En tant que rapporteur spécial de la mission « Sport, jeunesse et vie associative », j'ai choisi de consacrer un contrôle budgétaire au service national universel, et plus précisément, à la question de l'opportunité et de la faisabilité de sa généralisation à l'ensemble des élèves de seconde.
Cela fait maintenant quatre ans que l'expérimentation du SNU a été initiée. Après une interruption en 2020, en raison de la pandémie, elle a repris en 2021, et elle continue cette année. Il me semblait donc que nous avions désormais suffisamment de recul pour tirer un bilan de ce dispositif, et surtout, pour porter une appréciation sur le projet de sa généralisation.
Pour mémoire, le service national universel est prévu pour se dérouler en trois temps.
La première phase, obligatoire, sera constituée d'un « séjour de cohésion » en hébergement collectif d'une durée de deux semaines. Il s'agit de la phase qui concentre de loin le plus d'enjeux juridiques et financiers.
La deuxième phase, obligatoire également, est appelée la « mission d'intérêt général », et devra prendre la forme d'un engagement de courte durée auprès d'une association ou d'une institution publique. Elle devra être réalisée après le séjour de cohésion pendant une durée de 12 jours consécutifs ou de 84 heures réparties tout au long de l'année.
La troisième phase est facultative, et elle consistera en un engagement sur le temps long, au minimum de trois mois, auprès d'une association ou d'une institution publique. Elle pourra être réalisée dans le cadre de dispositifs de volontariat existants, comme le service civique par exemple.
Jusqu'à présent, les expérimentations ont été menées sur la base du volontariat : tous les jeunes âgés de 15 à 17 ans peuvent y participer, à la condition de posséder la nationalité française.
Pour commencer par une note positive, je me suis rendu dans des centres d'hébergement du SNU, et j'ai pu constater que les séjours proposés aux jeunes sont de bonne qualité. Les activités proposées sont variées, et le séjour de cohésion est loin de la caricature d'un « service militaire bis » qui en est parfois faite. Les études menées par l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep) confirment par ailleurs ces retours positifs. J'en profite ainsi pour saluer l'engagement des équipes.
Malheureusement, j'ai aussi pu constater au cours de ce contrôle tous les obstacles qui se dressent devant le projet de généralisation du SNU.
Premièrement, la représentativité des jeunes qui participent au séjour interroge. Il y a notamment une forte représentation des enfants dont l'un des parents travaille dans les corps en uniforme, comme la police ou l'armée : c'est le cas de 33 % des jeunes qui ont participé au séjour de cohésion en 2022.
Mais surtout, le SNU fait face à des limites d'ordre matériel. Les personnes que j'ai rencontrées et auditionnées ont quasiment toutes affirmé qu'elles avaient eu de vraies difficultés à trouver des centres d'hébergement disponibles pour accueillir l'ensemble des jeunes accomplissant le séjour de cohésion en 2022. Et pourtant, seuls 32 400 jeunes ont participé au séjour de cohésion en 2022. Nous sommes loin de l'objectif de généralisation à l'ensemble d'une classe d'âge, c'est-à-dire 840 000 jeunes ! Le recrutement des encadrants soulève également de nombreuses questions.
En conséquence, le rythme du déploiement du service national universel a été plus lent que prévu, même en tenant compte de la pandémie.
Face à ce constat, les services de la secrétaire d'État chargée de la jeunesse et du service national universel ont récemment présenté deux scénarios de généralisation du SNU. Selon le premier, le séjour de cohésion serait généralisé hors du temps scolaire, pendant les vacances d'été principalement. Entre trois et quatre sessions du séjour de cohésion seraient organisées, et elles réuniraient en simultané plusieurs centaines de milliers de jeunes.
Dans le second scénario, le séjour de cohésion serait généralisé sur le temps scolaire. Entre treize et quinze sessions du séjour de cohésion seraient organisées tout au long de l'année, et les centres d'hébergement pourraient être réutilisés d'un mois à l'autre. De même, le personnel encadrant serait consacré toute l'année au SNU.
La secrétaire d'État a une préférence pour le second scénario, celui de la généralisation sur le temps scolaire. Il est vrai qu'il nécessiterait moins d'encadrants et de centres d'hébergement que dans le premier scénario, qui semble particulièrement irréaliste.
Le scénario d'une généralisation sur le temps scolaire soulève cependant de nombreuses interrogations.
Tout d'abord, ce scénario suppose une articulation entre l'éducation nationale et le SNU qui n'existe pas encore. Il impliquerait aussi de retirer aux élèves de seconde deux semaines de cours, ce qui pourrait être dommageable. Il faudrait trouver une manière de rattraper ces deux semaines.
Ma seconde série d'interrogations porte sur l'encadrement. La généralisation du SNU sera impossible sans la mise en place d'une véritable stratégie de recrutement du personnel. Durant l'expérimentation, le recrutement se déroule essentiellement par le bouche-à-oreille, ce qui suffit pour accueillir quelques dizaines de milliers de jeunes, mais ne peut être répliqué à large échelle.
Selon les estimations qui ont été réalisées dans le cadre de ce travail, si le SNU devait être généralisé sur le temps scolaire, un encadrant devrait consacrer en moyenne entre 90 et 112 jours de travail par an au séjour de cohésion. Or, un contrat d'engagement éducatif ne peut excéder 80 jours sur l'année.
La généralisation du SNU sur le temps scolaire supposerait donc de recruter et de former des encadrants longtemps à l'avance, et de leur donner un véritable statut. Une « filière » du service national universel nécessiterait ainsi plusieurs années pour être opérationnelle.
Les acteurs de l'éducation populaire ont une préférence pour le scénario d'une généralisation sur le temps scolaire, dans la mesure où leur personnel n'a pas vocation à travailler par à-coups, mais tout au long de l'année. Il est vrai que cela permettrait de renforcer les liens entre l'éducation populaire et l'éducation nationale.
Toutefois, la réduction de la part des encadrants relevant de l'administration présente également des risques. En effet, les compétences et les moyens humains requis pour l'organisation du séjour de cohésion sont très spécifiques : il faut des organisations qui puissent être capables de mobiliser des encadrants tout au long de l'année, en période de « hors saison ». Cette situation peut amener à des surcoûts.
La disponibilité des centres d'hébergement est aussi une problématique majeure. Le Groupe de travail relatif à la création d'un service national universel d'avril 2018, dirigé par Daniel Ménaouine, la qualifiait même de « difficulté la plus importante à surmonter pour assurer le complet déploiement du service national ».
Les sites utilisés pour héberger des jeunes durant l'expérimentation sont essentiellement des internats d'établissements scolaires et des centres de vacances. Si le séjour de cohésion devait être généralisé sur le temps scolaire, les internats ne seraient plus disponibles, et il faudrait s'appuyer davantage sur les centres de vacances. Or, cela pose d'importants problèmes.
Les centres de vacances ne sont pas tous disponibles hors de la période estivale, leur répartition sur le territoire est très inégale, et surtout, ils sont loin d'avoir tous la taille requise pour accueillir des séjours de cohésion.
Alors que l'objectif affiché est de 200 jeunes par centre, l'effectif moyen des accueils collectifs de mineurs (ACM) est inférieur à 30 mineurs par séjour incluant les campings, et la moyenne des locaux avec hébergement déclarant des accueils collectifs de mineurs est estimée à 96 jeunes hébergés par centre. La généralisation du SNU se retrouverait vite devant l'obstacle de la pénurie de centres pouvant accueillir plus d'une centaine de jeunes.
Or, l'obligation de se rabattre sur des centres de petite taille conduirait à une forte augmentation des coûts. De plus, recourir davantage aux centres de vacances comporte le risque de rendre l'État trop dépendant d'acteurs privés dans l'organisation des séjours de cohésion.
