M. Karoutchi me demande ce qu'il y a derrière les crypto-actifs. Je répondrai que c'est comme dans le test de Rorschach : chacun voit la même tache, mais chacun l'interprète différemment ! Certains voient dans les crypto-actifs une occasion de s'enrichir facilement, d'autres une façon d'échapper aux contrôles, d'autres une déclinaison possible de la blockchain. Celle-ci permet de faire circuler l'information de manière rapide et efficace. Elle pourrait être utilisée dans d'autres secteurs, comme la santé par exemple, pour partager des informations entre les patients en attente de greffe et des donneurs potentiels, etc.
La blockchain pourrait être étendue à de nombreux domaines, mais la finance n'est pas son terrain le plus adapté. La finance a-t-elle besoin en effet de plus de vitesse, alors que les titres sont déjà détenus moins d'une seconde en moyenne avec le trading à haute fréquence ? Ce secteur doit-il être encore davantage dérégulé ? On peut s'interroger.
La technologie a échappé à son créateur. Les financiers se sont emparés d'une technologie qui permet d'augmenter la rapidité des échanges et les opportunités de gains. Le point faible du système, ce sont les plateformes : FTX avait un million de clients, mais était installée dans un paradis fiscal, sans comptabilité... Il a suffi d'un tweet du patron de son principal concurrent, Binance, pour la faire plonger en quelques heures. Les plateformes sont des colosses au pied d'argile. Leur existence n'était pas prévue dans le système de Satoshi Nakamoto, ce sont des créations du marché. On a connu des affaires similaires en France : à Dijon, l'entreprise RR Crypto, qui avait quelques milliers de clients, a, apparemment, fait l'objet d'une fraude et plusieurs millions d'euros ont disparu... La régulation doit avant tout viser les plateformes. Le bitcoin surgit du néant, il n'y a pas d'entreprise derrière, c'est un processus algorithmique autoreproductible. La régulation doit contrôler les prestataires de services sur actifs numériques. Ledger permet aux consommateurs de conserver les fonds chez eux sans recours aux plateformes, de gérer directement leur portefeuille, ce qui est plus sûr.
Selon une étude parue dans Les Échos, le nombre d'emplois directs en France dans ce secteur est estimé à un millier.
Les banques centrales sont bien sûr vigilantes. La Banque centrale européenne (BCE) développe un projet d'euro numérique. Ce domaine évolue beaucoup, on a affaire à une vraie révolution, comparable à celle qui a vu naître les banques aux XVIIe et XVIIIe siècles. Pour les banques centrales, la maîtrise des systèmes de paiement et leur stabilité constituent un enjeu crucial. En créant une monnaie numérique, une sorte de « billet » numérique selon les termes de Christine Lagarde, qui permettrait d'établir un lien direct entre les avoirs numériques des usagers et le bilan de la banque centrale, la BCE espère réduire le nombre d'adeptes de la spéculation. La Fed est également vigilante, même si elle ne fait pas partie des pays en première ligne pour créer une monnaie numérique de banque centrale. Les pionniers étaient la Suède et la Chine.
Les crypto-actifs sont un actif de diversification en Europe ou aux États-Unis, mais, dans les pays dont la monnaie s'effondre, les bitcoins sont perçus comme un actif refuge. Certains pays se positionnent clairement comme des paradis fiscaux 2.0 pour attirer cette nouvelle économie, mais encore faut-il disposer de sources d'énergie abondantes, ce qui n'est pas le cas de la République centrafricaine, qui risque de devoir choisir entre le fonctionnement de ses services publics et celui des fermes de minage...
On estime qu'un mineur doit investir 10 000 dollars pour obtenir un bitcoin ; en dessous de ce cours, le système n'est pas rentable. Il existe toutefois d'autres systèmes moins énergivores. L'ethereum est ainsi passé d'un système fondé sur la « preuve de travail » à un système à « preuve d'enjeu », qui est 99 % moins énergivore. Les monnaies numériques des banques centrales ne reposeraient d'ailleurs pas sur la validation d'acteurs privés, mais sur la surveillance des banques centrales. On estime que le contrôle des transactions en bitcoin requiert l'équivalent de la consommation énergétique du Danemark chaque année !
Outre les spéculateurs de métier, dans les pays qui ne connaissent pas une inflation hors de contrôle, le public est jeune et les usagers sont souvent des adeptes de jeux vidéo et numériques. Le noyau de base des consommateurs est donc encore restreint, mais il faut les protéger : par l'éducation ou par la régulation.
Au fond, le moteur de cette cryptosphère, c'est l'avidité 2.0, s'il y a de l'argent à gagner, il y a des acteurs. « Greed is good » - la cupidité, c'est bien -, la devise du personnage du film Wall Street reste d'actualité. Il faut donc accroître la prévention, encadrer les plateformes. Les banques sont prudentes en France et conseillent bien leurs clients, mais le monde numérique exerce un attrait certain vis-à-vis d'une partie de la population.