Intervention de Jonathan Gilad

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 26 janvier 2023 : 1ère réunion
Continuité territoriale entre l'hexagone et les outre-mer — Table ronde sur le dispositif applicable à la réunion et à mayotte

Jonathan Gilad, directeur de la sécurité de l'aviation civile océan Indien (DSAC-OI) :

Je tiens tout d'abord à remercier la Délégation sénatoriale aux outre-mer pour son invitation à participer à cette table ronde consacrée à la continuité territoriale à La Réunion et à Mayotte. Je suis directeur de la sécurité de l'avion civile océan Indien. Dans les territoires, cette direction exerce un double rôle. D'une part, nous exerçons les prérogatives de l'autorité de surveillance en matière de sécurité aérienne et de sûreté pour l'ensemble des territoires français de l'océan Indien. Concrètement, nous veillons à ce que les opérateurs de l'écosystème aéronautique respectent et appliquent la réglementation en matière de sécurité et de sûreté. Nous les accompagnons dans les éventuelles actions correctives qu'ils doivent mettre en oeuvre.

D'autre part, je représente le directeur général de l'aviation civile pour les missions régaliennes de la DGAC, notamment en matière d'environnement et de régulation économique ainsi que dans l'accompagnement de la filière aéronautique.

En propos liminaire, je vous propose de vous présenter quelques éléments de contexte du transport aérien entre la zone de l'océan Indien et l'Hexagone. Après une description rapide des infrastructures existantes, j'exposerai notre perception de l'offre actuelle de transport aérien ainsi que les tarifs appliqués.

Dans la zone océan Indien, nous disposons de trois aéroports commerciaux certifiés, dont sur l'île de La Réunion l'aéroport de Saint-Pierre Pierrefonds et l'aéroport Roland Garros et à Mayotte l'aéroport Marcel Henry. Ces infrastructures aéroportuaires sont stratégiques pour la collectivité et les territoires ultramarins, et garantissent la continuité territoriale avec la métropole et entre les territoires de l'océan Indien.

En termes de trafic, l'année 2022 a vu une reprise forte, au-delà des attentes, principalement portée par les liaisons avec la métropole. Pour La Réunion Roland Garros, ce sont 2,3 millions de passagers qui ont transité en 2022 contre 2,4 millions en 2019. Pour Mayotte, ce sont près de 400 000 passagers en 2022 contre 388 000 en 2019.

Je vous propose de faire une description rapide du paysage concurrentiel qui a été évoqué par la vice-présidente du Conseil départemental de Mayotte.

Je vous communiquerai également quelques chiffres sur l'évolution de l'offre de sièges et des fréquences, en distinguant les liaisons La Réunion-métropole, Mayotte-métropole et Mayotte-La Réunion.

S'agissant de l'état de la concurrence, quatre compagnies aériennes proposent des vols entre La Réunion et la métropole : Air France, Air Austral, French Bee et Corsair. La métropole s'entend de Paris principalement, mais il y a également des liaisons entre La Réunion et Marseille, ainsi que Lyon.

Pour Mayotte, deux compagnies aériennes proposent des vols entre Mayotte et Paris : Air Austral et Corsair. Cette dernière pratique une escale à La Réunion dans les deux sens, tandis qu'Air Austral dispose d'un appareil qui lui permet de proposer des vols directs entre Mayotte et Paris. Toutefois en période d'été austral - c'est-à-dire en ce moment - une escale technique à Nairobi est nécessaire compte tenu des limitations techniques liées à la piste de Mayotte. À ce propos, un projet de construction d'une piste longue permettant de garantir la possibilité technique d'effectuer des vols directs entre Mayotte et Paris tout au long de l'année est en cours d'étude.

Enfin pour les liaisons entre Mayotte et La Réunion, trois compagnies proposent des vols, très majoritairement vers l'aéroport Roland Garros : Air Austral, Ewa Air et Corsair. De façon saisonnière, quelques vols sont proposés entre Mayotte et Pierrefonds mais, pour le moment, ils sont suspendus.

Un paysage concurrentiel s'est donc installé sur les lignes desservant les territoires de l'océan Indien.

Les routes aériennes entre la métropole et les départements d'outre-mer ainsi que les routes aériennes entre ces départements sont des liaisons européennes et donc à ce titre, entièrement libéralisées. Toute compagnie française et même européenne peut librement les exploiter sans limitation. Les compagnies n'ont pas besoin d'autorisation spécifique. Une simple notification à la DGAC leur suffit pour débuter leur service, si elles le souhaitent.

L'offre de sièges et les fréquences varient en fonction des périodes et présentent une forte saisonnalité.

Pour La Réunion, durant la saison IATA hiver (qui va d'octobre à mars), on constate une croissance de l'offre de sièges de l'ordre de 9 % par rapport à la période pré-Covid, soit près de 746 000 sièges pour la saison hiver 2022-2023, à comparer à 683 000 sièges pour la saison hiver 2019-2020. Cette évolution est notamment liée à l'augmentation des capacités de French Bee et à la mise en place d'un vol vers Charles de Gaulle par Air France.

Pour la saison IATA été (de mars à octobre), on constate une offre globalement stable, avec 1,2 million de sièges offerts en 2023 contre 1,03 million de sièges en 2019. Sur l'année IATA complète 2022-2023, ce sont donc près de 1,75 million de sièges offerts sur la route Réunion-métropole.