La rénovation de centres existants, qui ne sont plus aux normes, voire qui ont fermé, a été évoquée comme un levier pour atteindre le nombre de centres suffisant pour accueillir les jeunes accomplissant le séjour de cohésion. Cette politique aurait par ailleurs l'avantage de réduire la dépendance l'État vis-à-vis des acteurs extérieurs, si la rénovation était subventionnée en contrepartie d'un droit d'accès.
Son coût n'est toutefois pas chiffré, et les rénovations peuvent prendre plusieurs années. Elles ne sont donc pas compatibles avec un scénario de généralisation rapide du SNU.
Cette problématique nous amène à la question du coût du SNU lorsque celui-ci sera généralisé.
Les estimations qui ont été réalisées jusqu'à présent s'appuient sur le coût du SNU pendant son expérimentation. Ainsi, si l'on considère le coût prévisionnel par jeune prévu pour 2023, cela nous amènerait à un coût de 1,75 milliard d'euros par an pour le SNU généralisé.
Or, les coûts de l'expérimentation ne sont pas forcément représentatifs du coût qu'aura le SNU obligatoire pour les élèves de seconde. Il y aura certes des économies d'échelle, mais dans le même temps, la logistique requise pour accueillir 50 000 jeunes est sans commune mesure avec celle nécessaire pour 840 000 jeunes : cela supposerait de construire une véritable administration du SNU.
De plus, les centres d'hébergement disponibles seraient de plus en plus chers à mesure qu'il deviendrait difficile de trouver des centres d'une taille suffisante pour accueillir un séjour de cohésion. Or, les grands centres sont en nombre limité, et l'hébergement et la restauration représentent déjà le premier poste de dépenses du séjour de cohésion.
Pour toutes ces raisons, il est probable que le coût du SNU généralisé soit en réalité supérieur à 2 milliards d'euros par an.
Plusieurs personnes auditionnées ont déclaré, et c'est compréhensible, qu'il ne fallait pas s'arrêter au coût du SNU, mais aussi prendre en compte ses bénéfices. Cependant, cela n'interdit pas de se demander si la généralisation du séjour de cohésion est réalisable.
Au regard de tous ces éléments, je propose de surseoir au projet de généralisation du séjour de cohésion. Cette suspension devra permettre de lever des incertitudes et d'obtenir plus d'informations sur la généralisation du SNU.
Je vais conclure mon propos sur la seconde phase du service national universel, la mission d'intérêt général.
Ce dispositif n'est pas satisfaisant en l'état actuel. En effet, sur l'ensemble des jeunes ayant effectué le séjour de cohésion entre 2019 et 2021, on compte 11 200 jeunes ayant validé la phase 2 du SNU, ce qui représente seulement 53,7 % des volontaires.
Les structures d'accueil sont réticentes, pour des raisons financières et juridiques, à accueillir des jeunes sur des périodes très courtes. De plus, il peut être difficile pour des jeunes de trouver une mission d'intérêt général proche de chez eux, notamment pour ceux qui vivent dans des zones rurales. Ces difficultés sont d'ailleurs tout à fait admises par l'administration. D'un point de vue plus philosophique, je m'interroge aussi sur l'opportunité de rendre obligatoire une période d'engagement.
Je recommande donc de supprimer la mission d'intérêt général, au profit de la troisième phase, l'engagement volontaire sur une durée d'au minimum plusieurs mois. Cet engagement pourrait ensuite être valorisé via Parcoursup.
Le projet de généralisation du séjour de cohésion soulève des questions importantes relatives aux libertés individuelles des jeunes, et à la façon dont la Nation reconnaît leur engagement. Or, le Parlement n'a jusqu'à présent pas été saisi de cette question. L'expérimentation a été engagée depuis 2019 sans qu'une véritable loi sur le SNU n'ait été adoptée.
Je souhaite donc, en guise de dernière recommandation, que nous ayons la garantie que le Parlement puisse s'exprimer sur le SNU.