Intervention de Jacques Percebois

Commission des affaires économiques — Réunion du 1er décembre 2023 à 9h00
Énergie climat transports — « le marché de l'électricité dans l'union européenne : quelle réforme ? » - audition

Jacques Percebois, professeur émérite à l'université de Montpellier et directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (Creden) :

La situation actuelle résulte de deux phénomènes principaux, d'une part, la hausse du prix du gaz, qui fait que les centrales appelées en fonction du merit order coûtent plus cher en fonctionnement, le coût du combustible jouant un rôle important et, d'autre part, un manque de capacités qui s'explique par le fait qu'on a fermé en Europe beaucoup de capacités disponibles depuis une quinzaine d'années, notamment pilotables. C'est vrai pour les centrales à gaz, pour le nucléaire en Allemagne, et même pour le nucléaire en France. On manque donc de capacités dans un contexte où l'on pensait que la demande d'électricité n'allait pas augmenter. Ce manque de capacités est aujourd'hui une contrainte forte sur les marchés européens.

On constate cependant que le prix d'équilibre sur le marché de gros est souvent supérieur au coût marginal de la centrale à gaz. Il y a donc, à la fois, une prime de risque et quelques spéculations. Il est très difficile de savoir quelle est la part qui relève de ces deux observations, mais le prix de l'électricité, corrélé au prix du gaz, est souvent très supérieur au coût marginal, ce qui explique que le prix de gros, en France, soit supérieur à ce qu'on trouve dans d'autres pays, notamment en Allemagne.

Je rappelle que le prix de gros n'est qu'une partie du prix de détail. Au départ, il représente un tiers de l'ensemble du prix de détail si l'on considère le TRV, sans parler des taxes ou du coût des réseaux. Aujourd'hui, c'est même davantage : le coût des fournitures ayant augmenté, on est plus proche de 40 à 45 %, y compris en France.

Il faut dissocier les solutions de court terme et les solutions de long terme. La première solution à laquelle on peut penser, qui a d'ailleurs fait ses preuves tout en maintenant le système, c'est la réduction de la demande d'électricité. Le prix augmentant, cela favorise l'efficacité au niveau des usages. La baisse de la demande, qui est relativement importante - RTE parlant de 6 à 7 %, ce qui n'est pas négligeable -, peut paraître une bonne chose, mais elle peut aussi cacher des faillites d'entreprises, des arrêts de production ou, pire, des délocalisations. Certaines entreprises européennes annoncent déjà qu'elles iront s'implanter aux États-Unis. Il faut donc être très prudent sur la façon dont on analyse la baisse de la demande.

Une deuxième solution qui a pu être évoquée, mais qui, à mon sens, n'est pas efficace, est de considérer que, dans le système actuel, le prix d'équilibre s'applique à tout le monde, même si le marché de gros ne représente qu'une faible part des transactions. C'est la logique du marché. Il existe donc des rentes inframarginales qui sont aujourd'hui très importantes, le prix de gros étant très élevé.

Certains pensent qu'il faudrait faire des enchères non à prix limite, comme c'est le cas aujourd'hui, mais à prix demandé, c'est-à-dire à la hollandaise et non à la française, ce que l'État utilise, par exemple, pour les obligations assimilables du Trésor. Ce système peut fonctionner dans un contexte où l'offre est excédentaire, mais non dans un contexte de pénurie ou d'offre insuffisante, chacun anticipant le prix d'équilibre. Aucun opérateur ne fera de propositions en deçà d'un prix relativement élevé.

La troisième solution est une solution que j'ai étudiée avec un collègue du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) : elle est un peu académique et consiste à proposer la moyenne des coûts marginaux, avec compensation marginale pour la centrale. L'avantage est que cela fait fortement baisser le prix d'équilibre. Évidemment, les centrales qui sont au-dessus de la moyenne ne couvrent pas leurs coûts variables, mais ce n'est pas gênant : on leur donne une compensation et, comme cela fait beaucoup baisser le prix d'équilibre, la rente inframarginale baisse fortement.

Ce système n'est valide que dans un contexte où le coût marginal est extrêmement élevé par rapport aux autres. Les centrales renouvelables ou les centrales nucléaires sont, par exemple, très en deçà. Cela fait donc baisser la moyenne. C'est très efficace en France, mais cela ne le serait pas nécessairement dans un autre contexte ou dans un pays où ce ne serait pas le cas.

Une autre solution, que je trouve très séduisante, a été évoquée : c'est la solution qu'on appelle « ibérique », consistant à subventionner le gaz utilisé dans la production d'électricité. Cela a fait baisser le prix de l'électricité en Espagne. Il est vrai que le poids du gaz en Espagne est relativement élevé dans la production d'électricité, mais les prix de gros sur le marché espagnol sont au minimum deux fois moindres que dans le reste de l'Europe.

Ce système comporte des effets pervers : si cela a relancé un peu la demande de gaz, c'est parce que les interconnexions entre l'Espagne et le Portugal, d'un côté, et le reste de l'Europe, de l'autre, ne sont pas très importantes. Il n'y a donc pas trop de fuites, mais il y en a eu quand même, certains opérateurs espagnols ayant préféré vendre sur le marché français, beaucoup plus rémunérateur. Cette solution à court terme me paraît néanmoins extrêmement séduisante, même si cela peut relancer la demande de gaz et ne résout pas le problème des industriels qui utilisent du gaz pour d'autres raisons. Je pense pour ma part qu'à court terme, si l'on veut éteindre l'incendie, c'est une solution tout à fait justifiée.

