Intervention de Marie-Anne Barbat-Layani

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 1er mars 2023 à 9h30
Innovation et régulation dans le domaine des crypto-actifs — Audition de mmes marie-anne barbat-layani présidente de l'autorité des marchés financiers faustine fleuret présidente de l'association pour le développement des actifs numériques et de Mm. Nicolas Louvet président-directeur général de coinhouse et bertrand peyret secrétaire général adjoint de l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution

Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l'Autorité des marchés financiers :

Vous en avez fait le constat, la question des crypto-actifs est encore difficilement appréhendée par les régulateurs. Nous devons atteindre le bon équilibre entre le soutien à l'innovation et la protection des investisseurs, qui constitue notre boussole. Cela nécessite de faire preuve d'ouverture d'esprit, de développer une expertise en ce domaine et d'entretenir une relation étroite avec cet écosystème. Nous n'avons pas d'a priori négatif à l'égard de l'innovation, mais nous voulons protéger les épargnants, qui d'ailleurs peuvent y trouver des avantages : facilité d'accès accrue aux services financiers, baisse des coûts, hausse de la concurrence. L'AMF est, depuis plusieurs années, fortement engagée en faveur du développement des fintechs et de l'innovation dans le secteur financier.

Ces dernières années ont vu l'éclosion d'innovations technologiques majeures ; l'AMF a pleinement pris en compte à la fois les opportunités qu'elles peuvent représenter pour l'industrie financière, les épargnants, la Place de Paris et son attractivité, mais également les risques qu'elles peuvent comporter.

La technologie de la blockchain tient une place majeure dans ces innovations. À l'AMF, nous avons accompagné le recours à cette technologie. Nous rencontrons régulièrement les acteurs concernés - nous en avons ainsi reçus près de 800 ces cinq dernières années, nous permettant de mieux comprendre leurs projets et enjeux de développement. Nous publions des guides, des avis et des positions juridiques, à destination des acteurs et aussi des épargnants, et émettons des alertes le cas échéant. Nous instruisons les dossiers qui nous sont adressés, au regard du cadre français relatif aux actifs numériques.

Nous l'avons fait sans a priori, considérant qu'il fallait encourager l'essor d'un écosystème d'acteurs diversifiés et en construction.

La technologie blockchain recouvre de nombreux cas d'usage, aussi bien dans la finance dite « traditionnelle » que dans le monde totalement nouveau des crypto-actifs.

Dans le premier cas, celui de la finance « traditionnelle », nous avons très vite identifié que cette technologie pouvait avoir un impact majeur sur le traitement des titres financiers classiques (actions, obligations par exemple), qui peuvent être « tokenisés » (on parle alors de « security tokens »), et qu'elle permettrait potentiellement d'améliorer l'efficience de la chaîne de transmission des titres : baisse des coûts de la chaîne marché/post-marché, réduction des délais de règlement, facilitation de l'identification des détenteurs, etc.

Ce secteur étant couvert par des réglementations européennes, il fallait une évolution de celles-ci pour permettre les expérimentations de titres financiers sur la blockchain. Notre ambition était, dès l'origine, de mettre en place un régime dérogatoire pour permettre l'échange de ces titres financiers « tokenisés » sur des marchés adaptés, avec le même degré de sécurité que sur un marché traditionnel.

C'est désormais chose faite avec le règlement européen publié en juin 2022 qui a institué un régime pilote pour les infrastructures de marché reposant sur la technologie blockchain, et qui, dès le 23 mars prochain, permettra d'agréer des projets. Le projet de loi Ddadue a permis d'adapter notre droit avec ces nouvelles exigences européennes.

À l'AMF, nous avons soutenu la mise en place de ce régime pilote suffisamment ouvert, afin d'attirer des porteurs de projets nouveaux et ambitieux qui pourraient favoriser l'innovation sur les marchés financiers. Nous verrons rapidement si ce régime est un succès. Si cette expérimentation est satisfaisante, cela sera porteur, à terme, d'une véritable révolution dans la structure des marchés financiers ; elle permettra aux acteurs, en particulier les infrastructures de marché, de s'interroger sur de nouvelles opportunités technologiques de développement tout en maintenant - nous y serons attentifs - des marchés efficients et protecteurs pour les épargnants.

Concernant les autres cas d'usage de la blockchain, beaucoup plus connus, que sont les crypto-actifs, la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, a posé les bases d'un encadrement des activités sur les « actifs numériques » qui ne sont pas des titres financiers. C'est sur ce texte que repose notre compétence comme régulateur.

Nous avions collectivement estimé à l'époque qu'un régime franco-français - mis en place dans une phase relativement précoce de l'essor des activités sur crypto-actifs et traitant d'opérations sans ancrage territorial solide - devait être souple. Il constituait un premier pas vers la régulation. C'est une approche « bac à sable » en matière de régulation.

