Je vous remercie de me recevoir pour vous présenter les grandes réalisations d'Orange et vous présenter les défis importants qui sont encore devant nous collectivement.
Cette audition est pour moi une première, un peu plus de six mois après m'être vu confier par le conseil d'administration d'Orange l'éminente mission de piloter le premier opérateur français.
La France peut être fière de son opérateur historique, car parmi les opérateurs de cette catégorie seuls trois sont encore leaders en Europe : Deutsche Telekom en Allemagne, Telefónica en Espagne et Orange en France.
Fort de ses 136 500 salariés dans le monde, dont 75 000 en France, Orange est aujourd'hui présent dans vingt-six pays, huit en Europe et dix-huit en Afrique et au Moyen-Orient. Nous y opérons au service de 286 millions de clients particuliers. En outre, notre filiale Orange Business Services accompagne nos entreprises clientes partout dans le monde. En 2021, nos activités ont généré un chiffre d'affaires de 42,5 milliards d'euros, en très légère croissance de 0,5 % par rapport à 2020.
Avant de prendre le temps de répondre à vos questions, je souhaiterais dans un premier temps revenir sur les difficultés que nous rencontrons en tant qu'opérateur télécom face aux contraintes réglementaires, au niveau européen comme au niveau national. Je vous exposerai ensuite en quoi Orange, « opérateur citoyen » et locomotive de l'aménagement numérique du territoire en France, se trouve aujourd'hui dans une situation intenable face aux injonctions contradictoires auxquelles nous devons faire face.
En dépit d'une grande résilience du secteur qui n'est plus à démontrer, les disruptions majeures que nous avons connues et le retard des régulateurs européens et français pour s'adapter à ce nouvel environnement nous placent désormais à la croisée des chemins.
Les trente dernières années ont été marquées par une succession de disruptions majeures dans le secteur des télécoms, de l'ouverture à la concurrence jusqu'à la naissance, puis la croissance ultrarapide d'internet et de nouveaux services dits over the top (OTT).
Les besoins en matière de connectivité connaissent aussi une révolution sur le marché à destination des entreprises. Quels que soient leur taille et le secteur d'activité, nos clients se détournent des solutions traditionnelles de téléphonie au profit de nouveaux services, soutenus par des logiciels et des solutions informatiques, utilisant l'infrastructure réseau sans en supporter les investissements nécessaires.
La régulation ne semble pas avoir suffisamment pris en compte ces différentes lames de fond et leurs impacts irréversibles sur les télécoms liés à l'explosion de l'économie numérique. Elle continue de se concentrer sur les opérateurs, ignorant les transferts de valeur qui s'opèrent vers de nouveaux acteurs.
Bien sûr, l'innovation est la première raison du succès fulgurant de ces services. Ils se sont cependant aussi imposés à la faveur d'un modèle abusivement dit « de gratuité », très rémunérateur pour les services OTT et les grandes plateformes, assis sur deux piliers : le transfert et l'exploitation des données personnelles des utilisateurs finaux, ainsi que le transfert des coûts de distribution des services des OTT vers les opérateurs.
Les impacts pour notre activité sont doubles. Commercialement, nous devons résister à l'arrivée sur le marché de nouvelles offres agressives et consommatrices de réseau, tandis que nous en supportons par ailleurs financièrement une partie des coûts. Le résultat est une situation structurellement déséquilibrée entre les opérateurs et les fournisseurs de services numériques qui offrent les mêmes services sans être soumis aux mêmes règles.
Alors que nos réseaux n'ont jamais été aussi vitaux, nous nous retrouvons aujourd'hui dans une situation paradoxale qui met en péril l'investissement dans les infrastructures et la qualité de service.
Permettez-moi de revenir plus en détail sur l'équation financière du groupe Orange en France.
Nous partageons avec vous l'objectif ambitieux d'apporter à toutes les Françaises et tous les Français une connexion à des réseaux à très haut débit (THD) modernes, avec une qualité de service adéquat. Nos réseaux THD sont sans équivalent en Europe, je crois qu'il faut le dire et que nous pouvons collectivement être fiers de la tâche accomplie.
