Intervention de Christel Heydemann

Commission des affaires économiques — Réunion du 30 novembre 2022 à 8h30
Audition de Mme Christel Heydemann directrice générale du groupe orange

Christel Heydemann, directrice générale du groupe Orange :

Au sujet de la 5G, Orange n'est pas en retard sur les plans de déploiement que nous avions fixés. En France, nous sommes même les plus avancés. Nous avons priorisé les zones denses, afin d'améliorer la qualité de service pour nos clients. Aujourd'hui, 51 % du territoire est couvert en 5G. Nous ne prévoyons pas de modifier notre plan en fonction du contexte énergétique, mais la question du nombre de sites télécoms que l'on déploie est soulevée. En effet, ce qui consomme le plus, c'est non pas le trafic, mais le nombre de sites. Au sujet de l'empreinte environnementale d'Orange, le nombre de sites en France continue à augmenter, mais beaucoup moins qu'en Afrique. Notre premier enjeu pour atteindre la neutralité carbone sera donc le déploiement de nouveaux sites mobiles avec des solutions d'énergies renouvelables, pour nous inscrire dans des solutions durables et responsables sur le plan environnemental.

La 5G a d'abord été conçue pour des usages industriels et pour des enjeux d'aménagement de territoire visibles, par exemple, dans le port du Havre ou à Anvers. Orange a été précurseur, nous avons lancé des 5G Lab partout dans le monde. Nous travaillons avec des industriels et l'écosystème de la recherche pour créer les usages que la 5G permet d'imaginer au-delà des usages classiques des consommateurs. La 5G reste et restera donc pour de longues années un sujet de préoccupation. Nous n'en sommes pas à la 6G ou à la 7G, même si nos experts travaillent, au niveau mondial, sur les enjeux de standardisation de la 6G. Nous venons à peine de payer des licences de 5G, et nous sommes encore en train de déployer des réseaux, nous sommes loin du déploiement de la 6G. Dans le contexte économique et social actuel, notre priorité est de rentabiliser et d'utiliser au maximum les infrastructures déployées aujourd'hui.

J'aborde la question des câbles sous-marins, posée à la fois sous l'angle des perspectives stratégiques et des enjeux de sécurité. Nous sommes très fiers d'avoir de telles infrastructures au niveau mondial. Orange Marine nous permet d'effectuer pose et maintenance de câbles sous-marins, une activité très stratégique. Même si tout le monde imagine que les télécoms passent massivement par les satellites, 99 % du trafic passe en réalité par des câbles sous-marins. Ces réseaux sont redondants, sécurisés, mais nous avons pris la décision de renforcer la sécurité depuis quelques mois, en particulier sur les points d'amerrissage qui sont les endroits où les câbles sous-marins arrivent sur Terre, des noeuds critiques. De la même façon, nous sécurisons les câbles terrestres : des sabotages ont touché certains de nos concurrents. Nous travaillons main dans la main sur ces sujets avec l'ensemble de nos concurrents.

Globalement, concernant la qualité du déploiement de la fibre, ma première remarque en arrivant chez Orange avec mes réflexes d'industrielle a été d'observer le niveau d'échec, s'élevant parfois jusqu'à 20 % ou 30 % sur les raccordements d'entreprise, ce qui ne serait pas acceptable dans une entreprise. Le coût de la non-qualité pour Orange est colossal. L'expérience client est un sujet économique, créant de très grandes frustrations chez les techniciens d'Orange, qui ont le sentiment de savoir faire.

Au cours de mes visites de terrain, j'ai constaté que tout ce que vous avez dit est vrai. Nous avons pris des engagements forts, mais nous sommes, d'une certaine façon, victimes de la croissance : déployer la fibre en quinze ans était en soi un chantier titanesque. Je rappelle que le cuivre avait pris quarante ans, et quatre-vingts pour le réseau électrique.

Le besoin de main-d'oeuvre a largement dépassé la disponibilité et la formation du personnel. Un certain nombre de nos grands partenaires sous-traitent une partie de leur activité. Nous avons mis en place le 1er avril un nouveau contrat, RC Centric, qui vise à remettre la qualité au plus haut niveau et à lutter contre la sous-traitance de rang 2 ou 3. Le modèle est compliqué : il y a l'opérateur d'infrastructures, l'opérateur commercial, les travaux en zone privée pour le client. Concernant la formation des personnels commerciaux, convenons qu'il est difficile de résumer au client ce qui va se passer entre le poteau du réseau d'infrastructures où arrive la fibre, le point de mutualisation, le passage par les gaines pour arriver jusqu'au tableau où passe le cuivre. De plus, nous avons renforcé les mesures de prévention sur les points mutualisation, et procédé à des investissements. Certains de nos concurrents ont encore beaucoup à faire sur leurs infrastructures, mais il appartient au régulateur de réaliser un suivi.