Le premier volet concerne les ICO (Initial Coin Offering) ou offres au public de jetons : la loi Pacte a mis en place un régime optionnel pour les acteurs souhaitant lever des fonds par l'émission de jetons. Pour les acteurs qui en font la demande, l'AMF délivre un visa sur une offre de jetons, qui apporte un gage de qualité à la documentation publique accompagnant l'offre, et fournit des garanties sur le mécanisme de lutte contre le blanchiment ainsi que sur le dispositif de conservation des actifs pendant l'offre. Seules quatre ICO ont été visées par l'AMF à ce jour.

Le second volet concerne les PSAN a été plus porteur. Il comporte un encadrement à « deux étages ».

Le premier étage est l'enregistrement obligatoire. L'AMF vérifie l'honorabilité et la compétence des dirigeants et des détenteurs du contrôle du PSAN et du premier cercle d'actionnaires. L'ACPR contrôle le dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. À ce jour, 62 PSAN ont été enregistrés par l'AMF, après avis conforme de l'ACPR, ce qui a permis de construire un écosystème français dynamique et de développer l'expertise des autorités sur ce secteur. Mais ce régime d'enregistrement ne couvre pas les aspects prudentiels, la protection des investisseurs, la prévention des conflits d'intérêts ni les aspects de cybersécurité. Ces éléments font l'objet du deuxième étage, l'agrément.

L'agrément PSAN, optionnel, est beaucoup plus exigeant : il apporte notamment une dimension de protection des investisseurs inspirée de la finance traditionnelle. Le caractère optionnel de l'agrément était un choix assumé par la loi Pacte, afin de ne pas limiter le développement de l'écosystème et de ne pas repousser les acteurs hors de France.

Nous constatons que les acteurs ont préféré se tourner davantage vers l'enregistrement. Quelques dossiers d'agrément sont néanmoins en cours d'instruction par les services de l'AMF ; nous nous efforçons d'accompagner les acteurs vers ce cadre, qui apparaît dorénavant nécessaire au regard des évolutions du secteur et qui sera bientôt la norme au niveau européen.

Le monde des crypto-actifs a changé depuis cinq ans et en particulier au cours de l'année 2022. Les valorisations ont été fortement impactées, certains acteurs internationaux ont fait défaut - comme FTX. Mais il ne faut pas condamner pour autant tout le système. De même que Madoff n'a pas condamné la finance traditionnelle, FTX ne doit pas condamner la finance digitale.

L'Europe a fait un pas significatif, que nous soutenons, avec l'adoption du règlement MiCa, qui prévoit pour fin 2024 un agrément obligatoire pour les prestataires de services sur crypto-actifs (PSCA). Ce règlement est un texte européen ambitieux et très large ; il permettra : l'harmonisation des pratiques au sein de l'Union européenne ; l'émergence de marché de crypto-actifs mieux encadrés avec des règles concernant les abus de marché ; un développement facilité pour les acteurs opérant dans le secteur via une logique de passeport européen ; mais aussi davantage de protection pour les épargnants avec des règles claires et une meilleure information. Il est donc crucial pour le secteur de passer à la vitesse supérieure.

Les discussions au Parlement à l'occasion de la transposition des divers textes européens, dans le cadre du projet de loi Ddadue, ont montré la nécessité d'accroître le niveau des exigences du cadre français dans l'optique de la mise en oeuvre cadre européen et pour assurer une meilleure protection des épargnants, conformément aux souhaits du Sénat. Le dispositif adopté prévoit une extinction assez rapide de l'enregistrement simple et la mise en place d'un enregistrement renforcé qui constitue une marche significative vers l'agrément, qui deviendra obligatoire pour les nouveaux entrants en octobre 2024 et dix-huit mois plus tard pour les acteurs déjà enregistrés, en application de la clause du grand-père.

Ce passage à un cadre renforcé est une condition du retour de la confiance dans l'écosystème crypto. Il est essentiel pour la protection des consommateurs comme pour la robustesse du marché des crypto-actifs de vérifier la sécurité et la résilience des systèmes d'information des PSAN.

En effet, l'expérience a montré qu'il existe un risque majeur que les PSAN subissent des attaques informatiques menant à des pertes significatives pour leurs clients. Cette obligation, déjà prévue pour une demande d'agrément et qui sera obligatoire pour obtenir un agrément MiCa, apparaît donc comme une exigence classique et légitime pour ce type d'activité qui n'a rien d'exceptionnel compte tenu des risques potentiels.

L'enjeu pour les autorités publiques est de travailler à cette transition. L'AMF compte déjà des experts qui connaissent ces marchés et ces acteurs, et nous travaillons avec les associations, notamment l'Adan, afin de clarifier les règles et d'adapter les conditions d'agrément pour les rendre aussi proches que possible du nouveau règlement européen.

Enfin, l'AMF travaille avec les autorités européennes est internationales, en premier lieu avec l'Autorité européenne des marchés financiers, l'ESMA (European Securities and Markets Authority), mais aussi dans le cadre du Forum de stabilité financière et au sein de l'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV). Ces réflexions importantes témoignent du dynamisme du marché et des acteurs, tant en France qu'à l'international. Les régulateurs doivent comprendre les opportunités et les risques, en consolidant leur expertise.

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