Intervention de Maryse Carrère

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 8 mars 2023 à 10h00
Formation initiale et continue des personnels de la police et de la gendarmerie nationales — Examen du rapport d'information

Photo de Maryse CarrèreMaryse Carrère, rapporteure :

Cette mission nous a permis de mettre en lumière des différences existant entre les milieux de la gendarmerie et de la police en matière de formation. Les attentats de 2015, la nécessité de maintenir l'ordre public et la volonté de mettre en place une police du quotidien ont entrainé trois vagues importantes de recrutement de policiers et de gendarmes au cours des huit dernières années, dont la dernière a été approuvée par le Parlement dans le cadre de la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi).

Les ordres de grandeur sont parlants. En 2012, les écoles de police avaient intégré 2 500 élèves gardiens de la paix, policiers adjoints ou cadets de la République. Depuis 2014, elles n'ont jamais intégré moins de 6 000 élèves par an et ont connu un pic à près de 9 400 élèves en 2016. En 2023, elles devraient intégrer 8 238 élèves.

Du côté de la gendarmerie, les écoles ont intégré 6 505 élèves gendarmes et gendarmes adjoints volontaires en 2013, plus de 13 000 en 2016 et plus de 9 500 en 2021.

Or le réseau de formation, largement réduit par la révision générale des politiques publiques (RGPP), ne s'est pas développé en conséquence. Dans le cas de la police nationale, ce réseau comprend à la fois des infrastructures modernes, suffisamment dotées et efficaces, et d'autres devenues vétustes. Nous avons pu le constater à Draveil, où la création d'un stand de tir est envisagée depuis plus de cinq ans sans se concrétiser. Le centre ne peut utiliser une partie de ses bâtiments, qui sont amiantés, et se sert des dortoirs des élèves comme lieux d'entrainement faute de place. Pourtant, tout le monde, y compris la Cour des comptes, convient de la nécessité d'une école de police supplémentaire en Île-de-France.

La variable d'ajustement ayant permis l'intégration rapide des effectifs a été la réduction du temps de formation des élèves en école. Ainsi, le rétablissement du temps de formation des gardiens de la paix et la prolongation de celui des élèves gendarmes renforcent encore la pression s'exerçant sur le réseau de formation, au moment où la police nationale se lance dans un ambitieux programme de constitution et de formation d'une réserve opérationnelle. Ces difficultés, particulièrement visibles du côté de la police nationale, se retrouvent aussi du côté de la gendarmerie, qui bénéficie toutefois d'une meilleure capacité d'anticipation et de mise en oeuvre de ses projets.

Il nous semble donc souhaitable de concevoir un plan triennal de mise à niveau des infrastructures de formation de la police et de la gendarmerie, qui soit susceptible de s'appuyer sur les augmentations de crédits prévues par la Lopmi.

Les formateurs, qu'ils soient policiers ou gendarmes, sont les premiers à subir les conséquences de cette hausse du nombre de recrutements mal corrélée à l'augmentation des capacités. Les difficultés de recrutement doivent conduire à une meilleure prise en compte de l'occupation du poste de formateur dans le déroulement des carrières, dans la police comme dans la gendarmerie. Elles offrent aussi l'occasion d'ouvrir plus largement la formation initiale à des intervenants extérieurs - avocats, magistrats ou universitaires, institutionnels ou associatifs -, pour permettre aux élèves de prendre en compte la diversité des attentes dont ils font l'objet.

Selon l'avis général, l'augmentation des recrutements a conduit à une baisse du niveau des élèves. À cet égard, le constat dressé par les formateurs de la police nationale a été sévère : que ce soit en termes d'aptitude physique, de connaissances basiques ou de savoir-être, le niveau des élèves leur paraît insuffisant. La massification du recrutement a conduit à intégrer des personnes dont les connaissances sont inadaptées, mais dont on déplore aussi les motivations faibles et l'implication limitée. Une hostilité à la police nationale est même exprimée par certains élèves, ce qui conduit à une dégradation nette de l'ambiance et de la capacité d'acquisition des savoirs par une promotion.

