Intervention de Dominique Lottin

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 1er février 2023 à 8h30
Audition de Mme Dominique Lottin candidate proposée par le président du sénat aux fonctions de membre du conseil supérieur de la magistrature

Dominique Lottin, candidate proposée par le Président du Sénat aux fonctions de membre du Conseil supérieur de la magistrature :

Au préalable, je tiens à remercier le président Larcher de me témoigner sa confiance en me proposant comme personnalité qualifiée pour exercer les fonctions de membre du CSM.

Pour vous exposer comment j'envisagerai d'exercer ces fonctions si votre commission approuve ma désignation, j'ai pris soin de relire avec attention les articles 64 et 65 de la Constitution, consacrés au CSM et à ses missions. Force est de constater que, si le constituant de 2008 a décidé de mettre fin à la présidence du Conseil par le Président de la République et à sa vice-présidence par le garde des sceaux et a réaffirmé la place et le rôle du CSM pour garantir l'indépendance de l'autorité judiciaire, il n'a pas pour autant, me semble-t-il, et sous réserve de votre appréciation, instauré un conseil de justice, qui serait chargé, comme cela existe dans d'autres pays européens, de l'administration et de la gestion de la justice.

Ainsi, les deux missions principales confiées au CSM demeurent, en l'état des textes : d'une part, la nomination des magistrats ; et, d'autre part, la déontologie et la discipline des magistrats.

J'ai bien conscience que ces deux missions sont particulièrement lourdes et délicates, puisqu'il s'agit de garantir au justiciable d'être jugé par un tiers indépendant et impartial, mais aussi par un magistrat compétent, diligent, irréprochable et respectueux des droits de celui qui se présente devant lui. L'indépendance des magistrats, qu'ils soient du siège ou du parquet, c'est d'abord et avant tout une protection pour le justiciable, même s'il importe aussi, bien sûr, de garantir aux magistrats de pouvoir exercer librement leur office, sans pression ni intimidation.

Par ailleurs, si le CSM réuni en formation plénière est chargé de répondre aux demandes d'avis formulées par le Président de la République, il n'est pas, me semble-t-il, chargé de mener un travail de doctrine sur l'avenir de la justice. Cela ne lui interdit pas de contribuer à la réflexion lorsqu'il est sollicité dans le cadre des travaux, notamment parlementaires, pouvant avoir une incidence sur l'indépendance de l'autorité judiciaire ou le statut des magistrats. Il est d'ailleurs légitimement et fréquemment consulté dans ces domaines.

Le CSM doit aussi rendre compte de son activité, communiquer sur ses travaux, participer aux rencontres et aux échanges avec ses homologues européens. Mais, même si la tentation est forte de prendre part au débat public lorsqu'il porte sur l'institution judiciaire ou lorsqu'il a des incidences sur cette dernière, il ne doit le faire qu'avec parcimonie, car il ne saurait empiéter sur les prérogatives du Gouvernement ou du Parlement.

J'ai toujours été convaincue que l'autorité judiciaire et le CSM, organe constitutionnel chargé de contribuer à garantir son indépendance, avaient une place particulière au sein de l'État. Cette conviction s'est encore renforcée depuis que j'ai quitté la magistrature, il y a plus de cinq ans, pour entrer au Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel est très régulièrement saisi de questions le conduisant à définir la place, le rôle et les contours de l'autorité judiciaire. Dans ces domaines, les procédures furent nombreuses ces dernières années. Je n'en citerai que quelques exemples : la dernière loi de programmation de la justice, les lois relatives à la sécurité intérieure ou encore les régimes de l'état d'urgence sanitaire, pour lesquels s'est posée la question cruciale des modalités de contrôle des mesures de restriction des libertés individuelles. En outre, plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) nous ont conduits à traiter du sujet sensible du statut du parquet.

