Intervention de Claude-Valentin Marie

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 2 février 2023 : 1ère réunion
Parentalité dans les outre-mer — Audition de M. Michel Villac président mmes laurence rioux secrétaire générale et camille chaserant conseillère scientifique du haut conseil de la famille de l'enfance et de l'âge hcfea et de M. Claude-Valentin Marie conseiller pour l'outre-mer auprès de la direction de l'institut national d'études démographiques ined

Claude-Valentin Marie, conseiller pour l'outre-mer auprès de la direction de l'Institut national d'études démographiques :

Je vais vous faire part de travaux en cours qui s'appuient sur l'enquête MFV (Migrations, famille et vieillissement) de l'INED dans les départements et régions d'outre-mer, les DROM. Le champ de l'enquête comprenait la mesure des diverses manières de faire famille dans les DROM. Il est important de souligner que les situations sont extrêmement différenciées d'un territoire à l'autre. L'ambition est de sortir d'une vision uniformisante des DROM, pour discerner en particulier des aménagements spécifiques à chacun d'entre eux.

Quelques éléments saillants : par rapport à la métropole, les familles monoparentales sont plus nombreuses, de même que les maternités précoces, les naissances hors mariage et celles non reconnues par les pères, et une cohabitation plus durable des enfants et des adultes.

L'enquête se base sur quatre axes d'étude à visée prospective. Le premier consiste en l'analyse des familles ultramarines, dans leur réalité et leur complexité, ce qui comprend les évolutions de la nuptialité et de la fécondité.

Le deuxième sujet est celui des migrations, de l'aspiration au départ des jeunes adultes, au coeur de la réalité de la Guadeloupe et de la Martinique, aux « migrants-retour », natifs de ces départements, ayant vécu en métropole et qui reviennent, en passant par l'arrivée de populations immigrantes, Français non natifs ou étrangers.

Le troisième est le vieillissement, avec la condition de vie des retraités et l'évolution des liens intergénérationnels, dans un contexte, là encore pour la Martinique et pour la Guadeloupe, d'une baisse de la natalité et d'un vieillissement croissant de la population.

Il s'agit d'une enquête d'ampleur : nous avons interrogé 16 000 personnes, dont des natifs des départements, qu'ils aient toujours résidé sur place ou soient de retour, ainsi que des immigrants, nationaux et étrangers. Les dynamiques sont extrêmement différentes entre ces populations.

On constate, tout d'abord, une forte chute de la natalité principalement aux Antilles : dans les années 1960, on s'affolait d'une moyenne de 6 enfants par femme en Martinique et en Guadeloupe, alors que nous sommes à 1,9 ou 1,8 aujourd'hui dans ces deux départements. Il n'y a donc plus de renouvellement de la population. De façon générale et à quelques écarts près, les dynamiques guadeloupéenne et martiniquaise sont très proches. C'est un élément à intégrer pour penser des politiques publiques différenciées.

Ensuite, la transition démographique s'accélère, même si l'on note que, alors que le nombre d'enfants par femme s'est nettement réduit en Martinique et en Guadeloupe, cette diminution est moins importante à La Réunion et n'existe presque pas en Guyane et à Mayotte. Ainsi, pour les deux premières, parmi les femmes nées entre 1930 et 1939, plus de la moitié a eu au moins trois enfants, et souvent six, tandis que leurs filles, nées entre 1960 et 1969, ont réduit leurs maternités de moitié. Le basculement complet des comportements de fécondité n'a pris qu'une génération. Notre enquête confirme les prévisions établies il y a dix ans.

En revanche, à La Réunion, cette transition démographique existe, mais elle est nettement atténuée. Mayotte et la Guyane sont, elles, dans une situation inverse, avec une forte natalité et une immigration importante, laquelle contraste avec l'émigration qui touche les Antilles.

J'en viens à la monoparentalité, largement répandue. L'enquête a permis d'en déterminer les conditions et les spécificités aux Antilles, qui diffèrent de ce que l'on observe en métropole et à La Réunion. Ainsi, les nombreuses familles monoparentales à la Martinique et à la Guadeloupe correspondent non pas à la rupture d'une vie de couple, mais à une entrée directe en monoparentalité, de la naissance à l'adolescence de l'enfant. La grande différence n'est pas seulement le taux de monoparentalité, mais les modalités même de la monoparentalité. Cela se cumule avec une forte précarité et, souvent, l'absence de reconnaissance par le père (55 à 68 % des naissances aux Antilles et en Guyane). Les effets sur la vie et le parcours scolaire des enfants sont nets.

Le dessinateur humoristique martiniquais Pancho le montre, avec un dessin représentant un père entouré d'enfants, qui lui demandent où sont leurs mamans. Une partie importante des enfants ne sont pas reconnus par leur père, ce qui est une dimension supplémentaire dans l'organisation sociale de la vie familiale et les perspectives des enfants. Les éléments que je vous livre sont issus du recensement de 2019.

