Il existe une différence notable entre le rapport de 2015 et celui-ci : le paysage des finances locales a changé. Le rapport aboutit également à des conclusions plus nettes, car l'impératif de rendement est incontestablement plus aigu aujourd'hui.
S'agissant de la deuxième remarque sur l'Union européenne, il est vrai que celle-ci a souhaité rendre la main aux États. Lorsque j'étais commissaire européen chargé de cette question, j'ai toujours eu la conviction que renvoyer vers Bruxelles la décision quant au taux réduit représentait un détour improductif et qu'il fallait aller vers une plus grande subsidiarité. Cela crée effectivement des tentations et complique le jeu politique, mais celui-ci se joue désormais à la bonne échelle : l'échelle nationale plutôt que l'échelle européenne.
Nous ne proposons pas de supprimer massivement les taux réduits. Nous disons simplement que si des évolutions devaient avoir lieu, elles devraient plutôt aller dans le sens de la suppression des taux réduits inefficaces plutôt que dans celui de l'augmentation de ces taux. Pourquoi ? Ces taux réduits sont très peu efficaces économiquement tout en étant très coûteux pour les finances publiques, soit 47 milliards d'euros, ce qui équivaut à 24 % du rendement de la TVA en 2021. Le coût des dépenses fiscales de TVA a doublé entre 2001 et 2022, en passant de 9,3 à 17 milliards d'euros, le poids de ces mesures paraissant beaucoup plus élevé que dans le reste de l'Union européenne.
Enfin, la littérature récente a plutôt tendance à favoriser un taux unique de TVA, l'existence de taux réduits pouvant être théoriquement justifiés dans certains cas très rares, comme la poursuite d'un objectif d'équité, la taxation des biens dont la production est source d'externalité négative ou encore le soutien ponctuel à un secteur en difficulté. Néanmoins, il s'agit là d'outils inefficaces de politique économique qui génèrent beaucoup de complexité pour les entreprises et l'administration. Par conséquent, l'adoption de nouveaux taux réduits doit être absolument évitée au profit d'outils de suivi et d'évaluation des modalités dérogatoires existantes. Nous préconisons à cet égard de confier au CPO ou à une instance ad hoc l'examen des taux réduits en identifiant leur objectif, en évaluant leur atteinte et en proposant des mesures plus efficaces. Nous préconisons également de supprimer les taux réduits de TVA dont l'évaluation confirmerait leur inefficacité, et à défaut de leur suppression, de les relever dans le barème. Je ne méconnais pas la difficulté politique de l'exercice, même si je ne crois pas que cette mesure aurait un effet inflationniste.
S'agissant de la fraude dans le contexte de numérisation de l'économie, les travaux récents de l'Insee réévaluent substantiellement les estimations de fraude à la TVA, en dépit de la modernisation du contrôle fiscal et des évolutions du régime de territorialité de la TVA : l'estimation de 10 milliards d'euros en 2015 est passée à une fourchette comprise entre 20 et 26 milliards d'euros. Parallèlement, les moyens du contrôle fiscal ont été renforcés, l'organisation de l'autorité judiciaire des services d'enquêtes en France et en Europe a connu de profonds changements depuis 2015. Néanmoins, face au développement du commerce en ligne, le cadre juridique des importations a été radicalement transformé par la directive e-commerce du 5 décembre 2017 en ce qui concerne certaines obligations en matière de TVA applicables aux prestations de services et aux ventes à distance de biens. Par conséquent, la TVA doit, à l'ère numérique, s'appuyer sur de nouveaux instruments de lutte contre la fraude et de simplification pour les entreprises.
Nous faisons à cet égard deux recommandations. Il s'agit premièrement de définir une méthodologie destinée à évaluer le montant de la fraude à la TVA et de communiquer annuellement les résultats au Parlement. Deuxièmement, il faut renforcer la lutte contre la fraude à la TVA dans le contexte de l'économie des plateformes, à travers l'évaluation de l'efficacité des obligations de reporting des plateformes de mise en relation par voie électronique, et à travers l'adaptation de la programmation du contrôle fiscal pour tenir compte des obligations de reporting des prestataires de service de paiement. En outre, une réforme à l'échelle européenne du régime de redevabilité des plateformes des services de transport et d'hébergement s'avère nécessaire.
S'agissant de l'affectation de la TVA à d'autres personnes publiques que l'État, je vais répéter mon message qui est très clair : la TVA est un impôt au rendement dynamique, aisément recouvrable et neutre sur le plan économique. Elle est la composante principale des impôts indirects et présente de très nombreux avantages pour les finances publiques, car elle est très prévisible. Elle présente également beaucoup d'avantages pour l'économie : elle est une imposition en théorie neutre pour les entreprises et ne pénalise pas l'économie nationale. Si nous allions vers une affectation croissante de la TVA à d'autres personnes publiques, l'on constaterait ce qui se passe déjà, c'est-à-dire que l'affectation à l'État s'est effondrée en huit ans, avec 51 % du produit en 2021, contre 93 % en 2015. L'affectation aux organismes sociaux a été quadruplée en 2019, passant de 6 % des recettes de TVA à 24 % en 2019. L'affectation des recettes de TVA joue un rôle majeur dans la réforme de la fiscalité locale en cours, puisque désormais 20 % des recettes de TVA bénéficient aux collectivités et la TVA constituera le premier type de ressources des collectivités dès 2023.
Les risques associés à l'affectation de la TVA à d'autres personnes publiques que l'État existent : il s'agit d'abord d'un risque majeur de soutenabilité pour les finances publiques, puisque les marges de manoeuvre de l'État sont limitées alors que les besoins sont croissants. De plus, l'affectation d'impositions a de nombreux effets indésirables, documentés par le CPO : cette pratique rend le contrôle parlementaire plus difficile et complexifie le pilotage des finances publiques. Nous recommandons donc d'éviter les affectations TVA en dehors du champ des organismes de protection sociale et des collectivités, en remarquant que cette démarche sera de toute façon interdite en 2025 ; il faudra alors étudier les autres ressources.
Enfin, je le redis : je n'ai pas d'alternative que de m'appuyer sur une loi de programmation des finances publiques (LPFP). Le rapport public de la Cour des comptes qui sera publié demain et qui sera présenté au Gouvernement contient un chapitre sur les finances publiques. De même, le Haut Conseil des finances publiques est régulièrement saisi sur les trajectoires des finances publiques : on ne peut pas travailler sérieusement sans s'appuyer sur des valeurs de référence, sur un objectif de moyen terme, bref sans disposer d'une LPFP ! C'est indispensable. Je renouvelle donc mon appel quant à la présentation d'une LPFP au plus tôt, qui plus est, réaliste et reposant sur des hypothèses crédibles. Nous en avons tous besoin : le travail n'est sans cela pas sérieux et pose même problème sur le plan juridique, mais je m'arrêterais là pour ne pas sortir de mon champ d'expertise.