Au sein du Conseil constitutionnel, j'ai abordé bien d'autres sujets et principes touchant au fonctionnement de l'État, des collectivités territoriales et des institutions en général. J'y ai travaillé avec des personnalités aux parcours particulièrement riches et divers. J'ai ainsi pu acquérir de nouvelles compétences et porter un autre regard, désormais distancié, sur l'institution judiciaire.

Naturellement, je n'oublie pas l'institution judiciaire. J'y ai exercé l'essentiel de ma carrière dans les fonctions juridictionnelles les plus variées, au pénal comme au civil, en première instance comme en appel, et pendant près de dix années dans des fonctions administratives et de direction au ministère de la justice, notamment comme adjointe du secrétaire général, puis comme directrice des services judiciaires. C'est ce qui me permet de bien connaître, de l'intérieur, le monde de la justice et ses modes de fonctionnement. J'ai la faiblesse de penser que cette expérience pourrait être un atout pour siéger au CSM, comme elle m'a aidée dans mes fonctions de membre du Conseil constitutionnel.

En cette qualité, il m'a fallu aborder les questions touchant à l'institution judiciaire en toute indépendance et avec un regard extérieur. C'est ce que je me suis employée à faire, même si cela n'a pas été simple dans les premiers mois.

À ce titre, une anecdote me revient en mémoire. C'était quelques mois après ma prise de fonctions. Alors que nous déjeunions dans la salle à manger du Conseil, comme tous les jeudis à l'issue de notre séance, le président Fabius m'a fait observer que, depuis quelques semaines, j'avais abandonné l'expression par laquelle je commençais trop souvent mes interventions, à savoir « nous, les magistrats judiciaires », pour utiliser le « nous » et m'inclure ainsi parmi les membres du Conseil. Cette observation m'a fait réfléchir : j'ai pris conscience que j'avais sans doute franchi une étape indispensable à l'exercice de mes fonctions et qu'il me fallait poursuivre mes efforts pour me détacher définitivement de l'institution judiciaire à laquelle j'avais appartenu.

Je crois pouvoir dire que j'y suis parvenue ; j'ai ainsi pu porter sur cette institution un regard critique, au sens premier et positif du terme.

Soyez-en assurés : si vous confirmez ma nomination comme personnalité qualifiée du CSM, c'est avec la même indépendance, le même regard critique, la même impartialité, intégrité et dignité que j'exercerai mes fonctions. Je veillerai en toute circonstance à ce qu'aucun soupçon ne puisse se faire jour quant à l'indépendance du CSM. Pour clore la discussion juridique qui s'est dernièrement ouverte, j'ajoute que j'ai décidé de renoncer définitivement à la possibilité, qui m'était offerte par l'article 77 de l'ordonnance statutaire de 1958, de me prévaloir de l'honorariat.

S'agissant de la nomination des magistrats, la mission essentielle confiée au CSM est de rechercher la personne la plus qualifiée pour occuper le bon poste au bon moment. Le CSM doit ainsi contribuer à définir la politique de gestion des ressources humaines la plus cohérente et la plus efficace possible.

L'équilibre trouvé dans un partage des compétences entre la direction des services judiciaires et le CSM, d'une part, un contrôle réciproque, de l'autre, me paraissent de nature à mieux garantir l'indépendance de la magistrature, en laissant au garde des sceaux l'administration générale et la définition des orientations nécessaires à la conduite des politiques judiciaires comme à la mise en oeuvre des réformes décidées par le Gouvernement et votées par le Parlement.

Pour ce qui concerne les nominations des magistrats, la tâche du CSM est particulièrement lourde. Les membres communs sont appelés à statuer sur plus de 2 300 mouvements par an, dont environ 80 portent sur des nominations prises sur son initiative. Cette mission exige une grande disponibilité et un engagement sans faille.

En soi, le nombre de ces mouvements conduit à s'interroger sur la question délicate de la mobilité des magistrats, parfois trop rapide et parfois inexistante. À cet égard, les préconisations formulées par votre commission sont toujours d'actualité, qu'il s'agisse du rythme des transparences, des durées minimale et maximale d'exercice des fonctions ou du renfort de l'attractivité de certaines juridictions, notamment par des incitations financières et d'ancienneté. C'est à ce prix que la carte territoriale des juridictions sera maintenue.