Chez Orange, la mobilisation des équipes sur la question de la fibre optique est exceptionnelle partout en France depuis plusieurs années. Nous déploierons dans quelques semaines notre 20 millionième prise sur les 33 millions que compte notre pays. Ainsi, 60 % des prises déployées en France l'ont été par nos équipes et avec nos partenaires industriels, essentiellement sur fonds propres et à nos risques. Si le plan France Très Haut Débit a rempli ses promesses, le groupe Orange n'y est pas étranger - il en est même la locomotive !
Nous sommes conscients qu'il reste beaucoup à faire pour atteindre l'objectif d'une généralisation de la fibre optique en 2025, c'est-à-dire demain. Et les prises encore à déployer ne sont pas les plus simples. Dans le même temps, nous sommes encore confrontés au défi de l'entretien et de la maintenance simultanés de deux réseaux filaires, le réseau de cuivre historique et le nouveau réseau de fibre optique jusqu'au domicile (FttH - Fiber to the Home).
Nous devons par ailleurs investir chaque année des centaines de millions d'euros pour absorber la croissance du trafic mobile d'environ 35 % par an, principalement soutenue par les services de cinq fournisseurs de contenus principaux qui représentent 80 % de la bande passante, et s'arrogent ainsi la valeur de nos investissements sans y contribuer.
Dernières étapes du déploiement de la fibre, la fermeture du réseau cuivre, l'entretien et la maintenance des réseaux : tels sont les défis que les politiques publiques doivent relever. Pour cela, il convient de se pencher sur l'équation économique des infrastructures, qui est de plus en plus complexe.
Après un âge d'or de la filière télécom en France, intégrée et solidaire, pilotée par une politique industrielle appuyée sur une vision globale, nous connaissons désormais un fonctionnement en silo des politiques publiques. D'un côté, des autorités administratives indépendantes ont entre leurs mains une partie de l'équation ; de l'autre, le Gouvernement et le législateur mènent les politiques publiques sans avoir les outils à leur main.
Personne n'apparaît encore capable d'avoir une vision sur l'équation économique générale, la définition des priorités stratégiques, l'évolution du secteur ou encore les questions de souveraineté soulevées par l'explosion des nouvelles technologies. Il est pourtant impératif d'apporter une réponse complète, articulée entre les priorités définies et les leviers à actionner pour les atteindre.
Les interrogations sont nombreuses, et les défis de taille. Quand la valeur générée par les réseaux en France s'écroule de près de 46 % en dix ans, comment investir dans les infrastructures de demain, dans la virtualisation des réseaux ou encore le cloud ?
Nous sommes d'abord étonnés face aux menaces de sanctions pour non-respect des engagements définis à l'article L.33-13 du code des postes et communications électroniques (CPCE), qui concerne les zones à appel à manifestation d'intention d'investissement (Amii).
La France est, je le répète, le pays le plus fibré d'Europe. Il faut prendre le temps de mesurer la prouesse industrielle et technologique que cela représente. En seulement cinq ans, entre 2017 et 2022, 20 millions de locaux supplémentaires sont devenus éligibles à la fibre. C'est une augmentation de 230 %. Dans les territoires les moins denses des réseaux d'initiative publique (RIP), 7 millions de locaux supplémentaires sont devenus éligibles à la fibre, soit une augmentation de 717 %. Enfin, depuis 2017, le très haut débit compte 11 millions d'abonnés supplémentaires, pour atteindre le chiffre de 17,5 millions d'abonnés, soit plus de la moitié du nombre total d'abonnements à internet en France.
L'effort est collectif, nous le partageons avec tous les acteurs de la filière. Néanmoins, avec un investissement de près de 9 milliards d'euros et plus de 80 % des prises déployées entre 2011 et 2017, Orange est le principal artisan de ce succès.
