Intervention de Patrick Titiun

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 1er février 2023 à 8h30
Audition de M. Patrick Titiun candidat proposée par le président de la république aux fonctions de membre du conseil supérieur de la magistrature

Patrick Titiun, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de membre du Conseil supérieur de la magistrature :

C'est avec beaucoup d'humilité que je me présente devant vous.

Le Président de la République a bien voulu vous soumettre ma candidature pour siéger au CSM, l'organe statutaire qui l'assiste dans sa mission de garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire.

Outre les avis qu'il rend au Président de la République et au garde des sceaux, le CSM exerce une double fonction. D'une part, c'est un organe de ressources humaines : c'est lui qui procède aux nominations des hauts magistrats du siège de la Cour de cassation, des premiers présidents des cours d'appel et présidents des tribunaux judiciaires ; il donne également son avis sur les nominations des magistrats du ministère public. D'autre part, c'est l'organe disciplinaire de la magistrature de l'ordre judiciaire.

Je vais vous présenter mon parcours en insistant plus particulièrement sur les aspects en lien avec l'activité du CSM.

En 1983, il y a quarante ans presque jour pour jour, je suis entré à l'École nationale de la magistrature (ENM). Au cours de ma scolarité, j'ai accompli un stage au tribunal de grande instance de Guingamp et, à l'issue de ma formation, j'ai été nommé juge au tribunal de grande instance de Metz, chargé du service du tribunal d'instance - selon la terminologie de l'époque. J'y suis resté cinq ans et, en 1990, j'ai quitté définitivement la juridiction.

J'ai alors été nommé au ministère des affaires étrangères en qualité de secrétaire des affaires étrangères. J'avais alors un double rôle.

Premièrement, il s'agissait de défendre la France devant les organes de la Convention européenne des droits de l'homme, à savoir la Commission européenne des droits de l'homme, aujourd'hui disparue, et la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui, à l'époque, n'était pas directement accessible aux justiciables. À ce titre, j'ai travaillé principalement sur des dossiers de dysfonctionnements du service public de la justice - longueurs excessives de détention provisoire ou de procédures civiles, atteintes à la présomption d'innocence, etc. Tout en défendant la position française, mon équipe avait pour rôle d'obtenir des règlements amiables avec les requérants.

Deuxièmement, il s'agissait de mener les négociations du protocole n° 11 à la Convention européenne des droits de l'homme. Ce travail a abouti, le 1er novembre 1998, à la création de la nouvelle CEDH, telle que nous la connaissons tous aujourd'hui : cette cour unique et permanente que les justiciables peuvent saisir directement.

En 1994, j'ai rejoint, par concours, le Conseil de l'Europe, qui était alors en pleine mutation. Cette institution accueillait en effet les pays d'Europe centrale et orientale (Peco), qui faisaient leur transition vers la démocratie. Mon rôle a été de former aux valeurs du Conseil de l'Europe les magistrats et les avocats de ces États. J'ai aussi participé, dans ces pays, à la création d'institutions inconnues derrière l'ancien rideau de fer, comme les écoles de magistrature, les médiateurs, sur le modèle du médiateur de la République français, et les conseils supérieurs de justice et de la magistrature. Je me suis appuyé sur l'expertise de membres du CSM : ce fut mon premier contact avec cette institution.

Cette période de ma vie professionnelle fut d'autant plus marquante que j'ai rencontré de nombreux juges de ces pays, notamment des juges roumains qui avaient exercé sous la dictature de Ceausescu. Ils m'ont expliqué ce que cela signifiait d'être juge sous un régime privé de l'indépendance de la justice ; dans un régime où ils pouvaient, du jour au lendemain, être mutés à l'autre bout du pays pour avoir déplu aux autorités. Je n'en ai que mieux mesuré l'importance de l'inamovibilité des magistrats.

En 1998, j'ai été nommé conseiller juridique du Conseil de l'Europe. En cette qualité, j'ai été chargé d'affaires disciplinaires concernant les agents de cette institution, qu'il s'agisse de problèmes de déontologie ou de responsabilité. J'étais tenu de proposer au secrétaire général du Conseil de l'Europe les mesures disciplinaires qu'il convenait de prendre et de le défendre lorsque les agents formaient recours. Dans la même période, j'ai été secrétaire de la conférence des ministres européens de la justice du Conseil de l'Europe. En 2004, j'ai également assuré l'organisation, à l'échelle européenne, du bicentenaire du code civil, avec Simone Veil comme rapporteur général.

En 2007, Jean-Paul Costa, premier président français de la CEDH depuis René Cassin, m'a appelé à ses côtés pour diriger son cabinet. Au total, six présidents lui ont succédé depuis lors ; ils m'ont fait l'honneur de me conserver auprès d'eux, si bien que j'exerce toujours ces fonctions seize ans plus tard.