Il est tout aussi important que les magistrats s'inscrivent dans la vie des territoires, dont ils sont un acteur social de premier ordre. Ce n'est pas la même chose de rendre la justice dans les Hauts-de-France ou en Normandie. Malheureusement, faute de temps, mais aussi par peur de se compromettre, une grande majorité de magistrats se sont repliés sur eux-mêmes, évitant les échanges avec leurs partenaires institutionnels et même avec les barreaux. Ce repli sur soi est dévastateur à plus d'un titre. Il contribue aussi - j'en suis convaincue - à la perte de sens qui frappe les jeunes générations. Il faut leur redonner du temps pour s'ouvrir aux autres et reprendre leur place dans la cité. Pour ce faire, je crois comme vous qu'il faut développer les équipes pluridisciplinaires autour des magistrats. Nourrie de l'expérience du Conseil constitutionnel, où le travail en équipe est une réalité, j'ai engagé une réflexion sur ce sujet.

Le CSM devra accompagner ce changement de culture en valorisant le parcours de ceux qui, à l'issue de ce travail d'assistance, souhaiteront rejoindre la magistrature.

En outre, il me semble important de diversifier encore davantage le recrutement des magistrats pour que ce corps soit à l'image de la population, constitué d'individus plus ou moins jeunes, directement issus de l'université ou ayant une expérience professionnelle antérieure, apportant du sang neuf à la magistrature.

Le développement de l'open data des décisions de justice va très certainement révolutionner le fonctionnement des juridictions ; les magistrats devront être prêts à affronter ces bouleversements.

J'en viens à la seconde mission confiée au CSM, qui est tout aussi essentielle : la déontologie et de la discipline des magistrats.

Force est de constater que, dans ce domaine, des améliorations sont nécessaires. En particulier, la saisine du CSM par tout justiciable, ouverte en 2011, n'est toujours pas opérationnelle. Après dix années de fonctionnement, seuls treize dossiers ont donné lieu à une décision de renvoi devant la formation disciplinaire. Certes, la très grande majorité des saisines sont irrecevables, parce qu'elles portent sur le fond de la décision rendue ; il n'en demeure pas moins que le mode de saisine ne répond pas à la volonté du législateur de renforcer la confiance des citoyens dans l'institution judiciaire.

De même, les questions de déontologie et de discipline exigent une vision globale. Elles doivent être traitées dès la formation des magistrats, puis par la mise en place de tutorats et par le retour à la collégialité. S'y ajoutent, bien sûr, les questions touchant à l'évaluation des magistrats et à la nécessité, dans un certain nombre de cas, de prononcer des sanctions disciplinaires.

Il est indispensable de trouver un juste équilibre entre l'impératif d'exemplarité, qui s'impose à tout magistrat pour garantir une justice impartiale et de qualité, et la nécessité de sauvegarder l'indépendance juridictionnelle des magistrats et la sérénité des conditions d'exercice de leur office. J'ai bien conscience que cet équilibre est particulièrement difficile à trouver. Dans ce domaine, comme pour toutes les attributions du CSM, il faut se garder des a priori et des idées préconçues.

J'en reste convaincue, quels que soient son parcours et son expérience professionnelle, l'exercice de nouvelles fonctions exige un regard neuf et un investissement personnel pour compléter ses connaissances et acquérir les compétences nécessaires. Il suppose également la capacité d'oeuvrer à une mission collective en s'enrichissant des échanges avec les autres membres. C'est tout l'intérêt du travail en collégialité. Soyez assurés que je suis prête à consentir cet investissement et à travailler dans cet état d'esprit, si vous me faites l'honneur de donner un avis favorable à la proposition de nomination du président du Sénat.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion