même que l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) a fixé un critère de 100 % de locaux raccordables à la fibre optique sur le territoire d'une commune pour pouvoir fermer le réseau cuivre. Quelles seront les précautions et les mesures concrètes prises par Orange pour effectuer les raccordements complexes nécessaires et bien informer ses abonnés du coût financier réel de ces raccordements, une partie pouvant être à la charge directe des particuliers ? La transition numérique ne doit laisser personne de côté et, au Sénat, nous sommes particulièrement soucieux d'assurer une connectivité « jusqu'au dernier mètre » et « jusqu'au dernier abonné ».
La période actuelle exacerbe également les rivalités et les tensions entre opérateurs, parfois au détriment de la qualité de service et du déploiement des réseaux, mais aussi d'une juste concurrence dans le secteur des télécommunications.
Les autres opérateurs ont d'ores et déjà fait part de leurs craintes que la fermeture du réseau cuivre constitue un avantage concurrentiel permettant à Orange de proposer ses propres offres commerciales. Quelles sont les garanties apportées par Orange pour maintenir un juste niveau de concurrence lors du déploiement de la fibre optique ?
Les autres opérateurs contestent également les perspectives de hausse des tarifs de dégroupage qu'ils versent à Orange pour l'utilisation de son réseau cuivre, dont l'entretien doit quand même être maintenu annuellement malgré un démantèlement du réseau prévu à partir de 2030. L'opérateur Bouygues Télécom a même récemment porté plainte contre Orange à ce sujet. Comment justifier la hausse des tarifs de dégroupage et garantir un minimum d'entretien et de qualité du réseau en cuivre pour les autres opérateurs qui l'utilisent, dans un souci d'assurer une concurrence juste et équitable ?
En parlant d'équité, il y a un autre sujet sur lequel le secteur des télécommunications nous semble défavorisé, celui de la contribution des plateformes au déploiement des réseaux de télécommunications.
En 2020, les opérateurs d'infrastructures avaient investi 12,6 milliards d'euros, essentiellement pour assurer le déploiement des réseaux très haut débit, de la fibre optique et des premières installations 5G. Or, plus de 50 % du trafic internet provient de cinq entreprises, principaux fournisseurs et diffuseurs de contenus.
Le montant annuel d'investissements supplémentaires que devront réaliser les opérateurs d'ici à 2030 pour s'adapter à la hausse du trafic est estimé à 10 milliards d'euros. Ce besoin croissant d'investissements soulève des enjeux de souveraineté, dans la mesure où les grandes entreprises américaines du numérique sont les principales bénéficiaires de ces investissements auxquels elles ne contribuent pas financièrement. De surcroît, cet investissement privé est largement soutenu par des investissements publics nationaux et européens.
Dans ce contexte, la commission des affaires économiques du Sénat s'est exprimée en faveur de l'instauration d'une juste contribution des plateformes numériques au financement des réseaux de télécommunications, dans le cadre de notre récent rapport d'information sur la souveraineté numérique dont j'étais rapporteur avec mes collègues Amel Gacquerre et Franck Montaugé. Depuis, l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques (Orece), tout comme plusieurs régulateurs nationaux, s'est exprimé en défaveur de l'instauration d'une telle contribution, notamment au regard du respect de la neutralité d'internet. Nous serions curieux de vous entendre également sur ce point.