La traçabilité évoquée est essentielle, il faut maintenir les cartes à jour, nous utilisons de nouvelles technologies avec des photos avant/après, des vidéos, l'intelligence artificielle : nous avons mis en oeuvre de nombreux outils. Une fois passée l'urgence du déploiement, toute la filière attache une attention particulière à cette question. Orange a eu l'habitude d'être l'opérateur de l'infrastructure, mais parfois les techniciens n'ont pas la main. Concernant la fibre, nous avons 60 % du déploiement fibre en France : 50 % en propre et 10 % avec nos réseaux d'initiative publique. Dans 40 % des cas, l'infrastructure n'est donc pas la propriété d'Orange mais, pour autant, nous devons gérer l'interaction entre l'opérateur commercial Orange et les opérateurs d'infrastructure : les processus se mettent en place et les acteurs apprennent encore à se connaître. Nous connaissons les points noirs et soyez assurés que nous mettons tout en oeuvre pour trouver des solutions. Nous sommes déterminés à mettre en place un réseau digne de ce nom, malgré la difficulté du raccordement du client, parfois plus complexe encore quand il s'agit d'entreprises.

Une procédure de redressement judiciaire de la Scopelec est en cours, mais elle a encore des contrats avec Orange. Certes, dans le nouveau contrat, elle a perdu des parts de marché, mais elle reste pour nous un partenaire important. Nous suivons de très près, sous l'égide du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), la procédure.

Concernant le délestage, lors de nos exercices de crises, il s'agit de prévenir nos clients, de prévenir les salariés de toutes les entreprises confrontées à l'enjeu du télétravail. Certains clients ont des infrastructures critiques, des systèmes énergétiques et sont eux-mêmes en discussion avec Enedis ou RTE sur les solutions de secours ou pour éviter d'être délestés. Nous ne sommes pas sûrs que les solutions de communication fonctionneront partout en cas de délestage.

Le délestage devrait avoir lieu sur des plages horaires définies, et nous ferons le maximum pour communiquer en amont, que ce soit sur les pages Orange TV ou par SMS. C'est toute la logique de la campagne Écowatt, car si cette situation est très nouvelle en France, la situation de black-out existe déjà dans de nombreux pays. En Moldavie, pays massivement alimenté en électricité par l'Ukraine, nos réseaux tombent quand le réseau d'électricité tombe, et les solutions de back-up compensent. Au sein du groupe Orange, pour des raisons d'enjeux plutôt sécuritaires, on a l'habitude de gérer ce type de situation. La réponse réside principalement dans la communication. Il s'agit aussi d'un enjeu de responsabilité avec les numéros d'urgence et la continuité d'activité. Nous accompagnons les entreprises quand nous sommes leur fournisseur.

Sur la question des poteaux et de leur maintenance : le processus de décommissionnement du cuivre ne veut absolument pas dire qu'Orange se désintéresse de ses infrastructures de génie civil que sont les poteaux ou les gaines enterrées. Bien au contraire, nous poursuivons l'investissement dans cette infrastructure. C'est une infrastructure dont les tarifs sont réglementés, puisque certains de nos concurrents l'utilisent aussi.

Avoir de la fibre en aérien, est-ce plus résiliant qu'en souterrain ? On est confronté à tous les cas de figure. Le Japon déploie massivement en aérien. Lors des tremblements de terre, il est plus rapide de réparer les réseaux aériens. Mais a contrario, la tempête qui a touché la vallée de la Vésubie il y a deux ans nous a obligés à reconstruire tout le réseau souterrain. Nous examinons ces sujets au cas par cas. Les poteaux et les infrastructures de génie civil sont un enjeu clé.

S'agissant des enjeux de souveraineté et de cybersécurité, l'entreprise a investi dans ce domaine avec le regroupement de toutes nos activités au sein de la filiale Orange Cyberdefense au début de cette année. Elle atteindra 1 milliard de chiffre d'affaires en 2023. L'enjeu des PME est crucial, les chiffres le prouvent : plus d'une PME sur deux qui subit une attaque cyber met la clé sous la porte dans les six mois qui suivent. Il s'agit d'un enjeu économique majeur. Nous allons enrichir notre offre à destination des professionnels et des toutes petites structures. Il s'agit de proposer aux patrons de PME de réaliser un audit de situation, de sorte que nous puissions leur proposer des solutions le plus rapidement possible pour éviter la crise. L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) fait un gros travail d'accompagnement et d'éducation en la matière. Plus de 350 000 postes sont vacants aujourd'hui au niveau mondial. Orange forme des collaborateurs en interne et travaille en partenariat avec les écoles en France et à l'étranger. Il s'agit de métiers porteurs, car le numérique induit un besoin de renforcer la cybersécurité.