Les Allemands n'en veulent pas, car ils pensent que cela leur coûterait trop cher et subventionnerait le consommateur français. Ils nous vendent, en effet, beaucoup d'électricité thermique, notamment durant les heures pleines. Ils ont donc le sentiment qu'il reviendrait au consommateur allemand de financer le consommateur français.

Une autre solution consisterait à taxer la rente inframarginale sur le marché électrique en totalité au-delà de 180 euros/MWh. C'est ce qui a été évoqué. Pourquoi pas ? Que faire de cette rente ? On peut soit l'utiliser pour aider les centrales à gaz, c'est-à-dire revenir à la solution précédente, soit pour aider les consommateurs domestiques ou industriels. C'est une solution séduisante. C'est visiblement celle que préfèrent les Allemands.

En France, il ne faut pas perdre de vue que cette rente inframarginale serait probablement moins élevée. Notre pays vend, en effet, beaucoup d'électricité à un prix régulé. On a cité le nucléaire, qui est très largement vendu à un prix régulé grâce à l'ARENH, dont profitent évidemment les alternatifs, mais on retrouve également l'ARENH dans le TRV. Il s'agit de l'effet miroir évoqué tout à l'heure. En fait, une grande partie de l'électricité nucléaire française est vendue à un prix régulé, proche des 42 euros/MWh.

Les énergies renouvelables sont également vendues à un prix régulé, puisqu'il s'agit soit de prix d'achat garanti sur une certaine période, soit d'un système de complément de rémunération. Le complément de rémunération était séduisant pour les producteurs d'énergies renouvelables tant que le prix de gros était peu élevé et inférieur en tout cas au coût de production. Ils bénéficiaient, en effet, d'un complément de rémunération, mais celui-ci est aujourd'hui devenu négatif. Comme cela a été dit, on estime que, pour l'année 2022-2023, ceci devrait rapporter plus de 30 milliards - on parle même de 38 milliards d'euros à l'État. On peut donc avoir un complément négatif.

Un prix plafond pour le gaz, oui, à condition que les vendeurs de gaz acceptent la négociation à ce prix plafond. Pourquoi pas ?

Une autre solution me paraît aussi très séduisante. Elle est plutôt orientée vers le moyen ou le long terme. Il s'agit de ce que certains appellent le « système grec », qui consiste à faire deux compartiments sur le marché de gros, un compartiment avec les centrales à forte proportion de coûts fixes, d'un côté, c'est-à-dire essentiellement les renouvelables et le nucléaire et, de l'autre, un second compartiment où le prix serait fixé par merit order fondé sur les coûts marginaux, c'est-à-dire le coût variable. C'est le cas des centrales à charbon, mais surtout des centrales à gaz. L'avantage de ce système réside dans un prix fixé par appel d'offres, sur la base du coût moyen, pour les centrales renouvelables et nucléaires et, sur la base du coût marginal, c'est-à-dire les coûts variables, pour les centrales fossiles. Le consommateur paierait un prix qui serait une moyenne pondérée des deux. À court terme, cela peut régler une partie du problème, même si le système est un peu compliqué à mettre en oeuvre. L'avantage, c'est qu'il est pérenne sur le long terme. En effet, le système peut continuer à fonctionner au fur et à mesure que les centrales fossiles disparaissent. C'est la frontière entre les deux compartiments qui est modifiée. À terme, le prix serait calé sur le coût moyen des centrales à fort coût fixe ; j'estime que c'est un bon système.

Ceci m'amène à une solution que je privilégie personnellement pour le long terme : la solution proche de l'acheteur unique, c'est-à-dire un système que la France avait proposé au début de la libéralisation du marché de l'électricité. Aujourd'hui, ce serait probablement incompatible avec les textes européens, mais il s'agit d'un système très séduisant, parce que cela signifie qu'en faisant appel aux différentes centrales, il est possible de proposer des contrats à long terme avec les producteurs retenus. Le prix serait donc aligné sur le coût moyen sur le long terme.

Je ne parlerai pas de la dernière solution que certains évoquent, qui consiste à supprimer le marché et à revenir au monopole public intégré. Je considère que le marché a un atout : même avec le système d'un acheteur unique, peuvent co-exister un marché sur le très court terme et un marché au niveau des frontières. Le marché est incitatif, il envoie de bons signaux de court terme et non des signaux de long terme. De toute façon, il faudra faire une réforme sur le long terme, pour une raison simple : si nous avons demain un mix uniquement constitué de nucléaire et de renouvelables, ce qui caractérisera ces centrales sera le fait que la part des coûts fixes est très importante et la part des coûts variables très faible. Le prix devra donc être fixé sur le coût moyen.

On peut donc, dès aujourd'hui, avec le système dit « grec », se diriger vers un système où, avec des contrats à long terme et un prix fixé sur le coût moyen, le signal envoyé fait que le prix est relativement stable et couvre les coûts complets des centrales.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion