Intervention de François Bonneau

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 1er mars 2023 à 10h00
« quelle stratégie française dans le golfe de guinée ? » — Examen du rapport d'information

Photo de François BonneauFrançois Bonneau, co-rapporteur :

Après la piraterie et la pêche illégale, j'évoquerai la troisième menace majeure dans le Golfe de Guinée : le trafic international de drogues, essentiellement à destination de l'Europe. Il s'agit malheureusement d'un problème qui devient de plus en plus grave. Une grande partie de la cocaïne qui alimente notre continent transite désormais par le Golfe de Guinée. En décembre 2022, plus de 4,6 tonnes de cocaïne, d'une valeur d'environ 150 millions d'euros, ont ainsi été saisies par la Marine française dans le Golfe.

Il existe ainsi un véritable « écosystème » de la drogue sur la côte du Golfe de Guinée, autour des aéroports internationaux, des ports maritimes avec terminal à conteneurs et des réseaux routiers régionaux, pour redistribuer la drogue en Afrique et surtout en Europe. Une partie de la solution relève de la classique coopération policière et judiciaire entre l'ensemble des pays par lesquels transitent les flux. Une réponse régionale commune a aussi été ébauchée avec la Commission ouest-africaine sur les drogues (WACd), dirigée par Kofi Annan. Mais il faut aussi indéniablement davantage de volonté politique pour faire passer ce problème au premier plan et lui consacrer les financements qu'il mérite. L'un des obstacles majeurs à une telle avancée est cependant le haut niveau de corruption de certains pays de la zone. Si le trafic de drogue fait désormais peser une menace jugée sérieuse sur des institutions de certains pays d'Europe du Nord, on imagine la situation dans le Golfe de Guinée.

Le deuxième grand type de menace dans le Golfe de Guinée, c'est la « descente » des groupes terroristes en provenance du nord des pays et du Sahel. C'est un fait constaté par tous les États concernés. Le Togo, le Bénin, la Côte d'Ivoire ont subi des attaques. Le Bénin a dû renforcer son armée, construire des postes avancés et des forts. Tous les pays de la région partagent un terreau de vulnérabilité au terrorisme lié aux conflits d'usage de la terre, aux inégalités extrêmes, et à la « contagion » des groupes déjà constitués dans les pays du Sahel.

La situation au Nigeria reste également très grave. La branche historique de Boko Haram y a été fortement affaiblie, mais la branche ISWAP, franchise locale de l'Etat islamique, s'enracine et s'étend. En outre, depuis environ un an, le Nord-Ouest du pays est devenu le théâtre d'actes de banditisme de grande ampleur. Des groupes criminels dirigés par de véritables seigneurs de la guerre profitent du kidnapping et de l'extraction minière illégale. La force multilatérale mixte contre Boko Haram a quant à elle un bilan mitigé. Ses membres, notamment le Tchad et le Niger, se sont en partie désengagés afin de consacrer leurs forces à la résolution de leurs problèmes internes.

Il est vrai que ces pays ont pris très tôt conscience de la menace. Nous avons d'ailleurs senti une réelle inquiétude de nos interlocuteurs sur cette expansion du djihadisme. Ils étaient aussi, pour la même raison, très inquiets de notre départ du Sahel. Le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Ghana et le Togo ont ainsi lancé l'initiative d'Accra dès septembre 2017 afin de partager des renseignements, de former des personnels et de conduire des opérations militaires transfrontalières conjointes. Certes les résultats obtenus sont modestes. Ce cadre a surtout permis de renforcer le dialogue et la confiance entre les pays de la région. Mais le contexte actuel est porteur pour cette Initiative d'Accra et la redéfinition de la stratégie française dans la région doit la prendre en compte. En décembre dernier s'est d'ailleurs tenu un sommet de l'Initiative d'Accra où se sont rendus plusieurs dirigeants européens (dont Charles Michels). Des appels à des financements extérieurs ont été lancés. Cette initiative est un peu à la croisée des chemins. Il faut, selon nous, la renforcer, au besoin par de nouveaux financements et des projets de coopérations menées par nos agences, en particulier Expertise France. Le G5 Sahel n'a pas bien fonctionné mais le contexte était différent : il faut en tirer les leçons et mieux soutenir ces pays qui prennent le problème plus en amont.

Les pays de la région font des efforts certes militaires, mais aussi dans le domaine économique et social, car ils ont compris qu'il fallait traiter les causes profondes du terrorisme. Ils s'efforcent de réduire les vulnérabilités socio-économiques en développant des infrastructures de base ainsi que des infrastructures pour les forces de défense et sécurité. Ils tentent aussi de coopérer avec des chefs religieux pour lutter contre les processus de radicalisation et promouvoir des pratiques religieuses pacifiques. Or nous avons un certain nombre d'outils pour les aider dans leurs initiatives, notamment les financements de l'AFD, j'y reviendrai.

Enfin, une troisième menace pèse particulièrement sur nos intérêts, c'est celle issue de nos compétiteurs stratégiques. Il est clair notamment que la Russie, après les succès rencontrés en République centrafricaine, au Mali et au Burkina Faso, ne va pas en rester là. D'ores et déjà, la Côte d'Ivoire compte de nombreux influenceurs pro-russes. Si les pays du Golfe de Guinée venaient à être déstabilisés par les mouvements djihadistes comme les pays du Sahel l'ont été, il y a fort à parier que les Russes chercheraient à reproduire le succès qu'ils ont rencontré au Sahel.

Pour résumer, la région du Golfe de Guinée constitue un foyer de développement essentiel pour l'Afrique de l'Ouest et nous y avons des intérêts significatifs qu'il nous revient de protéger. Cette région est prise en étau entre plusieurs menaces majeures, auxquelles il convient donc de faire face tout en prenant en compte nos échecs passés.

La période est évidemment favorable à ce genre de réflexion, au moment où nos armées sont contraintes de quitter le Mali et le Burkina Faso et où nous sommes défiés sur tous les continents par la Russie et la Chine.

Puisqu'on a pris l'habitude de raisonner en « 3D » (diplomatie, défense et développement), j'évoquerai d'abord le premier D, la diplomatie.

En plus du soutien à la lutte contre les djihadistes que j'ai déjà évoqué, il est indispensable de se battre dès aujourd'hui sur le terrain de l'influence. Nous avons déjà commencé : la France dispose désormais d'un ambassadeur dédié à la diplomatie publique en Afrique et l'État-major des Armées a créé une cellule Anticipation, stratégie et orientation (ASO).

Au-delà de ces démarches utiles, il est indispensable de trouver des relais non institutionnels pour utiliser les réseaux sociaux d'une manière plus offensive. Cela semble à l'opposé de la diplomatie traditionnelle, plutôt discrète, et nous n'en avons pas l'habitude, mais c'est indispensable. Nous savons comment agissent nos concurrents. Encore récemment, il a été démontré qu'une société israélienne avait non seulement mis en place de faux influenceurs au Burkina Faso, mais avait aussi utilisé un hebdomadaire français pour diffuser une information visant à discréditer le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), accusé d'avoir noué des alliances avec des groupes djihadistes pour pouvoir y circuler librement. Nous devons aussi compter avec le panafricanisme, un réel courant de pensée, légitime, qui trouve actuellement des échos dans certaines luttes pour les droits dans les pays occidentaux. Toutefois, il ne faut pas être naïfs : c'est aussi un mouvement qui peut être instrumentalisé par les adversaires de la France. En particulier par la Russie, qui mène contre nous une offensive idéologique globale en Afrique, prônant le retour à des valeurs autoritaires contre les valeurs « dépravées » de l'Occident.

Il ne s'agit pas, comme nos concurrents, de diffuser cyniquement des mensonges, mais au contraire de diffuser et d'illustrer davantage deux vérités : celle de ce que nous accomplissons en faveur des populations, et celle de ce que certains de nos compétiteurs font en réalité. Il est donc plus que jamais nécessaire de trouver des relais, des influenceurs qui seraient prêts à diffuser nos messages.

De manière complémentaire, il est sans doute nécessaire de faire évoluer notre modèle d'aide au développement. Au total, l'AFD a investi 5,15 milliards d'euros entre 2016 et 2020 au sein des pays du Golfe de Guinée, soit 23% de ses engagements totaux en Afrique. Rien qu'au Nigeria, l'AFD a engagé 2,5 milliards d'euros depuis 2008, soit le deuxième engagement de l'agence sur le continent derrière le Maroc. De même, la Côte d'Ivoire était la première bénéficiaire de l'APD française en 2018 et encore la troisième en 2021 avec 251 millions d'euros. Un troisième « Contrat de désendettement et de développement » (C2D), dont l'AFD assurera la mise en oeuvre, a été récemment signé avec ce pays pour un montant de 1,144 milliard s'euros.

Pourtant, deux évolutions sont selon nous nécessaires dans ce domaine. Puisque ces pays ont pris conscience de la menace djihadiste, il faut les soutenir en même temps dans leurs efforts de développement socio-économique des régions du Nord. C'est déjà en partie le cas. Nous avons ainsi constaté que la stratégie « Golfe de Guinée » de l'AFD prend explicitement en compte le risque de développement du terrorisme dans le Nord. Dans ce cadre, les projets en matière de conciliation des usages du sol, d'emploi des jeunes et d'éducation doivent être multipliés, ce qui suppose de maintenir des moyens importants en dons.

Mais en second lieu, l'aide au développement ne peut rester à l'écart de notre effort d'influence. Il paraît nécessaire de privilégier les actions ayant de fortes retombées médiatiques et « réputationnelles ». Comme le faisait remarquer notre ambassadeur au Burkina Faso, les projets structurants sont nécessaires, mais ils n'offrent pas beaucoup de retombées à court terme. Il faut donc ré-augmenter les moyens dont disposent les services de coopération et d'action culturelle (SCAC) des ambassades, car ils ont la réactivité et la culture nécessaire pour ce genre d'actions. Or, malgré une augmentation de leurs financements dans la période récente, ils restent peu pourvus.

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