Je reviens sur la question de l'heure à laquelle nous serons prévenus du délestage. Les premières annonces officielles indiquaient 21 heures. Nous travaillons à une anticipation. Enedis nous préviendrait quelques heures plus tôt, sachant qu'eux-mêmes sont prévenus par Réseau de transport d'électricité (RTE) deux ou trois jours auparavant. Tout cela reste aussi lié à des conditions météorologiques encore inconnues. Nous travaillons à favoriser la communication avec nos clients et mettre en place des modèles opérationnels afin de minimiser l'impact. Cela implique beaucoup de collaboration sur le terrain et c'est précisément l'objet des exercices de crise que nous réalisons au niveau national. Nous échangeons beaucoup avec le Gouvernement sur toutes les solutions itinérantes et sur les modalités de communication pour nous.

Au sujet du décommissionnement du cuivre, il y a eu en effet des abus. Le décommissionnement du cuivre s'inscrit dans le temps long, à l'horizon de 2030. Nous avons besoin d'une communication neutre qui ne vienne pas des opérateurs : les collectivités et le Gouvernement y auront toute leur place. Nous avons préparé des cahiers pédagogiques, qui ne sont que des supports de communication.

La question d'introduire notre activité de cybersécurité en bourse m'est souvent posée par des journalistes. Ce n'est pas un projet en soi. Notre enjeu est d'investir dans cette activité et de recruter 600 collaborateurs l'année prochaine en France. Jusqu'à présent, l'investissement s'est fait sur les fonds propres de l'entreprise, mais je n'exclus pas d'autres moyens pour accompagner la croissance de cette activité. Pour l'heure, ce n'est pas du tout un sujet d'actualité.

Starlink fait beaucoup parler parce qu'Elon Musk en est l'actionnaire. Il se trouve que la filiale Nordnet d'Orange propose des solutions d'accès THD par satellite. Le nombre de questions que nous recevons démontre a minima qu'Orange ne communique pas assez sur ces solutions. En ce qui concerne l'aménagement du territoire, il est évident que les solutions satellites sont totalement complémentaires des autres. Orange n'a rien à envier à Starlink. Nous utilisons des bandes passantes sur des satellites ; nous travaillons avec Eutelsat, nos partenariats sont européens. Nous n'avons pas vocation nous-mêmes à être opérateurs satellites, mais nous sommes favorables aux solutions satellites en complément.

Orange s'est engagé depuis des années sur la question absolument légitime de l'impact environnemental du numérique. Aujourd'hui, le numérique est un faible émetteur de carbone au niveau mondial par rapport à l'industrie, le bâtiment ou les transports. Néanmoins, si l'on n'y travaille pas activement, il va peser et le sujet est donc de notre responsabilité. Nos réseaux doivent être efficaces en énergie. Avec une croissance du trafic de 30 % tous les ans, parvenir à stabiliser nos émissions carbone est un combat du quotidien que mènent nos équipes. Cela implique de décommissionner des équipements énergivores obsolètes. À cet égard, la fibre est trois fois plus efficace d'un point de vue énergétique que le cuivre. Il en est de même pour la 2G et la 3G, qui seront décommissionnées dans les prochaines années afin d'améliorer notre empreinte environnementale. Le premier vecteur de consommation pour nous, c'est d'abord le nombre de sites, ensuite la puissance effective de ces sites, enfin le trafic. Il faut construire chaque site avec de l'énergie renouvelable. Par ailleurs, une grande partie de l'empreinte environnementale du numérique est due aux terminaux. Nous sommes très engagés dans la fabrication des terminaux et dans les solutions de reconditionnement. Nous avons un programme « reconditionnement », tout commence par la collecte, la vente de produits reconditionnés et, en bout de chaîne, le recyclage. Cela fait partie de notre feuille de route pour atteindre la neutralité carbone en 2040, soit dix ans avant le seuil fixé par les Accords de Paris.

À propos de l'innovation numérique en Afrique, notre engagement est fort et nous avons ouvert ce qu'on appelle des Orange Digital Centers. Nous sommes convaincus que le numérique est un grand facteur d'inclusion. Nous sommes attachés à la formation et à l'accès à l'emploi grâce au numérique, en particulier en Afrique.

Les solutions de paiement grâce au mobile sont vectrices de développement économique dans les pays d'Afrique. Notre filiale, Orange Money, permet à de tout petits points de vente de commercialiser ; nous leur reversons une commission, c'est notre activité d'opérateur économique. Orange Money est en elle-même une solution essentielle, par exemple dans le déploiement de kits solaires avec batterie dans certains villages. Orange est donc essentiel dans l'innovation du numérique en Afrique.

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