Intervention de Christel Heydemann

Commission des affaires économiques — Réunion du 30 novembre 2022 à 8h30
Audition de Mme Christel Heydemann directrice générale du groupe orange

Christel Heydemann, directrice générale du groupe Orange :

Vos questions me permettent d'approfondir la question des investissements.

Concernant l'idée d'un New Deal fixe, on peut envisager une analogie avec notre New Deal mobile. Celui-ci avait pour objet de réduire la fracture territoriale en matière de couverture mobile, qui avait bousculé le paradigme des attributions de fréquences. Au lieu d'un outil de maximisation des recettes budgétaires de l'État, on en avait fait un outil de l'aménagement numérique du territoire. Quatre ans après, on peut reconnaître que le New Deal mobile a bien fonctionné.

Le New Deal fixe devrait viser à la généralisation de la fibre en 2025. Tout le secteur dresse le même constat : il est nécessaire de créer de nouveaux outils de financement pour faire de la Gigabit Society une réalité.

Je vous sais attaché à l'abondement d'un fonds d'aménagement numérique du territoire, et il ne m'a pas échappé que le Sénat a adopté, dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, un amendement visant à instaurer une taxe de 75 centimes par mois à la charge de nos concitoyens, que les opérateurs commerciaux seraient chargés de collecter. Il n'est pas souhaitable d'augmenter la charge fiscale, surtout pas la fiscalité sectorielle qui pèse encore davantage que la fiscalité d'entreprise à laquelle nous sommes assujettis, comme toute entreprise. Entre la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques (TOCE), la taxe sur les services de télévision -distributeurs (TSTD), l'Ifer et d'autres encore, ce sont près de 1,5 milliard d'euros qui sont ponctionnés sur les capacités d'investissement des opérateurs pour financer l'audiovisuel public, la création, le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). Qui plus est, les Ifer sont saupoudrées entre les 36 000 communes, les intercommunalités et les départements, c'est-à-dire tout sauf l'aménagement numérique du territoire. C'est cette taxe qu'il conviendrait de revoir, avec 400 millions d'euros par an, nous aurions l'assurance que la fibre serait généralisée en 2025. Il revient aux collectivités d'engager un New Deal fixe en décidant de créer un fonds de péréquation numérique du territoire.

La gouvernance du décommissionnement du réseau fixe est un sujet critique puisque ce projet ne pourra aboutir, c'est un chantier titanesque, que dans un cadre de confiance où chacun jouera son rôle : nous, l'opérateur historique pilotant cette infrastructure ; les pouvoirs publics ; le régulateur et les collectivités locales. Depuis le début, nous avons la volonté d'engager le dialogue. Nous avons beaucoup appris de nos échanges sur le besoin d'inclure les collectivités, qui ont toute leur place. Nous avons défini les premiers pilotes du décommissionnement du cuivre en France et une liste de communes avec lesquelles nous allons travailler main dans la main en lien avec le régulateur, l'ensemble des opérateurs et de nos clients. Vous avez donc raison de souligner l'importance de l'engagement des collectivités dans ce projet - nous avons d'ailleurs fait une proposition au Gouvernement en ce sens.

La crise des numéros d'urgence a été une crise majeure pour Orange. À l'époque, je siégeais au conseil d'administration de l'entreprise et je puis vous assurer que nous avons tiré les enseignements de l'enquête que nous avions diligentée et que nous avons mis en oeuvre les mesures qui s'imposent. Toutefois, le risque d'une panne des réseaux existera toujours. D'ailleurs, et malheureusement pour cet hiver, comme vous l'avez souligné, les réseaux télécoms ne sont pas jugés comme des sites prioritaires.

Au sein des réseaux télécoms, il existe différents types de sites : certains d'entre eux sont priorisés dans les plans de prévention que nous mettons en oeuvre, mais les dizaines de milliers de sites mobiles n'en font pas partie, de même que nos clients et un certain nombre de nos sites critiques, équipés de générateurs et de batteries, alors qu'ils peuvent avoir un impact sur le réseau national. Des systèmes de secours permettront de prendre le relais ; néanmoins si les délestages se multiplient, on ne sait pas comment le réseau se comportera.

