Intervention de Bernard Fialaire

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 8 mars 2023 à 9h30
Proposition de loi portant réforme de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Bernard FialaireBernard Fialaire, rapporteur :

Si le phénomène des fraudes artistiques n'est pas nouveau, il semble aujourd'hui en pleine expansion. Il faut dire que la hausse de la demande sur le marché de l'art, l'explosion des prix des oeuvres depuis une vingtaine d'années et l'essor de la vente d'art en ligne encouragent ce type de pratiques.

Nous avons tous en tête les scandales récents des faux sièges de Marie-Antoinette acquis par le château de Versailles ou de la fausse Vénus de Cranach achetée par le prince de Liechtenstein et saisie lors de son exposition à l'hôtel de Caumont à Aix-en-Provence en 2016. Nous entendons régulièrement parler d'affaires liées à des faux certificats ayant permis de tromper, soit sur l'authenticité, soit sur la provenance de pièces. Pensons à l'enquête révélée au printemps dernier sur l'acquisition par le Louvre Abu Dhabi d'une stèle de Toutankhamon, en réalité illégalement sortie d'Égypte en 2011.

Le service d'enquête de la police judiciaire spécialisé dans la lutte contre le trafic de biens culturels, l'OCBC, que nous avons reçu en audition, n'a pas caché l'intérêt croissant des organisations criminelles au niveau mondial pour cette forme de trafic.

Il est donc important que nous puissions disposer d'outils efficaces pour prévenir et réprimer ce type d'infractions.

Le problème, c'est que le seul texte de nature législative dont nous disposons en France afin de réprimer spécifiquement les fraudes artistiques est un texte daté, d'application limitée et aux effets peu dissuasifs.

Il s'agit de la loi du 6 février 1895 sur les fraudes artistiques, plus connue sous le nom de loi « Bardoux », par référence au nom du sénateur qui l'avait déposée.

Ce texte réprime les faussaires qui apposent un faux nom sur une oeuvre d'art ou imitent la signature d'un artiste, ainsi que les marchands et les intermédiaires qui se livrent au recel, à la circulation ou à la commercialisation de telles oeuvres.

Son champ d'application ne correspond plus à la diversité des oeuvres d'art que l'on trouve aujourd'hui sur le marché, et, par conséquent, à la diversité possible des faux.

Il concerne uniquement les catégories d'oeuvres d'art en vogue à la Belle Époque (peinture, sculpture, dessin, gravure, musique), laissant de côté les faux manuscrits, fausses photographies, faux meubles ou faux objets de design.

Au sein de ces catégories, il ne vise que les faux qui correspondent à des oeuvres authentiques qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public. Il n'est donc pas applicable aux faux qui concernent des oeuvres anciennes, alors que ceux-ci constituent pourtant un nombre important des affaires de faux.

Enfin, il ne s'intéresse qu'aux faux revêtus d'une signature apocryphe. Il exclut donc tous les faux sans signature, à l'instar des faux « à la manière de », ainsi que tous les faux sans auteur identifié, dont relèvent pourtant l'essentiel des oeuvres des arts premiers, des antiquités, de l'art médiéval, de l'art islamique, des arts asiatiques ou des arts appliqués.

À cela s'ajoute le fait que les peines prévues par la loi « Bardoux » ne sont pas suffisamment sévères pour jouer un rôle dissuasif. Elles sont de deux ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende, sans possibilité de les alourdir quelle que soit la circonstance dans laquelle l'infraction est commise.

Existe-t-il pour autant un intérêt à réformer la loi « Bardoux » alors que la France dispose, par ailleurs, d'un arsenal répressif en matière pénale assez étoffé ? Plusieurs infractions de droit commun peuvent être utilisées pour poursuivre les auteurs de fraudes artistiques. Pensons, en particulier, aux délits de contrefaçon, d'escroquerie, de tromperie ou de faux et usage de faux.

Ceci dit, comme aucun de ces délits n'est propre au marché de l'art, leur champ d'application n'est pas tout à fait adapté pour assurer la répression des fraudes artistiques dans leur globalité. La caractérisation des faits se révèle complexe en présence de faux « à la manière de » non signés, ou dans certaines circonstances, comme par exemple en l'absence de toute transaction.

Il y a bien un autre texte spécifique aux fraudes artistiques : le décret Marcus, datant de 1981, qui vise à réprimer les tromperies sur l'authenticité d'une oeuvre d'art et d'un objet de collection. Néanmoins, là encore, le texte ne s'applique qu'aux seules transactions : il permet de sanctionner les seuls vendeurs contrevenants et ses peines se limitent à une amende d'un montant maximal de 1 500 euros.

