Madame Schalck, l'accueil du jeune enfant inspire, outre-mer, un certain nombre de méfiances ; l'information est lacunaire et la tradition veut que l'enfant soit élevé au sein de sa famille, en vertu de solidarités intergénérationnelles et intrafamiliales assez fortes. Certes, la grossesse peut déclencher la sortie du système scolaire pour les jeunes femmes, mais ces dernières sont aussi extrêmement mobilisées par leurs mères et leurs tantes pour s'occuper des autres enfants de la famille.
Lors d'un entretien qu'elle m'a accordé, Sophie Charles, maire de Saint-Laurent-du-Maroni a appelé mon attention sur la situation de sa commune, qui est frontalière du Suriname : il n'y a qu'un fleuve à traverser, et bon nombre de familles s'étendent sur les deux rives. Les femmes surinamaises viennent accoucher à l'hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni, faute de pouvoir mettre au monde leur enfant dans de bonnes conditions de l'autre côté de la frontière, et payent des hommes pour qu'ils se déclarent pères. Ainsi, elles bénéficient du droit du sol avant de repartir au Suriname avec leur enfant. Il y a une différence importante entre le nombre de naissances et le nombre d'enfants que l'on voit arriver à trois ans à l'école.
En parallèle, au lieu de construire des logements sociaux qui ne correspondent pas au mode de vie local, qui plus est sur l'immense territoire de la Guyane, où la propriété du sol est une question éminemment complexe, le maire de Saint-Laurent-du-Maroni favorise, au titre du logement social, l'acquisition de terrains où les familles peuvent bâtir leur propre maison grâce à des aides dédiées. Le risque est, sinon, de construire des habitations qui ne conviennent pas aux familles. J'ai visité des logements sociaux construits à Soula : les familles quittent ces appartements traditionnels qui ne leur sont pas adaptés.
S'agissant toujours de la Guyane, que je connais assez bien, j'en arrive au dysfonctionnement des familles d'accueil : je ne suis pas certaine que ce soit le seul facteur explicatif du suicide des jeunes amérindiens, même si cela a sans doute une influence. Nous n'avons pas enquêté sur les familles d'accueil qui accueillent les jeunes allant vers Cayenne ou Saint-Laurent-du-Maroni pour accéder à un collège ou à un lycée. En revanche, nous nous sommes entretenus avec les responsables de l'aide sociale à l'enfance. On compte beaucoup de placements d'enfants en Guyane, mais les familles ne sont ni formées ni suivies. Un enfant de l'ASE souffre souvent de problèmes, de troubles du comportement, d'un manque d'affection : cela amplifie les difficultés s'il n'y a pas d'accompagnement le temps de l'accueil.
Plus globalement, une grande partie des difficultés de construction et d'accueil relève aussi d'un problème d'endettement des communes et de collectivités. Ainsi, les grands projets prévus en 2017 pour la Guyane, accompagnés de financements, ne se sont toujours pas concrétisés pour la plupart : les premiers sortent à peine de terre. Il y a des compétences locales à développer, et une attractivité des territoires à développer.