Pour les délestages régionaux, nous faisons des exercices de crise avec les opérateurs et Enedis. Orange et la Fédération des télécoms alertent le Gouvernement depuis le début de l'année 2022. Nous travaillons sur ce sujet, mais je crains que nos concitoyens ne découvrent que les réseaux télécoms dépendent de l'électricité. Il est illusoire d'imaginer, si tant est que ce soit finançable et compatible avec nos objectifs environnementaux, d'installer des batteries au pied de chacun des sites mobiles en France. On ne saura pas maintenir un service continu pour l'ensemble des Français en cas de délestage. Si les services mobiles sont éteints dans une zone géographique donnée pendant deux heures, les utilisateurs n'auront pas accès aux numéros d'urgence pendant ce laps de temps.

En tant qu'entreprise responsable, nous communiquerons auprès de l'ensemble de nos parties prenantes, des collectivités, qui sont nos partenaires, du Gouvernement et de nos clients sur les risques de délestage, comme nous nous y sommes engagés. Nous essayons d'éviter qu'une telle situation ne se produise au travers de notre plan de sobriété et d'opérations d'effacement sur notre réseau. C'est notre devoir de se préparer à une telle crise. Il pourrait y avoir des situations où l'électricité et la lumière fonctionnent dans un appartement mais où les télécoms mobiles ne fonctionnent pas parce que la tour est dans une zone qui est elle-même délestée. Ce serait une situation inédite. L'ensemble de nos techniciens aguerris à la gestion de crise sera sur le pont pour rétablir le service le plus rapidement possible.

Pour le moment, notre priorité est d'anticiper, en travaillant main dans la main avec les opérateurs. Aujourd'hui, nous serions informés d'un risque de délestage la veille seulement vers 17 heures. Disposer de l'information vingt-quatre auparavant nous permettrait d'avoir des techniciens sur le terrain prêts à répondre à la situation. Les opérateurs font des propositions pour préparer l'hiver 2023-2024, qui ne sera pas forcément plus simple d'un point de vue énergétique. La résilience par nature du réseau Orange est supérieure à celle de ses concurrents en raison de ses investissements. Mais, je le répète, il est illusoire d'imaginer que les réseaux fonctionneront s'il n'y a pas d'électricité.

Nous nous sommes engagés le 16 février 2022 à communiquer aux marchés financiers notre feuille de route financière et stratégique. Je suis convaincue qu'Orange possède des atouts indéniables. Il est l'un des trois opérateurs historiques et se classe onzième au niveau mondial. Nous avons investi massivement dans la fibre bien avant certains de nos concurrents européens ; nous sommes très fiers de la croissance de nos activités et du service que nous apportons dans de nombreux pays en Europe et en Afrique. Ce sont bien les zones « hors France » en Europe et en Afrique qui ont tiré la croissance du groupe. Notre meilleur atout demeure, d'une part, la qualité de nos experts. Par ailleurs, Orange n'est jamais aussi fort que quand il est mobilisé sur des projets ambitieux. L'entreprise a montré par le passé qu'elle sait affronter des défis et se transformer. Il est de notre responsabilité de continuer à innover pour apporter, au grand public comme aux entreprises, un service meilleur, enrichi grâce aux nombreuses innovations. La qualité des infrastructures d'Orange est l'une de ses forces : c'est le cas de la fibre, des câbles sous-marins et d'autres de nos activités.

La politique européenne doit prendre conscience qu'il est essentiel d'investir dans les infrastructures. Nous ne devons pas délaisser les investissements dans les infrastructures en Europe et nous devons éviter de nous réveiller dans quelques années en nous disant que nous avons laissé « partir la valeur ». Dans un contexte où la souveraineté n'a jamais fait autant partie des débats, il faut qu'il y ait une vraie prise de conscience collective. Tous les grands opérateurs européens en sont convaincus.

J'en suis convaincue, Orange a de nombreux atouts pour retrouver cet esprit de conquête qui est le sien.

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