Au sein de la CEDH, mon rôle n'est pas de nature judiciaire. J'ai mis en oeuvre, à la demande de Jean-Paul Costa, ce qu'il appelait la diplomatie judiciaire. Le but était que la Cour soit en relation permanente avec les différents acteurs de la vie démocratique, à commencer par les cours supérieures travaillant, dans chaque État membre, au service de l'État de droit. La Cour ne suit pas une conception pyramidale : pour reprendre les termes de François Ost, nous sommes passés de la pyramide au réseau. Les cours supérieures et la CEDH forment en quelque sorte les différents éléments d'un mobile de Calder, pour reprendre l'expression de l'ancien président de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, Andreas Voßkuhle. Grâce au Conseil d'État et à la Cour de cassation français, ce travail a d'ailleurs abouti, en 2015, à la création d'un réseau des cours supérieures, qui rassemble aujourd'hui plus de cent juridictions représentant la quasi-totalité des États membres du Conseil de l'Europe. À cet égard, ce réseau est unique au monde.

S'y ajoutent des relations avec les avocats, qui sont fondamentales, car ces derniers font vivre la Convention européenne des droits de l'homme, avec les organisations non gouvernementales (ONG), très actives dans ce domaine, et avec les Parlements.

Lorsque j'organise les activités du président de la CEDH, notamment ses missions dans les pays membres du Conseil de l'Europe, le programme comporte toujours des rencontres avec les parlementaires. D'ailleurs - ce n'est pas anodin -, la première visite officielle de la nouvelle présidente de la CEDH a été réservée aux deux chambres du Parlement français.

Ces relations sont essentielles. Vous le savez, ce sont les parlementaires qui élisent les juges de la CEDH et la délégation française comprend des sénateurs particulièrement actifs. En outre, le Parlement joue un rôle majeur pour l'exécution des arrêts de la Cour, lorsqu'il y a lieu d'amender la législation. Il y a une dizaine d'années, les commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat se sont d'ailleurs rendues à la Cour pour un échange qui m'avait semblé très fructueux.

Les questions d'éthique sont au coeur de l'activité du CSM. Le Conseil a ainsi élaboré un recueil des obligations déontologiques des magistrats, adopté en 2010 et actualisé en 2019. La CEDH a emprunté la même voie : dès 2008, elle s'est dotée d'une résolution sur l'éthique judiciaire - j'ai participé à ce travail -, document révisé en 2021.

Je suis également chargé de la communication de la CEDH et, de ce fait, je suis sensibilisé aux questions dont il s'agit. Il est important que le justiciable puisse avoir connaissance des arrêts des juridictions, de la manière la plus lisible qui soit.

Les juridictions supérieures françaises, que ce soit le Conseil d'État ou la Cour de cassation, ont beaucoup amélioré leur communication. Aujourd'hui, on trouve sur les comptes Twitter de ces institutions des informations très précises relatives à la jurisprudence, notamment des séries de questions-réponses permettant de bien comprendre les décisions rendues. C'est la démarche que j'ai adoptée à la CEDH.

De surcroît, le CSM est engagé dans le Réseau européen des conseils de la justice (RECJ) ; mon expérience internationale pourra peut-être se révéler utile à ce réseau.

Le CSM joue également un rôle en matière de ressources humaines et ce domaine ne m'est pas inconnu : depuis une quinzaine d'années, je participe à des jurys de recrutement et j'ai à me prononcer sur la promotion des agents de la CEDH.

Parmi les mesures proposées par les États généraux de la justice figure l'évaluation à 360 degrés pour les magistrats qui ne sont pas évalués, c'est-à-dire, pour l'essentiel, les plus hauts d'entre eux. Cette méthode, qui me paraît très intéressante, est appliquée depuis assez longtemps au Conseil de l'Europe ; ainsi, j'ai été tour à tour évalué et évaluateur et je pourrais apporter mon expérience au CSM si vous me jugez digne d'en faire partie.

Le rapport des États généraux préconise aussi le développement de l'équipe autour du juge. Cette idée très importante, qui figurait déjà dans le rapport Haenel-Arthuis, permettrait de rompre la solitude des juges, aujourd'hui tant déplorée. Un certain nombre de recrutements, notamment de juristes assistants, sont prévus à cet effet. La CEDH applique déjà ce système et j'en mesure toute la valeur pour les quarante-six juges de cette cour.

Enfin, je me dois de mentionner l'ENM, outil essentiel pour renforcer la déontologie. Les magistrats doivent être formés à la déontologie dès le premier jour de leurs études, puis tout au long de leur carrière, notamment à l'occasion de leur changement de fonctions. Les questions déontologiques peuvent en effet varier selon les postes.

Depuis quelques années, la jurisprudence de la CEDH évolue au sujet de l'indépendance de la justice. En effet - le contentieux en témoigne -, les atteintes à l'indépendance de la justice se font de plus en plus nombreuses dans certains pays, notamment en Hongrie et en Pologne, où une centaine d'affaires sont en cours. Elles se traduisent souvent par la révocation de membres des conseils de justice. Dans un tel contexte, le CSM n'en a que plus d'importance pour la garantie de l'État de droit.

Cette nomination, si vous la confirmez, sera pour moi l'aboutissement d'une carrière entièrement consacrée à la justice, nationale, puis internationale.

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