C'est pour combler les insuffisances du cadre juridique en vigueur qu'en décembre dernier, j'ai déposé cette proposition de loi portant réforme de la loi « Bardoux ». Il faut savoir que cette question avait fait l'objet d'un certain nombre de réflexions préalables. La Cour de cassation a notamment consacré un colloque à ce sujet en 2017 et l'Institut Art et Droit - une association de réflexion réunissant des juristes et des acteurs du monde de l'art - a mis en place un groupe de travail à compter de 2018, dont le résultat des travaux a été présenté lors d'un colloque en mars 2022, et qui a très largement inspiré mon texte.

Je reprends maintenant ma casquette de rapporteur pour aborder le contenu de la proposition de loi.

Son article 1er crée une nouvelle infraction pénale dans le code du patrimoine, remplaçant celle prévue par la loi « Bardoux ». Elle vise à sanctionner la réalisation, la présentation, la diffusion ou la transmission, à titre gratuit ou onéreux, de tout bien artistique ou objet de collection qui serait, par quelque moyen que ce soit, affecté d'une altération de la vérité sur l'identité de son créateur, sa provenance, sa datation, son état ou toute autre caractéristique essentielle, et ce, sous réserve que cette réalisation, présentation, diffusion ou transmission ait été faite en pleine connaissance de cause de l'état d'altération dudit bien ou objet.

Les peines prévues sont identiques à celles applicables en matière d'escroquerie, de recel ou de blanchiment, soit cinq ans d'emprisonnement - au lieu de deux dans la loi « Bardoux » - et 375 000 euros d'amende - au lieu de 75 000 euros. Elles peuvent être alourdies à sept ans d'emprisonnement et 750 000 euros d'amende lorsque le délit est commis par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice ou lorsqu'il est commis de manière habituelle. Elles passent à dix ans d'emprisonnement et un million d'euros d'amende lorsque les faits sont commis en bande organisée.

Le texte autorise par ailleurs la confiscation du bien ou de l'objet saisi ou sa remise au plaignant à titre de peine complémentaire. Elle rend également possible cette confiscation ou cette remise en cas de relaxe ou de non-lieu, lorsqu'il est établi, à l'issue de la procédure judiciaire, que le bien ou l'objet saisi est affecté d'une altération de la vérité. La loi « Bardoux » comportait déjà des dispositions similaires, insérées dans le but de faciliter le retrait des faux du marché à l'occasion d'une réforme de la contrefaçon en 1994.

L'article 2 tire les conséquences de l'article 1er : il abroge la loi « Bardoux » et opère les coordinations y afférentes dans le code général de la propriété des personnes publiques.

Que penser des dispositions cette proposition de loi ?

J'ai essayé de m'acquitter de ma mission de rapporteur en procédant à un maximum d'auditions. Nous avons entendu une trentaine de personnes environ en l'espace de deux semaines : ministère de la culture, ministère de la justice, OCBC, autorité de régulation des ventes aux enchères, professionnels du marché de l'art, experts en art, professeurs de droit pénal et de droit civil, avocats spécialisés en droit de l'art, représentants des artistes et de leurs ayants droit. J'en profite pour remercier chaleureusement Sylvie Robert, qui a participé à la quasi-totalité des auditions et qui m'a accompagné dans cette PPL.

Il ressort de ces différents échanges que la proposition de loi répond à un besoin réel.

J'en veux pour preuve le fait que le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) a lancé une mission il y a un an sur le faux artistique, qui a pour but d'examiner l'opportunité de faire évoluer le cadre juridique afin de mieux définir le faux en art, de faciliter sa détection et de renforcer sa répression.

Les fraudes artistiques portent non seulement atteinte aux intérêts privés - ceux des acquéreurs, des artistes... -, mais elles érodent également la confiance dans le marché de l'art et les institutions patrimoniales et constituent, au final, une menace pour la création. Une réforme de la loi « Bardoux » est indispensable pour améliorer la protection des amateurs d'art et le respect des droits des artistes, restaurer la crédibilité du marché de l'art et accroître la transparence et la fiabilité dans ce domaine, en particulier dans notre pays où le marché de l'art compte beaucoup.

