Je vais me concentrer sur la vision économique de cette activité, qui représente une grande opportunité pour la France. Les enjeux sont la transformation d'une partie de l'industrie financière et du monde des paiements, mais aussi notre indépendance numérique, sujet majeur pour les années à venir ; je vous renvoie aux débats sur TikTok.
Coinhouse est une société française, basée à Paris. Elle s'appelait naguère la Maison du Bitcoin, lieu qui a permis de créer de nombreuses sociétés : Ledger, ACINQ et d'autres entreprises sont passées par chez nous, ainsi que des investisseurs, qui ont profité d'importants rendements en 2014 et 2015.
Nous avons fait une scission (spin-off) de Ledger en 2017 et nous avons levé 50 millions d'euros, ce qui fait de nous l'un des acteurs les plus actifs dans la levée de fonds dans la Fintech. La Société Générale nous fait confiance depuis de nombreuses années, mais cela fait de nous une exception : il faudrait que les acteurs traditionnels du monde bancaire s'intéressent davantage à cette activité et travaillent avec des PSAN, car nous en avons besoin. Enfin, nous créons des emplois : nous sommes passés de 5 personnes en 2017 à 120 en 2022 ; tous ces emplois sont qualifiés et localisés en France.
Je ne m'étendrai pas sur le cadre réglementaire. Je souscris à tous les propos de la présidente de l'AMF et de la présidente de l'Adan. Nous avons été le premier acteur enregistré, en mars 2020, peu de temps après l'instauration du régime PSAN. Nous nous sommes aussi enregistrés au Luxembourg, auprès de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) et nous attendons l'agrément PSAN. Nous sommes membres fondateurs de l'Adan et nous sommes très actifs sur les sujets réglementaires et les travaux ayant conduit au règlement MiCa.
J'en viens à notre activité. Les crypto-actifs sont en passe de révolutionner bien des aspects du monde de la finance. Ils trouvent des applications dans la finance traditionnelle, via la « tokenisation », c'est-à-dire la possibilité de mettre un actif traditionnel dans un jeton qui circule dans une blockchain. Nous nous inscrivons dans cette démarche. Aujourd'hui, Coinhouse vend des crypto-actifs, mais nous ambitionnons de devenir l'acteur qui commercialisera les actifs « tokenisés » et qui conseillera les investisseurs en la matière ; cela nécessitera peut-être un agrément de société de gestion ou d'entreprise d'investissement. On accédera demain, par Coinhouse, à des produits immobiliers tokenisés. Nous sommes un nouveau modèle bancaire.
En outre, comme les crypto-actifs ne sont pas que des actifs volatils mais servent aussi à réaliser des opérations de paiement, nous serons également un processeur de paiements. Si une monnaie digitale de banque centrale ou toute autre monnaie tokenisée est en libre circulation et permet d'acheter des biens - cela a commencé dans certains pays, où l'on peut acheter des produits physiques avec des crypto-monnaies -, nous nous positionnerons aussi sur cette activité.
Nous accompagnons donc la transformation de l'industrie de la finance et des paiements. D'où l'importance de la régulation : on ne peut pas changer le monde bancaire ou des paiements sans suivre la régulation associée à ces industries. Ainsi, depuis 2017, nous travaillons à la construction de la régulation, en France et en Europe.
Aujourd'hui, nous avons deux grosses activités.