C'est aussi Orange qui, conscient de sa place au sein de la filière, a décidé seul et sans contreparties de financer les surcoûts de ses partenaires liés aux règles sanitaires en temps de covid. Nous avons augmenté la rémunération à l'acte de nos partenaires jusqu'à 30 %, et concédé des avances de trésorerie à hauteur de 375 millions d'euros pour la seule année 2020. Ce choix a permis de maintenir le rythme des déploiements au pire de la crise, et avec 6 millions de prises FttH déployées, 2020 fut même une année record !
Nous aurions pourtant pu faire un tout autre choix, celui de nous délier sur le plan juridique de nos obligations réglementaires et de nos engagements à la faveur de l'état d'urgence sanitaire. Nous avons fait le choix strictement inverse, celui de maintenir les déploiements quoiqu'il en coûte.
Aujourd'hui encore, nous continuons de protéger financièrement nos partenaires en augmentant la rémunération de ceux qui interviennent sur les réseaux en considération de l'inflation.
Toutes ces raisons et ces chiffres expliquent ma surprise lorsque l'on m'a informée de menaces de nous sanctionner pour des retards de déploiements allégués.
Prenons le temps de nous comparer à nos voisins. En Allemagne comme au Royaume-Uni, la pénétration de la fibre optique n'atteint pas 30 %. En France, elle est de plus de 80 %. Même si nous étions en retard sur nos engagements - ce que nous contestons - de quelques dizaines de milliers de prises, serait-ce juste, raisonnable, ou encore utile de sanctionner l'opérateur qui a fait de la France le pays le plus fibré d'Europe, qui a investi à hauteur de 9 milliards d'euros, qui a soutenu la filière pendant l'état d'urgence sanitaire ?
Je tiens à saluer particulièrement nos techniciennes et nos techniciens, qui ont brillé et brillent encore par leur courage et leur expertise au service du plus grand nombre. Plutôt que de perdre notre temps à regarder dans le rétroviseur, je vous appelle à regarder vers demain et à préparer ensemble l'avenir.
Comment généraliser l'accès au THD d'ici à 2025 ? Comment garantir partout la qualité de service, y compris sur le réseau cuivre historique encore essentiel à des millions de Français ?
Assurer l'universalité d'un accès THD avec une qualité de service adéquate nécessite d'adresser dès maintenant plusieurs chantiers fondamentaux : le reste à faire en termes de déploiements des réseaux FttH et son financement ; la fermeture du cuivre, dont le calendrier est adossé à celui de la généralisation de la fibre. Cela implique aussi de traiter financièrement la question de la qualité de service sur le réseau cuivre qui, pour quelques années encore, sera celui sur lequel quelques millions de nos concitoyens accéderont à l'internet fixe. Enfin, cela implique de prendre des mesures de facilitation de la migration vers la fibre.
À trois ans de l'échéance, les moyens nécessaires à la généralisation de la fibre ne sont toujours pas identifiés. L'échéance du plan France Très Haut Débit, c'est la fin de cette année. L'objectif d'un THD pour tous dont 80 % en FttH était clair. Il est atteint. L'objectif d'une généralisation de la fibre optique l'est beaucoup moins car nous savons toutes et tous que cela ne peut vouloir dire 100 % de fibre sur le territoire. Donc, nous posons la question suivante : quel est l'objectif ? Et quels sont les mécanismes de financement ?
Généraliser la fibre optique implique de définir et financer au moins deux outils.
Le premier a trait au financement des raccordements dits complexes, longs, coûteux. Une première enveloppe de subventionnement a été décidée début 2022, dotée par l'État de 150 millions d'euros seulement, et à la condition d'engagement des collectivités sur un même montant. Alors même que seuls les RIP sont éligibles à cette enveloppe, ce qui crée une asymétrie de traitement que rien ne justifie, le taux de subvention par local est de seulement 12,5 % des coûts éligibles pour un plafond moyen de 625 euros par local raccordable, alors que les coûts de raccordement sont, en l'espèce, parfois supérieurs à 5000 euros. Aucun opérateur commercial ne raccordera un client s'il doit supporter un tel coût de raccordement ; et il est illusoire d'imaginer l'y contraindre. II est tout aussi illusoire d'imaginer contraindre l'opérateur d'infrastructures sur les zones déployées sur fonds propres, c'est-à-dire pour 80 % des locaux, de contraindre Orange à subventionner les opérateurs commerciaux.