Les fréquences varient entre 24 rotations hebdomadaires sur les semaines les plus creuses à 59 rotations hebdomadaires en période de pointe.

Concernant Mayotte, l'offre de sièges a plus que doublé pour la saison IATA hiver, passant de 35 500 avant la crise sanitaire à plus de 76 000 pour la saison hiver 2022-2023, soit une augmentation de 115 %. Pour la saison IATA été, l'offre à venir serait supérieure de 71 % par rapport à la période pré-Covid, passant de 85 000 en 2019 à 145 000 en 2023.

Cette augmentation forte de l'offre de sièges s'explique par le retour de la concurrence sur cette liaison, avec l'arrivée de la compagnie Corsair.

Les fréquences vont de 6 rotations hebdomadaires pour les semaines les plus creuses à 12 rotations hebdomadaires en période de pointe.

Sur l'année IATA complète 2022-2023, ce sont près de 320 000 sièges qui sont offerts sur la ligne Mayotte-métropole.

Pour les liaisons entre Mayotte et La Réunion, l'offre de sièges a augmenté de 50 % par rapport à la période pré-Covid. Sur la période IATA hiver, le nombre de sièges passe de 94 000 sur la saison hiver 2019-2022 à 139 000 pour 2022-2023. En été, le nombre de sièges passe de 120 000 sièges offerts en 2019 à 179 000 en 2023. Sur une année complète, ce sont près de 320 000 sièges qui sont offerts sur la ligne Mayotte-Réunion.

Les fréquences vont de 9 rotations hebdomadaires pour les semaines les plus creuses à 23 rotations hebdomadaires pour les périodes de pointe.

La liberté tarifaire est la règle pour les transporteurs entre l'Hexagone et les outre-mer. En droit européen, des aménagements tarifaires sont toutefois possibles sous certaines conditions liées à l'imposition d'obligation de service public. De telles obligations de service public ont déjà été fixées pour les liaisons entre l'Hexagone et les régions ultrapériphériques, qui prévoient en particulier des réductions tarifaires obligatoires pour les mineurs, les personnes endeuillées ainsi que des possibilités d'évacuation sanitaire.

La concurrence effective sur les liaisons vers La Réunion, ainsi que la difficulté à faire la preuve de besoins vitaux pour le développement économique et social de ces territoires, font que le cadre juridique européen ne permet pas de démontrer la proportionnalité d'une mesure imposant des prix maximum, s'il était envisagé une extension des contraintes tarifaires actuelles sur ces liaisons. En l'occurrence, ces besoins vitaux tels que la formation ou la santé, et pour lesquels les prix résultant de l'initiative commerciale des transporteurs peuvent paraître inadéquats, sont pris en compte par les aides sociales instaurées dans le cadre de la continuité territoriale.

En ce qui concerne l'évolution des prix, je laisserai la parole aux compagnies aériennes qui sont les mieux placées pour évoquer leur politique tarifaire. J'apporterai néanmoins quelques éléments de contexte pour comprendre la construction des prix. Cette construction passe d'une part par la compréhension des coûts, et d'autre part par la compréhension de la construction du prix en elle-même. Les structures des coûts sont variables en fonction des tailles de compagnies, des types de routes exploitées ou de services proposés. Néanmoins, une constante reste la part prépondérante du coût du carburant. Ainsi entre les mois de septembre 2021 et septembre 2022, le prix en euros du kérosène a presque doublé.

Un autre élément influençant la construction des prix est l'usage par les compagnies aériennes des techniques de gestion de la recette, connues sous l'appellation yield management, qui conduisent pour un même vol à proposer une multitude de tarifs différents afin de répondre aux attentes et contraintes des voyageurs. Les tarifs varient aussi en fonction de la classe de voyage, mais aussi de la date et de la durée du voyage, des conditions de modification du billet, etc.

La hausse des prix des billets d'avion sur un an peut s'expliquer par une série de facteurs propres à l'ensemble des transporteurs aériens : la hausse générale des coûts liée à l'inflation, notamment les coûts salariaux, la hausse plus spécifique du prix des carburants, l'évolution défavorable de la parité euro-dollar.

Les transporteurs devant faire face à l'augmentation de leurs coûts d'exploitation et disposant d'une trésorerie fragilisée par la crise sanitaire, se retrouvent contraints de reporter au moins en partie, toute hausse sensible de leurs coûts sur le prix du billet. En 2022, on a donc vu les prix des billets augmenter de façon significative par rapport à 2021 pour les liaisons entre la métropole et les territoires de l'océan Indien. Il convient néanmoins de noter que les prix des billets d'avion avaient fortement diminué en 2021 sous l'effet conjugué d'un nouvel entrant sur le marché et des restrictions de voyage liées à la crise sanitaire.

La hausse des prix en 2022 relève d'un effet de rattrapage, étant observé que le niveau des prix actuel est encore inférieur à 2017. La tendance structurelle sur les dix dernières années reste donc une baisse des prix. Pour autant, ces moyennes annuelles ne doivent pas occulter la forte saisonnalité des prix, notamment lors des pics de trafic constatés pendant la période estivale ou celle des fêtes de fin d'année.

En conclusion, un paysage concurrentiel s'est mis en place pour les liaisons entre Mayotte, La Réunion et l'Hexagone. Cette concurrence a contribué à augmenter l'offre de sièges et les fréquences des vols, et à amortir une partie des hausses des coûts d'exploitation par les compagnies aériennes.

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