Intervention de Normane Omarjee

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 26 janvier 2023 : 1ère réunion
Continuité territoriale entre l'hexagone et les outre-mer — Table ronde sur le dispositif applicable à la réunion et à mayotte

Normane Omarjee, vice-président délégué au désenclavement aérien, maritime et numérique :

Conseil régional de La Réunion, vice-président délégué au désenclavement aérien, maritime et numérique. - Notre insularité crée une vulnérabilité de nos territoires, dont il découle un sentiment - avant que ce soit une réalité - d'être dans une situation d'inégalité de traitement par rapport aux Français de l'Hexagone. Je procèderai à un rappel historique pour comprendre la situation.

Dans les années 1990, quand est décidé de créer à La Réunion une société d'économie mixte actionnaire d'une compagnie aérienne, puisque la loi le permet, nous rencontrons une difficulté réelle, non de prix, mais de desserte aérienne continue.

Je mets en parallèle cette situation avec le maritime, où nous n'avons pas de desserte continue à l'heure actuelle, d'où un coût extrêmement important, entraînant un impact sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens.

Par conséquent, le vrai sujet est à la fois ce sentiment de vulnérabilité et d'inégalités réelles et un coût de la vie excessivement important sur notre territoire. Cette problématique se retrouve dans le domaine aérien.

Nous sommes tous attachés au principe d'égalité, d'où découle la notion même de continuité territoriale. Il s'agit d'un beau principe mais qui n'a pas de valeur constitutionnelle. En 2003, le Conseil constitutionnel a affirmé que le principe de continuité territoriale était un corollaire du principe d'égalité, de sorte qu'il ne s'agissait pas en lui-même d'un principe à valeur constitutionnelle. Je vous le dis à vous, législateur : il y a un vrai enjeu de savoir ce que signifie le principe de continuité territoriale. En l'absence d'une telle définition, toutes les discussions sur le pouvoir d'achat seront à mon sens vaines, conduisant à une situation kafkaïenne.

Je veux prendre l'exemple de La Réunion car nos pères fondateurs ont été des visionnaires. Je parle de MM. Pierre Lagourgue et Paul Vergès. Quand ils prennent la responsabilité, en 1990, de créer une compagnie aérienne, Air France était en situation de monopole. Le choix courageux qu'ont opéré ces fondateurs a initialement porté sur une desserte régionale, avant de porter sur une desserte vers l'Hexagone. Ce choix a permis de rétablir la concurrence, avec un impact sur les prix.

Aujourd'hui paradoxalement, la ligne Paris-La Réunion est l'une de celles qui dessert le territoire avec quatre acteurs majeurs, sans que dans la perception du public le prix des billets d'avion ait pu baisser. Je mettrai cependant un bémol sur les prix des billets d'avion car sans être l'avocat des compagnies aériennes, il se trouve que selon le quotidien Le Parisien, qui avait établi une liste des destinations dont les prix avaient diminué au cours des trente dernières années, la ligne La Réunion-Paris a baissé de près de 25 %. C'est la réalité objective. De surcroît, nous connaissons la fragilité du secteur aérien et la vulnérabilité des entreprises qui le composent. Nous l'avons découvert lors du sauvetage d'Air Austral, qui nous a occupés ces dix-huit derniers mois, notamment en constatant les marges qui sont très faibles des compagnies aériennes. Pendant la crise Covid, Air France a bénéficié d'une aide, comme d'autres compagnies.

La question qui nous est posée à mon sens, s'agissant du prix des billets d'avion, a trait à l'égalité entre les citoyens.

Pour répondre précisément aux questions qui m'ont été posées, je suis opposé à l'idée d'un prix fixe car je considère pour ma part qu'il n'aurait pas de sens économique. Nous sommes à la fois attachés au principe de l'égalité de traitement pour rejoindre l'Hexagone et à la prise en compte de la situation économique réelle. Le vrai enjeu est de trouver, à travers le principe de continuité territoriale, une valeur constitutionnelle qui inscrirait les territoires ultramarins et leurs citoyens comme bénéficiant aussi de l'égalité de traitement. Beaucoup d'efforts ont été faits par les collectivités régionales pour pallier la carence de l'État et permettre cette continuité territoriale. Pourtant, telle n'est pas la mission d'une collectivité territoriale : ce que nous dépensons pour la continuité territoriale, nous ne pouvons pas le consacrer aux lycées, par exemple.

En son temps, le président Didier Robert avait consacré 50 millions d'euros à la continuité territoriale, ce qui avait été perçu politiquement comme une bonne mesure. Pour autant, la Chambre régionale des comptes a pointé cette mesure, ce qui a ensuite été confirmé par l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux.

Je pense donc que collectivement, nous devons mener une action. Je vous remercie à cet égard de l'initiative qu'a pris aujourd'hui le Sénat. Quand nous avons sauvé Air Austral, une levée de boucliers quelque peu démagogique a eu lieu sur le prix des billets d'avion. C'est un vrai sujet, ne le nions pas, puisqu'il existe une problématique de pouvoir d'achat sur nos territoires. Or, si nous ne consacrons pas le principe de continuité territoriale, nous resterons en permanence dans le palliatif et le correctif, sans jamais répondre de façon durable aux préoccupations des citoyens des outre-mer d'être des Français à part entière.

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