Le second outil est un guichet vers lequel nos concitoyens, au moins ceux dont les revenus sont les plus faibles, pourraient se tourner pour obtenir une aide financière quand des travaux de génie civil sont nécessaires sur leur terrain pour les raccorder à la fibre. C'est aussi la question d'un service universel abordable. Ces travaux ne sont pas réalisés par les opérateurs, et ils n'ont pas vocation à l'être. Ce n'est pas seulement une question de coûts, c'est surtout que ce n'est pas le métier des techniciennes et des techniciens. Ce guichet existe déjà, il s'agit du guichet Cohésion numérique des territoires. Nous recommandons de l'ouvrir au raccordement FttH, pour les cas où le propriétaire doit prendre en charge des frais de génie civil sur son terrain.
À celles et ceux qui répètent qu'Orange n'a qu'à payer - et je sais qu'ils ne sont pas dans cet hémicycle ! -, j'aimerais rappeler certains chiffres : le marché européen des télécoms est fragmenté et ultra-concurrentiel. On y compte en effet plus de 100 opérateurs, quand on en dénombre 3 aux États-Unis et en Chine. Cela a une conséquence directe sur le revenu moyen par utilisateur (Arpu - Average Revenue Per User -), trois fois plus faible en Europe (14 dollars) qu'aux États-Unis (45 dollars). Le contexte sectoriel en France est encore plus difficile : en dix ans, sur un indice 100 en 2011, le prix des services télécoms s'établit à 54, l'inflation à 108, les transports ferroviaires à 110, l'énergie à 141 en 2021, et les services postaux à 156 ; le tarif moyen des offres fixes s'établissait en 2021 en France à 22 euros, contre 25 euros en Italie, 31 euros en Espagne, 35 euros au Royaume-Uni, 45 euros en Allemagne, et 108 euros aux États-Unis. En outre, Orange se prépare à une évolution majeure de business model : l'accélération de la transition du cuivre vers la fibre entraîne à la fois une baisse de nos revenus annuels sur le marché de gros, estimée à 1 milliard d'euros après 2025, et une hausse de nos coûts, estimée à 500 millions d'euros par an pour la location du réseau fibre où Orange n'est pas opérateur d'infrastructures. Dans ce contexte, avec ce trou d'air de 1,5 milliard d'euros par an dès 2025, nous avons un autre défi à adresser : celui de la qualité de service.
Le défi principal est celui de la qualité de service sur le réseau cuivre historique, qui constitue encore le seul moyen d'accès à internet de nombreux foyers. Il se vide depuis dix ans, mais supporte encore 16,5 millions d'accès et subit des dégradations en forte augmentation, liées entre autres à l'augmentation des aléas climatiques ou aux vols de câbles.
Je veux dire ici avec force que, au contraire de ce que nous pouvons entendre parfois, Orange n'abandonne pas le cuivre. C'est même tout le contraire. Nous continuons d'investir et de consacrer à son entretien et à sa maintenance près de 500 millions d'euros chaque année.
Avec le Premier ministre Jean Castex, nous avons bâti un plan d'action pour améliorer sensiblement la qualité du réseau et accompagner nos clients en cas de panne. L'ensemble des actions annoncées par Orange ont été mises en oeuvre, notamment la mise à disposition sous vingt-quatre heures d'une solution transitoire d'accès aux réseaux en cas de dérangement d'une ligne principale ; le maintien au catalogue des offres héritées du service universel téléphonique ; le recrutement de techniciens supplémentaires ; le renfort ciblé de la maintenance préventive et le renforcement de la coopération au niveau local.
