J'enchaîne sur les derniers éléments présentés par Claude-Valentin Marie : dans les quatre DROM historiques, la part de la population couverte par la sécurité sociale (55 à 77 %) dépasse celle de la métropole (49 %), du fait d'un revenu plus faible. En revanche, à Mayotte, dont le niveau de vie est le sixième de celui de l'Hexagone, seul un tiers de la population est couverte. Cela veut dire que le code de la sécurité sociale, restrictif, ne protège qu'une part minoritaire de la population, malgré des besoins très importants.
Le HCFEA a réalisé trois rapports, au titre de ses conseils de la famille, de l'enfance et de l'âge. Pour les rédiger, nous nous sommes appuyés sur les excellents travaux de Claude-Valentin Marie et de Robin Antoine.
Pour résumer, la situation démographique est contrastée, avec des flux migratoires de nature différente entre les Antilles, la Guyane et Mayotte. Les structures familiales sont spécifiques, les familles monoparentales obéissant à des modèles particuliers. Les grossesses adolescentes et les IVG, plus fréquentes, restent concentrées sur certains territoires. Les problématiques des violences intrafamiliales et du logement précaire touchent une partie de la population de Mayotte et de la Guyane. Le taux de pauvreté est aussi plus élevé que dans l'Hexagone, particulièrement pour ces deux mêmes départements. Alors que le niveau de vie est plus faible, les prix sont plus élevés, ce qui rend la situation d'autant plus tendue en termes de pouvoir d'achat. Les difficultés d'emploi et de formation sont importantes pour les jeunes, avec des taux d'emploi plus faibles qu'en métropole, notamment à Mayotte et en Guyane. Enfin, à Mayotte, on observe une part importante d'habitats de fortune, de bidonvilles.
Quelles sont les politiques menées ? Nous constatons, au cours du temps, une tension entre une volonté d'harmonisation des prestations avec la métropole et la persistance de réglementations spécifiques justifiées, en principe, par des situations locales particulières, singulièrement à Mayotte. J'y reviendrai.
Du côté des quatre DROM historiques, le mouvement vers l'alignement des prestations familiales avec l'Hexagone se poursuit. La logique initiale était celle d'une parité sociale globale, avec des prestations moins élevées assorties de politiques complémentaires. On a avancé vers l'égalisation, qui n'est pas complète. En revanche, ce mouvement n'est pas engagé pour Mayotte.
Ainsi, dans ces quatre DROM, les prestations familiales sont identiques. Il existe toutefois des exceptions : il en va ainsi des allocations familiales pour le premier enfant, soit 24,39 euros en 2021, et du complément familial. Ce dernier, dans l'Hexagone, s'adresse aux familles modestes ayant au moins trois enfants, pour améliorer leur niveau de vie, en prenant la suite de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje). En revanche, en outre-mer, les conditions d'attribution sont complètement différentes : seules sont concernées les familles ayant un ou plusieurs enfants âgés de trois à cinq ans, ce qui pose des problèmes de continuité, avec un complément familial qui n'est parfois plus perçu malgré une nouvelle naissance. En effet, sa nature est différente : il s'agissait plutôt de ne pas encourager la natalité. Cependant, les éléments présentés par Claude-Valentin Marie montrent que cet argument n'a plus de poids.
D'un autre côté, les prestations familiales ont vocation à aider les familles à éduquer les enfants : il n'y a pas de raison qu'un enfant, parce qu'il vit dans un DROM, bénéficie d'une aide moindre de la collectivité que s'il vivait dans l'Hexagone.
Deuxièmement, les prestations de solidarité sont identiques, notamment le revenu de solidarité active (RSA). S'y ajoute le revenu de solidarité outre-mer (RSO), pour les personnes bénéficiant du RSA depuis au moins deux ans, âgées de 55 à 60 ans et retirées du marché du travail. Toutefois, cette prestation ne dénombre que peu d'allocataires. Les aides au logement sont, elles aussi, différentes.
La situation à Mayotte est tout à fait spécifique. Seules les allocations familiales pour deux enfants, non modulées, sont les mêmes qu'en métropole, ainsi que deux prestations spécifiques, notamment pour les enfants handicapés.
L'allocation de soutien familial n'est pas servie, à l'instar de la Paje, qui, en la matière, représente l'une des masses financières les plus importantes en métropole. De même, le RSO n'existe pas à Mayotte.
Un certain nombre de prestations devraient être déployées dans les mois qui viennent, comme le congé de mode de garde et le congé de paternité et d'accueil de l'enfant.
En outre, il existe une série de prestations aux conditions ou montants spécifiques. Les allocations familiales à partir du troisième enfant sont moins élevées qu'ailleurs. Le complément familial, l'allocation de rentrée scolaire (ARS) et le RSA, la prime d'activité, l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et les aides au logement sont aussi assorties de conditions nettement moins favorables. C'est pourquoi, malgré un fort taux de pauvreté, seul un tiers de la population bénéficie des prestations familiales ou sociales.