La proposition de loi s'attache à réprimer les atteintes portées aux oeuvres d'art elles-mêmes plutôt qu'à réparer le seul préjudice subi par les acquéreurs ou les auteurs des oeuvres authentiques, comme dans la loi « Bardoux ». Cela présente un double avantage : celui de ne plus conditionner l'infraction, ni à la nécessaire identification d'un artiste, ni à celle d'une transaction ou d'un cadre contractuel ; ensuite, celui d'affirmer que les oeuvres d'art ne sont pas assimilables à de simples marchandises et qu'elles constituent un bien commun de tous : c'est une véritable reconnaissance symbolique des spécificités de la matière artistique. En créant une infraction spécifique aux différents types de fraudes artistiques, ce texte envoie un signal fort aux auteurs de ces fraudes sur le caractère hautement répréhensible de leurs actions.

Enfin, la proposition de loi parvient à corriger les principales lacunes de la loi « Bardoux ». Elle élargit le périmètre de l'infraction aux falsifications affectant l'ensemble des oeuvres d'art, quel que soit leur support, sans le restreindre à certaines catégories d'oeuvres particulières ni distinguer entre les oeuvres couvertes encore ou non par le droit d'auteur. Elle étend l'infraction aux falsifications relatives à la datation, l'état ou la provenance d'une oeuvre d'art, ne la limitant plus aux seules falsifications liées à la signature ou à la personnalité de l'artiste. Elle alourdit considérablement le régime des peines avec possibilité d'aggravation sous certaines circonstances, tout en restant dans un quantum comparable à ce qui est prévu en matière d'escroquerie, de recel ou de blanchiment.

Au demeurant, les échanges avec les différents interlocuteurs m'ont montré que la rédaction de la proposition de loi méritait d'être clarifiée et complétée sous certains aspects pour garantir son caractère pleinement opérationnel. C'est le sens des amendements que je vous présenterai.

La définition de l'infraction laisse planer un certain nombre d'ambiguïtés incompatibles avec l'exigence de précision imposée par la matière pénale ou susceptibles de nuire à la qualification des faits. Ainsi, l'emploi de la notion de « bien artistique » est-il risqué car ses contours ne sont pas définis, ne figurant dans aucun code ni texte de loi. Je vous proposerai donc de retenir la terminologie employée dans le décret Marcus, qui fait référence aux oeuvres d'art, en plus des objets de collection.

De même, la transposition au délit de fraude artistique de la notion d'« altération de la vérité », qui est au coeur de l'infraction de faux et usage de faux, fait polémique, dans la mesure où il n'y a pas forcément de vérité en art. Les nombreuses querelles d'experts qui jalonnent l'histoire de l'art montrent bien la difficulté à établir la vérité dans ce domaine, qui reste toujours tributaire des aléas des connaissances et des techniques. Il ne faudrait pas que cette notion empêche les experts d'émettre une opinion ou porte atteinte à la liberté de création des artistes, en rendant impossible la pratique de la copie, du plagiat, de la parodie ou du détournement d'oeuvre d'art. Ces pratiques n'ont rien de répréhensible à partir du moment où l'artiste n'a pas pour objectif de tromper autrui en faisant passer son oeuvre pour ce qu'elle n'est pas. Je vous proposerai donc plutôt de recentrer l'infraction sur les différents types de comportements frauduleux destinés à tromper autrui sur et autour de l'oeuvre d'art.

S'agissant des sanctions, l'émotion suscitée par plusieurs affaires récentes démontre que le champ des circonstances aggravantes pourrait être élargi afin de mieux y répondre. Je pense à l'affaire des faux meubles de Versailles, un délit qui a particulièrement suscité l'émoi non seulement parce que son auteur était un professionnel extrêmement reconnu, mais également parce qu'il a porté préjudice à l'une de nos plus prestigieuses institutions patrimoniales.

S'agissant enfin des peines complémentaires, je dois vous avouer que la question des modalités de retrait du marché des faux artistiques reconnus comme tels a occupé une part importante des discussions lors des auditions.

C'est une question complexe. Nous partageons tous le sentiment qu'il est essentiel que les faux artistiques soient détruits ou mis hors circuit pour éviter qu'ils ne reviennent tôt ou tard sur le marché. Mais, malheureusement, la question du faux n'est pas totalement binaire : comment être certain qu'une oeuvre constitue un faux, en dehors des faux grossiers ? Peut-on considérer qu'une oeuvre d'atelier signée de la main du maître est un faux ? Par ailleurs, peut-on porter atteinte au droit de propriété constitutionnellement garanti en confisquant une oeuvre lorsque celle-ci appartient à un propriétaire de bonne foi ?