Nous devons aujourd'hui entretenir deux réseaux filaires en parallèle, ce qui est intenable sur le long terme. La meilleure façon d'améliorer la qualité de service du cuivre, c'est de fermer le réseau ! C'est pourquoi nous avons présenté un plan de fermeture ambitieux, largement consulté et amendé par toutes les parties prenantes. Son calendrier est construit autour de l'objectif de généralisation du FttH en 2025. La première urgence est d'aligner le cadre réglementaire avec le calendrier de fermeture du cuivre. La seconde urgence, c'est de traiter l'équation économique du réseau cuivre. Je vais tâcher d'être précise sur ce sujet, car il y a derrière cette équation le sujet essentiel de la qualité de service du cuivre, primordiale pour quelques années encore.
La vétusté du réseau commande que nous redoublions d'efforts pour assurer sa maintenance. Les charges d'exploitation du réseau cuivre, son entretien et sa maintenance sont essentiellement des coûts fixes. Assurer la qualité de service que nous devons à nos clients et à nos concitoyens, c'est mécaniquement augmenter le coût de l'entretien et de la maintenance à la ligne active. Pourquoi rapporter ces coûts à la ligne active ? Parce que seules les lignes actives rémunèrent le réseau ; c'est l'Arcep qui décide de la rémunération du réseau cuivre, en fixant les tarifs d'accès facturés aux opérateurs commerciaux pour le dégroupage et le génie civil. La décroissance du parc s'accélère. Il a baissé de 15 % en 2021, et cette tendance se confirme pour 2022. Les coûts de maintenance, eux, ne baissent pas proportionnellement.
Ainsi, en quatre ans, de 2018 à 2021, le coût d'entretien à la ligne cuivre a augmenté de 37 %, et cette hausse va s'amplifier à mesure de l'accélération de la bascule vers la fibre. C'est précisément à ce moment charnière que l'Arcep a décidé de changer le modèle tarifaire. Historiquement, le modèle était celui de l'orientation des tarifs vers les coûts. En 2020, l'Arcep a décidé de changer de modèle pour déterminer les tarifs 2021-2023. Était-ce le bon moment ? La question mérite d'être posée.
Le nouveau modèle tarifaire, fondé sur la modélisation d'un réseau FttH théorique, comporte, de plus, des erreurs. La modélisation ne prend pas en compte tous les éléments du réseau, ce qui conduit pour 2023 à une sous-évaluation du tarif de 1,84 euro par mois. S'ajoute à cela une sous-évaluation de la fiscalité, ce que l'Arcep semble reconnaître. Cela conduit Orange à régler une partie de la fiscalité de ses concurrents.
En outre, en raison d'une incohérence de calcul, depuis début 2021, Orange ne recouvre plus la totalité de ses coûts de génie civil. La non-couverture des coûts s'élève à 175 millions d'euros sur la période 2021-2022, et s'élèvera à 79 millions d'euros en 2023.
Entre le dégroupage et le génie civil, si le régulateur ne prend pas les décisions qui s'imposent, ce sont 228 millions d'euros de recettes essentielles pour maintenir l'infrastructure que nous ne percevrons pas et qui resteront dans les caisses des opérateurs commerciaux. Pour vous donner une illustration concrète, cela correspond à accueillir gratuitement l'un des trois grands opérateurs commerciaux sur notre réseau.
Cette tendance, nous l'observons dans les indicateurs financiers. La rentabilité opérationnelle d'Orange en France baisse, par exemple, de 1 % depuis 2018, alors que celle de nos concurrents est en croissance : + 2,9 % pour Altice, + 8,3 % pour Bouygues Télécom, + 6,5 % pour Iliad.
Ainsi, la régulation tarifaire par l'Arcep conduit à un transfert de valeur depuis l'opérateur d'infrastructures vers les opérateurs commerciaux, mettant Orange dans une situation économique inacceptable. Ce qui se produit aujourd'hui pour le cuivre pourrait se produire demain pour le FttH ; il en irait alors de la capacité des RIP et donc des collectivités à entretenir leur réseau.
