La protection des épargnants dans le système bancaire classique passe par plusieurs dispositifs. Il y a la protection des déposants, avec le fonds de garantie des dépôts, et la protection des épargnants, avec le fonds de garantie des titres. Il n'y a rien de tout cela dans le domaine des crypto-actifs. Pour la protection des épargnants, l'une de nos préoccupations majeures a été résolue avec l'enregistrement renforcé : la vulnérabilité aux cyberattaques. En revanche, pour la protection des déposants, si on regarde ce qu'il se passe en amont, le devoir de conseil, qui s'impose aux établissements financiers classiques, ne s'impose pas aux prestataires ; or celui qui investit dans les crypto-actifs doit pouvoir être éclairé sur les risques pris.
Vous me posez la question de l'intérêt des investisseurs pour ces actifs volatils. En tant qu'autorité de supervision, nous sommes agnostiques sur l'intérêt de ces actifs ; il faudrait demander aux investisseurs les ressorts psychologiques qui sous-tendent leurs investissements : la dimension spéculative, que l'on envisage toujours plus à la hausse qu'à la baisse, la théorie de la surpondération des probabilités faibles - on surestime ses chances de gagner - peuvent expliquer cet engouement.
Il faut donc comprendre l'intérêt des investisseurs pour ces actifs, auxquels le devoir de conseil au sens de la réglementation - sensibilité et profil du client - ne s'applique pas. Les promoteurs des plateformes donnent sans doute des conseils, mais cela n'est pas encadré par l'analyse du profil de l'investisseur pour adapter le conseil ou refuser de lui vendre des produits.
Je ne peux pas me prononcer sur les avantages de ces produits. Le crypto-actif est comme un système d'échange local : plusieurs personnes s'accordent à reconnaître une valeur à un actif et s'en servent comme monnaie d'échange. Prenons deux exemples. Quand Facebook a créé « libra » puis « diem », l'objectif était, semble-t-il, d'avoir un stable coin, c'est-à-dire un crypto-actif avec une valeur stable et une contrepartie fiat, afin de mettre en circulation parmi la communauté de 2,5 milliards d'utilisateurs un support de transactions en s'affranchissant de Visa et Mastercard et de capter les commissions de paiement. Le diem n'aurait eu de valeur que dans l'environnement de Facebook. De même, au Club Méditerranée, on échangeait des euros contre des boules autour d'un collier et cela avait une valeur uniquement dans le club. Je n'ai donc pas d'avis sur l'avantage de ces actifs ; l'approche du superviseur se centre sur le risque de détournement et de dévoiement, notamment pour le blanchiment et le financement du terrorisme.
Aujourd'hui, il y a un stock de 62 PSAN et l'enregistrement renforcé ne s'appliquera pas à eux. Vous me demandez s'ils respectent les standards de sécurité. Au travers de nos contrôles sur pièces, nous procédons à des enquêtes fondées sur des questionnaires permettant d'identifier des acteurs plus ou moins risqués ; mais c'est déclaratif. Ensuite, nous faisons des contrôles sur place. Je ne peux pas préjuger du niveau de sécurité des acteurs en place, puisque le pourcentage d'acteurs radiés est élevé. Nous aurons beaucoup plus de contrôles en 2023, donc j'aurai un recul plus important pour vous répondre. En tout cas, lors de leur enregistrement, ces acteurs déclaraient vouloir être au niveau, mais il faut s'assurer que c'est effectif. Je ne pourrai vous répondre fermement que plus tard.
Les crypto-actifs qui font partie d'un produit financier classique sont soumis, ipso facto, au devoir de conseil. L'intermédiaire bancaire ou assimilé qui vend un produit contenant des crypto-actifs a un devoir de conseil, il doit catégoriser son client et, s'il considère que celui-ci n'est pas assez aguerri, il ne doit pas lui vendre le produit.
Comment attirer les épargnants avec plus de sécurité sur des produits moins régulés ? Peut-être cela passe-t-il par la reproduction du système existant, avec ce qui est contenu dans l'agrément mais apparaît beaucoup plus contraignant pour les PSAN : la ségrégation des actifs, la surveillance des flux, l'effectivité de la liquidité des prestataires pour faire face aux demandes de retrait. Cela exige une régulation sans doute adaptée au secteur, mais on retrouve les grands principes : bien séparer les actifs des clients des activités propres de l'entreprise. On a fait dans ce domaine un progrès important pour la protection des titres il y a quelques années. Les mauvais comportements qui peuvent apparaître quand on n'a pas une obligation de ségrégation sont un sujet important. Seules les banques, parce qu'elles sont régulées à tous les niveaux et supervisées par l'ACPR, ont le droit, parce que c'est leur action de transformation, d'utiliser les dépôts des épargnants pour financer par exemple des prêts immobiliers.
Pour les crypto-actifs, il faudra une ségrégation des avoirs pour accroître la sécurité, sachant que les crypto-actifs purs sont extrêmement volatils, parce qu'il n'y a pas de contrepartie, tandis que les crypto-actifs ayant des actifs sous-jacents - organismes de placement collectif en valeurs mobilières ou monnaie - sont dans une situation différente. Quand une banque acquiert des crypto-actifs, elle doit inscrire en face, à son bilan, une charge en fonds propres pour couvrir un risque inattendu. Le comité de Bâle a décidé de traiter cela de deux manières différentes : si la banque détient un crypto-actif fondé sur une monnaie, elle pondère le risque lié à cet actif en fonction de la valeur de cette monnaie ; en revanche, si elle achète un bitcoin, un crypto-actif « pur », on considère que c'est une non-valeur, qui doit être déduite intégralement de ses fonds propres. Pour rappel et par comparaison, lorsqu'un établissement prête à une entreprise, il pondère le risque et met toujours en face un élément de fonds propres.
Le superviseur est donc agnostique sur l'existence des crypto-actifs. Il regarde les risques LCB-FT et, si c'est un établissement financier, le respect des règles de transparence pour la prise en compte des crypto-actifs dans son bilan.