C'est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement laissant au juge la possibilité, en fonction des circonstances d'espèce, d'apprécier s'il y a lieu de confisquer l'oeuvre, de la détruire, ou de la remettre à l'auteur victime ou à ses ayants droit, compte tenu du fait que les droits moraux et patrimoniaux dont ils disposent sur l'oeuvre leur donnent le pouvoir de sa destruction.

Je n'ai en revanche pas souhaité mentionner la possibilité du marquage. C'est une option séduisante, mais je crains qu'en offrant cette possibilité au juge, il ne la retienne systématiquement, dans la mesure où elle est moins attentatoire au droit de propriété, alors qu'elle n'apporte pas de garantie d'un retrait définitif de l'oeuvre ou de l'objet du marché, le marquage pouvant toujours être retiré.

Je vous proposerai, à la place, la mise en place d'un registre des faux artistiques sur lequel seraient inscrits tous les faux reconnus comme tels qui ne seraient pas détruits. J'espère que vous y souscrirez et que, forte de cette création, la France pourra encourager d'autres pays à s'en doter également, car c'est au niveau international que cette base de données pourra donner sa pleine mesure compte tenu du caractère mondialisé du marché de l'art.

J'en viens à l'article 2. Par souci de tirer les conséquences de l'abrogation de la loi « Bardoux » sans modifier l'état du droit existant, cet article limite aux seules oeuvres qui ne seraient pas tombées dans le domaine public la possibilité de destruction ou de conservation, dans les musées relevant de l'État, des faux considérés comme tels en application de la nouvelle infraction, ainsi que de leur aliénation lorsqu'ils appartiennent au domaine privé de l'État. Or, ces dispositions ayant pour objet de garantir le retrait du marché des faux artistiques, les personnes auditionnées m'ont toutes fait valoir qu'il ne serait pas légitime d'opérer une distinction entre les faux selon que les droits patrimoniaux de l'auteur sont éteints ou non. Nous pourrions donc revenir sur cette rédaction, qui n'est de toute façon pas en phase avec l'esprit de la proposition de loi, laquelle vise à mieux traiter la question des faux sans auteur identifié.

Voilà, mes chers collègues, les principales raisons qui me conduiront à vous présenter cette série d'amendements.

Je ne doute pas, par ailleurs, que la suite de la discussion parlementaire permettra d'enrichir encore ce texte. Le CSPLA doit rendre, en juillet prochain, les conclusions de la mission qu'il conduit sur les faux artistiques. Pour avoir échangé avec les responsables de cette mission, nous savons qu'une partie de leur réflexion porte sur les différentes procédures judiciaires qui pourraient être mises en place pour mieux lutter contre la prolifération des faux sur le marché. Ils réfléchissent notamment à l'intérêt d'une voie d'action civile complémentaire à l'action pénale, comme cela existe en matière de contrefaçon - avec notamment la procédure jugée très efficace de « saisie contrefaçon ». Ils voudraient également mieux encadrer l'activité des plateformes en ligne.

Ces pistes peuvent renforcer l'intérêt de réformer la loi « Bardoux », offrant des possibilités plus puissantes d'action à l'encontre des faux. Les auditions ont montré qu'il pourrait être utile de disposer de moyens d'actions judiciaires plus rapides pour intervenir contre les pratiques frauduleuses de certaines galeries éphémères ou de plateformes en ligne. C'est la raison pour laquelle nous avons jugé plus sage de maintenir l'inscription de la nouvelle infraction au sein du code du patrimoine plutôt que de la transférer dans le code pénal, comme le souhaitait un certain nombre de personnes auditionnées. Il est vrai que son inscription dans le code pénal permettrait sans doute aux juges de mieux se familiariser avec cette nouvelle infraction. Pour autant, si des procédures civiles devaient venir compléter cette procédure pénale, il apparait plus approprié qu'elles soient toutes regroupées dans le même code pour plus de clarté. Or, le code pénal ne serait pas le bon vecteur pour fixer des voies civiles de recours. J'en veux pour preuve le fait qu'en matière de contrefaçon, c'est bien dans le code de la propriété intellectuelle que figurent l'ensemble des dispositions.

Ces considérations montrent bien, en revanche, qu'au-delà de la réforme de la loi « Bardoux », il est indispensable, d'une part, de mieux sensibiliser les services de la police et de la justice aux spécificités des infractions qui peuvent être commises dans le domaine de l'art et, d'autre part, de renforcer les moyens mis à la disposition de ces services pour que la lutte contre les fraudes artistiques gagne en efficacité. J'espère que le Gouvernement en tiendra compte en prenant les mesures appropriées une fois cette réforme adoptée.

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