Fin 2020, il y a eu un deal entre Orange et l'Arcep. Orange n'a pas attaqué la décision de l'Arcep en contrepartie d'un accord pour revoir le tarif du dégroupage, dès lors qu'Orange aura présenté un plan de fermeture du cuivre concret et ambitieux. Nous avons tenu nos engagements et demandons donc naturellement que les tarifs du dégroupage soient revus. Je refuse de croire que le régulateur traite ce sujet avec lenteur. Mais force est de constater que le temps passe, que les coûts s'accumulent et qu'à rebours de son engagement l'Arcep n'a pas révisé les tarifs d'accès pour 2022 et 2023. Elle n'a rien fait alors que tout était prévu et annoncé - hausse des tarifs de gros - dans la précédente analyse de marché.
C'est pourquoi nous nous préparons à introduire de lourds contentieux contre les décisions de l'Arcep de ne pas revoir le tarif du dégroupage. Il s'agit de défendre non pas une prétendue rente, mais la qualité de service à laquelle nos concitoyens ont droit. Il s'agit aussi de défendre l'emploi, de rémunérer toute la chaîne de valeur, notamment nos partenaires qui interviennent sur le réseau. Enfin, il s'agit de défendre une politique publique, de garantir à toutes et à tous l'universalité d'un accès THD avec une qualité de service adéquate. Par essence, les autorités administratives indépendantes (AAI) sont indépendantes, mais elles sont placées sous le contrôle du Parlement, et ont donc des comptes à rendre. Quand elles ont entre leurs mains une partie de l'équation économique d'une politique publique, elles ne devraient pas la capturer. L'équation économique de l'universalité de l'accès à un THD de qualité ne doit pas échapper au Parlement.
Avant de répondre à vos questions et d'aborder sans doute les nombreux sujets que je n'ai pas évoqués ici, qu'il s'agisse de notre empreinte environnementale, de la sobriété énergétique, des risques de délestage, de la cybersécurité, de câbles sous-marins ou encore, entre autres, de nos innovations, je veux dire avec force qu'il est grand temps que le politique prenne toute sa place.
Je vous rappelle notre réalité et les nombreuses tensions sur les infrastructures télécom. La filière souffre de l'inflation. Le prix de la matière première, la fibre, a été multiplié par deux en Europe depuis le début de cette année. Le coût de l'énergie a explosé. Les baux sont indexés sur l'inflation. Les impositions forfaitaires sur les entreprises de réseaux (Ifer) sont indexées sur l'inflation. Mais les tarifs, eux, sur le gros comme au détail, ne sont pas indexés sur l'inflation. La structure des marchés ne permet pas à la filière d'absorber les surcoûts auxquels elle doit faire face, ce qui n'est pas sans impact en matière d'attractivité et d'emploi. Il manque aujourd'hui sur le marché 2 000 techniciens d'intervention qualifiés. Quand on parle de qualité des interventions, on doit aussi évoquer ces questions.
Soyons lucides, la période que nous traversons est compliquée, et la route ne sera pas toujours facile. Mais nous sommes riches d'une certitude : la dimension vitale de notre mission est la richesse de notre collaboration. Nos réseaux sont la colonne vertébrale de tout l'écosystème numérique et ce dernier continuera de croître dans les années à venir de façon exponentielle. Je veux vous dire ma conviction que nous avons toutes les clés en main pour prendre les meilleures décisions et écrire, ensemble, la suite du chemin. Je souhaite m'inscrire avec toutes les parties prenantes dans la construction d'une vision ambitieuse et résolument optimiste. J'ai confiance dans notre capacité collective à rénover notre écosystème ; ne craignons pas de le bousculer. Ça bouge en Europe ; le commissaire Thierry Breton a une vive conscience des lacunes institutionnelles et des asymétries réglementaires, et des États membres ont pris des décisions structurantes pour favoriser l'investissement des opérateurs d'infrastructures, pour accélérer les déploiements de la fibre optique. En France aussi il y a beaucoup à faire. Pour faire face aux défis de cette décennie, nous devrons travailler et penser différemment, et moderniser une régulation en décalage avec les évolutions du secteur.
La priorité pour l'avenir, ce sera le financement des infrastructures. Je n'ai aucun doute sur notre capacité à y répondre ensemble. Et vous pouvez compter sur moi pour ne pas me dérober.