En résumé, le profil des bénéficiaires outre-mer est marqué par le poids de la pauvreté et par les conditions d'attribution des différentes prestations. Les allocataires à bas revenus sont beaucoup plus dépendants qu'en métropole de ce qu'ils perçoivent des caisses d'allocations familiales (CAF) ; excepté Mayotte, une part importante de la population perçoit le RSA ; quant aux dépenses de prestations familiales, elles présentent des profils spécifiques liés aux conditions d'attribution.
Les politiques et dispositifs d'action sociale différenciée tendent à converger entre les DROM et la métropole. L'accueil du jeune enfant fait l'objet d'une forte attention, car, en la matière, l'offre est bien moins développée qu'en France métropolitaine. L'aide sociale à l'enfance (ASE) présente de grandes différences. Enfin - j'insiste -, la situation de Mayotte reste hors normes.
Le Haut Conseil en est convaincu : seuls d'importants investissements permettront de réduire l'écart avec la métropole. Les prestations familiales ne suffiront pas : la collectivité doit miser sur le développement économique, l'éducation et le logement, domaines qui, bien sûr, ne sont pas de notre ressort.
Reste la question de l'immigration, notamment à Mayotte et en Guyane. En vertu de la Convention internationale des droits de l'enfant, on ne peut pas considérer qu'un mineur est en situation illégale ; nos responsabilités sont les mêmes pour tous les enfants mineurs vivant dans ces territoires, en particulier pour l'accès à l'éducation. Or, à Mayotte, les mineurs non accompagnés ont de grandes difficultés - c'est un euphémisme - pour s'inscrire à l'école. C'est un problème dès maintenant ; c'est aussi une bombe à retardement, car, une fois devenus adultes, ces enfants resteront très probablement sur place.
Face à ces situations, le Haut Conseil propose de verser les mêmes prestations familiales et sociales aux familles, quel que soit le territoire où elles habitent, à commencer par le complément familial.
Pour ce qui concerne Mayotte, des engagements de convergence ont été pris ; à présent, nous avons besoin d'un calendrier précis. Il faut se pencher en priorité sur l'allocation de base de la Paje, les allocations familiales pour trois enfants et plus et le complément familial. Cela n'aurait sans doute pas de sens d'aligner le RSA à Mayotte sur son niveau en métropole. En revanche, il faut avoir pour objectif une parité sociale globale.
Selon nous, Mayotte doit entrer dans le droit commun. Toutes les dispositions relatives à ce territoire, notamment pour ce qui concerne les prestations familiales, sont prises par ordonnances et ne sont donc pas débattues au Parlement : l'administration décide selon ses propres impératifs. À l'inverse, il faut passer par la voie législative. De même, le code de la sécurité sociale doit être étendu rapidement à Mayotte, qui dispose jusqu'à présent d'un régime autonome de sécurité sociale. On ne demande pas à la Lozère ou aux Pyrénées-Atlantiques d'avoir un régime à l'équilibre : la logique, c'est la mutualisation sur l'ensemble du territoire.
En outre, tous les enfants d'outre-mer doivent avoir accès à un repas chaud, et non à une simple collation, au moins au déjeuner. Les DROM disposent, certes, de la prestation d'aide à la restauration scolaire (Pras), mais encore faut-il que les enfants bénéficient de cette dernière. Ainsi, à Saint-Laurent-du-Maroni, les difficultés de scolarisation sont telles que la moitié des enfants ont classe le matin, et l'autre moitié l'après-midi : dans l'intervalle, il n'y a pas de cantine.
S'il n'est pas au coeur de nos attributions, le logement représente évidemment un enjeu fondamental. Les difficultés sont massives à Mayotte et en Guyane, moindres dans les autres départements, si l'on excepte certains quartiers. Quoi qu'il en soit, il faut intensifier l'effort de résorption de l'habitat insalubre et déployer l'aide personnalisée au logement (APL) avec plus de vigueur.
En parallèle, nous proposons de développer les programmes d'accompagnement de la parentalité en les orientant vers la prévention des grossesses précoces et non désirées lorsque c'est nécessaire.
Enfin, il faut traiter la question du non-recours aux prestations qui est importante et tient au fait que les populations soit ne connaissent pas l'existence des prestations soit sont trop éloignées des institutions qui les délivrent, en particulier en Guyane et à Mayotte. Il faut également améliorer la des enfants, notamment en Guyane et, à Mayotte, où seulement respectivement 87 % et 64 % des enfants de trois ans sont scolarisés, contre 98 % dans l'hexagone.