Les formateurs de la police nationale ont insisté sur la difficulté à rompre les contrats des policiers adjoints dont le niveau est insuffisant ou l'attitude inadéquate. Il semble en être de même, sauf dans les cas les plus extrêmes, pour les élèves gardiens de la paix. Cette situation n'est pas satisfaisante puisqu'elle tend à faire primer le nombre de recrutements sur leur qualité.

Cette difficulté concerne les deux forces et nous a notamment été signalée lors de notre déplacement à l'école de gendarmerie de Chaumont. Cependant, la capacité de la gendarmerie nationale à créer une culture commune à tous ses membres lui permet de maintenir un niveau d'exigence supérieur. Cette volonté est inscrite dans les textes. Ainsi, l'article 2 de l'arrêté du 23 mai 2016 fixant les conditions de déroulement de la période de formation initiale des militaires engagés en qualité d'élèves gendarmes dispose que « les objectifs de la formation initiale sont de forger l'identité de sous-officier de gendarmerie et de faire acquérir les connaissances et les compétences fondamentales du métier ».

Cette formulation peut être comparée à celle de l'arrêté du 24 juin 2020, portant organisation de la formation statutaire et de l'évaluation des gardiens de la paix, qui dispose que « la formation statutaire des gardiens de la paix prépare l'élève puis le stagiaire à acquérir les compétences et aptitudes professionnelles et personnelles, nécessaires à l'exercice des missions énoncées à l'article 2 du décret du 23 décembre 2004 susvisé, en particulier dans le poste occupé à compter de la première affectation ».

La capacité de la gendarmerie à forger une identité repose sur l'intégration de deux notions : la « militarité » et la « rusticité ». Ces concepts fondent l'adhésion des élèves et nous avons été marquées par l'importance que revêt l'identité de la gendarmerie, ainsi que la perception de son histoire et de ses missions, par les élèves sous-officiers et officiers.

Nous partageons pleinement l'idée que le caractère militaire de la gendarmerie et de ses formations doit être conservé.

La notion de pluridisciplinarité se trouve aussi au coeur de la formation des gendarmes, en lien avec la nécessité de couvrir 96 % du territoire.

Les gardiens de la paix exercent eux aussi des missions multiples, pour lesquelles ils sont formés. Toutefois, cette multiplicité relève davantage de la juxtaposition que de la polyvalence, ce qui tient à la nature même des fonctions exercées. Une évolution de l'approche pourrait être envisagée afin de renforcer l'intégration de l'ensemble des missions.

Par ailleurs, nous avons constaté que les voies destinées à favoriser le recrutement de jeunes n'ayant pas nécessairement acquis un diplôme traversent une crise. C'est le cas pour les cadets de la République, qui ont pour vocation d'exercer des missions opérationnelles en appui des gardiens de la paix et policiers adjoints, tout en étant accompagnés dans la préparation des concours. Leur rémunération, qui se situe à un tiers du Smic alors que les policiers adjoints gagnent le Smic, a considérablement fait baisser l'attractivité de cette voie d'intégration. Une revalorisation paraît nécessaire.

Les difficultés rencontrées dans la formation des policiers sont également liées à l'un des problèmes structurels de la direction générale de la police nationale (DGPN) : le déficit d'encadrement intermédiaire.

Dans le cadre de la RGPP, la majorité des officiers devait être remplacée par des gradés issus du corps des gardiens de la paix. En pratique, le taux important de rotations au sein des services les plus sensibles a rendu ce remplacement très inégal selon les directions.

Prenant acte de ce fait, la Lopmi prévoit de relancer les recrutements d'officiers, ce qui nécessite d'adapter la capacité d'accueil des écoles, de créer des postes de gradés et de fournir un effort en matière de formation des gardiens de la paix, afin de leur permettre d'accéder à des fonctions intermédiaires, en appui des officiers en charge du commandement.

Nous proposons, au moins dans le cas des services affectés par les taux de rotation les plus élevés, de respecter un taux d'encadrement minimal de 35 % dans chaque service de police, en ayant recours à une clef de répartition entre gradés et officiers, ainsi qu'à une identification et à une valorisation spécifiques de postes destinés aux fonctions de maitre de stage et de formation des personnels nouvellement affectés.

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