La première concerne les particuliers et les entreprises, qui sont aussi des acteurs de cet écosystème et des clients, tant pour les paiements que pour la diversification de leur trésorerie. Nous les accompagnons pour acheter et échanger des crypto-actifs par virement ou carte bancaire. Dans quelques mois, nous devrions devenir l'agent d'un établissement de paiement et proposer des comptes en euros à nos clients. Il sera alors possible d'avoir un compte en euros, comme dans une néobanque « classique », et d'avoir des crypto-actifs, ce qui facilite grandement la possibilité de passer d'un monde à l'autre. Notre modèle est différent des autres acteurs français et étrangers : nous visons une clientèle d'épargnants en leur proposant des chargés de compte, qui les conseillent. Nous avons mis en place dès 2018 l'équivalent des questionnaires Mifid (Markets in Financial Instruments Directive), destinés à connaître le profil des investisseurs, car l'investissement en crypto-actifs doit relever de la diversification : c'est très risqué et ce n'est pas adapté à tous les épargnants. Nous recommandons à nos clients d'investir des montants limités - 5 % à 10 % de leur épargne -, sauf pour les plus fortunés, qui peuvent investir plus.
Nous proposons à nos clients de conserver pour eux leurs crypto-actifs, majoritairement en « cold storage », c'est-à-dire sans connexion à internet, ce qui rend leur piratage difficile. C'est ainsi que nous sommes l'un des seuls acteurs à avoir une assurance pour couvrir nos activités d'investissement et de conservation, auprès de la MMA.
Nous pensons qu'il est pertinent d'avoir un peu de crypto-actifs dans son patrimoine, mais cela reste compliqué pour beaucoup de Français : quels actifs choisir ? À quel moment investir ? Quand vendre ? Dans la finance traditionnelle, qui sert de référentiel, beaucoup d'épargnants préfèrent la gestion d'actifs : on fait confiance à l'assurance vie, aux gestionnaires, qui gèrent à notre place. L'investissement en crypto-actifs va aller dans ce sens et il faudrait que les produits d'assurance vie puissent intégrer des crypto-actifs, à hauteur de quelques points de pourcentage. La Banque des règlements internationaux (BRI) a validé la possibilité pour les banques commerciales d'avoir des crypto-actifs à leur bilan dans la limite de 2 % à partir de 2025, ce qui montre qu'il y a une institutionnalisation et un intérêt des grandes banques pour ces actifs. En France, la Société Générale, BNP Paribas, Amundi s'y intéressent. Aux États-Unis, BlackRock et JPMorgan en proposent à leurs clients. On a donc construit des produits, comme les livrets cryptos, qui ont été affectés par la faillite de FTX et les défauts d'autres contreparties.
Notre seconde activité a émergé l'année dernière : c'est le développement de solutions d'activités Web3 et de paiement en crypto-actifs pour des entreprises voulant développer une stratégie Web3 à partir de smart contracts, c'est-à-dire la programmation d'un jeton pour lui donner des propriétés permettant la réalisation automatique de certaines opérations, sans intervention humaine. Pour produire des éléments dans le Web3, les interactions avec les objets doivent passer par des jetons et des cryptomonnaies. Une grande entreprise du secteur du luxe, par exemple, voulant lancer des projets dans le Web3 recevra forcément des paiements en crypto-actifs, car on ne peut pas faire entrer une carte bancaire dans un objet numérique fonctionnant sur une blockchain, sans quoi on recrée de la centralisation et des coûts, ce que les crypto-actifs ont justement vocation à éviter. Ces entreprises ont besoin d'acteurs régulés, comme nous, pour accepter ces paiements Web3 et gérer les paiements. Il y a donc une belle occasion de révolutionner le monde des paiements.
À ce jour, nous avons un nombre de comptes assez faible, environ 150 000, alors que le marché global représente 200 millions d'utilisateurs dans le monde, mais nous avons une clientèle « premium », avec un investissement moyen élevé. Nous pouvons conserver l'équivalent de centaines de millions d'euros dans nos systèmes. Nous sommes focalisés sur la France, mais nous souhaitons conquérir l'Europe ; pour cela, nous avons besoin du soutien de la régulation et de l'État. Quelque 45 % de notre chiffre d'affaires provient des clients professionnels, ce qui montre que ce ne sont pas que les particuliers qui s'intéressent aux crypto-actifs. Enfin, nous avons signé des partenariats prometteurs avec de belles entreprises françaises ou internationales.