Ensuite, la première enquête montrait, il y a dix ans, que les maternités précoces étaient nombreuses, surtout en Guyane et à La Réunion. Nous constations qu'elles étaient plus nombreuses qu'en métropole, mais pas dans les mêmes proportions entre les différents DROM, les données pour Mayotte datant de cinq ans plus tard. Ces maternités précoces s'accompagnent d'un recours à l'interruption volontaire de grossesse important dans ces départements.

Nous constatons une décroissance rapide des populations antillaises. Ainsi, dans les Antilles, la chute importante de la natalité - nous sommes passés de 10 000 naissances par an en 1960 à 3 700 aujourd'hui - entraîne, depuis quelques années, un solde naturel négatif. S'ajoute à cela l'émigration, qui creuse encore les générations d'âge actif. En outre, si, dans les années 1960 et 1970, la métropole recevait des travailleurs peu qualifiés, modestes - dans les PTT et les hôpitaux, par exemple -, on observe, aujourd'hui, que l'émigration est de plus en plus sélective. Reste donc installée en métropole une grande part de la jeunesse la plus qualifiée de ces territoires.

Le processus est inverse à Mayotte et en Guyane, avec une très forte croissance démographique - particulièrement à Mayotte, dont la densité de population crée des conditions de vie pour le moins délicates -, à laquelle s'ajoute une importante immigration. Ainsi, à Mayotte, malgré le départ vers la métropole de très nombreux jeunes mahorais avec, entre autres, l'aide de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom), la dynamique de précarité reste très importante.

Ainsi, la démographie de la Guyane et de Mayotte est marquée par une population croissante et en forte recomposition. Alors que 75 % de la population antillaise est native des Antilles, avec les deux parents nés sur place, auxquels s'ajoutent des personnes issues de parents dits « originaires » des Antilles, il n'y a que 4 % de population étrangère, contre 45 % en Guyane - la situation est similaire à Mayotte.

Ainsi, la population des Antilles vieillit et diminue, alors que, à Mayotte et en Guyane, elle croît et se recompose. La question des étrangers et du devenir de leurs enfants ne fait donc pas du tout naître les mêmes enjeux.

Mayotte est le lieu de dynamiques extrêmes : se croisent les jeunes quittant le territoire pour la métropole, les natifs de retour, ceux qui n'ont jamais migré - seulement 23 % de la population - et 47 % de non-natifs, principalement étrangers, eux-mêmes principalement comoriens, ces derniers essentiellement originaires d'Anjouan. Bien des difficultés sont liées à cette dynamique, d'autant que ces arrivants ont des taux natalité et de précarité très élevés. En résultent une croissance démographique et une densification fortes, à 600 habitants par mètre carré à Mayotte, ce qui cache, d'ailleurs, d'extrêmes disparités selon les communes. Les conditions de vie et de prise en charge des enfants s'en trouvent très différentes de celles qui existent à la Martinique et à la Guadeloupe.

En outre, les mères comoriennes représentent, pour 2021, la grande majorité des 10 000 naissances enregistrées à Mayotte. Les naissances avec au moins un parent étranger - le plus souvent, la mère, d'origine comorienne et, en général, anjouanaise - augmentent nettement. C'est autour de cet enjeu que se joue la question du droit de la nationalité avec, concrètement, un droit du sol remis en cause pour ces enfants nés sur le territoire français. Le croisement de ces dynamiques crée des situations de violence et de précarité exacerbées et, in fine, un enjeu institutionnel. Que deviendront ces enfants dans dix à quinze ans ?

La part des nationalités étrangères parmi les parents des enfants nés sur le territoire est donc particulièrement forte en Guyane et à Mayotte, dont la situation est très éloignée des Antilles, avec un énorme point d'interrogation sur le devenir des enfants. Ceux-ci vivent des scolarisations plus courtes, souvent plus tardives et se terminant plus tôt. Ainsi, en 2019, les difficultés scolaires, voire l'illettrisme, sont particulièrement présents à Mayotte, et le phénomène commence à se faire sentir en Guyane.

Outre ces inégalités globales, la Guyane montre qu'existent, outre ces inégalités globales entre territoires, d'importantes inégalités internes à chacun. C'est le cas des populations dites « de l'intérieur », qui n'ont pas fait l'objet de l'enquête en raison des difficultés à les atteindre. Par exemple, Saint-Laurent-du-Maroni, qui accueille de nombreux étrangers, affiche un taux élevé de non-scolarisation ; on peut en déduire que celle-ci les concerne davantage.

Dans ce contexte, la protection sociale est d'une importance cruciale, particulièrement pour les familles monoparentales. Elle ne suffit cependant pas à rayer les inégalités et à réduire le taux de pauvreté.

Une fois la nouvelle enquête MFV terminée, je ne manquerai pas de vous faire parvenir des données actualisées.

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