Nous allons vous présenter ce projet de loi visant à contrôler l'immigration et à améliorer l'intégration. Il intervient à la suite de l'adoption de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) qui était un texte de moyens et qui nous permettra aussi de répondre aux enjeux très importants qui se posent à nous face à la situation migratoire. Le Sénat appelle de ses voeux depuis longtemps une réponse forte en la matière.
La situation internationale, la multiplication des guerres et des dictatures dans le monde, les persécutions, religieuses ou sexuelles, les difficultés économiques et sociales que connaît notre pays ainsi que nombre de pays en développement, notamment depuis la crise sanitaire de la covid-19, ainsi que le changement climatique font peser sur l'Europe et sur la France une pression migratoire très forte, qui ne se fait pas sentir que depuis quelques mois ou depuis la crise sanitaire. Ainsi, le nombre de demandeurs d'asile a été multiplié par deux en 10 ans et par trois depuis 2007. En 2022, les demandes d'asile, notamment au titre de l'immigration dite de protection, ont augmenté de 61 % dans l'Union européenne, contre « seulement » 31 % en France. Mais nous avons rattrapé le pic historique de 2019, avec 138 000 demandes d'asile en 2022. Rien ne laisse à penser que cette tendance s'infléchira à la baisse dans les mois et les années qui viennent sur l'ensemble du continent européen. Une comparaison avec la fin des années 1990 et le début des années 2000 n'a plus beaucoup de sens dans la mesure où la plupart des pays d'origine des demandeurs d'asile comme la Syrie, la Libye, l'Afghanistan et tous les pays de la bande sahélo-saharienne ne se trouvaient pas dans le chaos politique et terroriste qu'ils peuvent connaître aujourd'hui. La France, comme l'Europe, avait alors des relations diplomatiques fortes avec ces pays, ce qui n'est plus le cas pour une partie d'entre eux.
Pendant très longtemps, les politiques publiques ont estimé que le développement économique, notamment celui du continent africain, freinerait l'immigration. Force est de constater qu'il a même plutôt tendance à l'encourager, les classes moyennes étant enclines à partir pour un avenir meilleur.
Les crises, le développement économique et une démographie importante sont donc des facteurs d'immigration. Aussi, le débat ne réside pas dans le fait d'être pour ou contre l'immigration. C'est une réalité qui touche tous les pays, quel que soit leur régime politique. Comme le disait le général de Gaulle, « on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités ». C'est donc ces réalités que nous devons regarder en face.
En revanche, un grand pays comme la France doit répondre à trois questions, qui sont le noeud gordien de notre débat. J'espère que les 27 articles que contient ce projet de loi apporteront un début de réponse.
Quelle immigration voulons-nous ? Quelle exigence demandons-nous aux étrangers qui viennent sur notre sol ? Quels moyens nous donnons-nous pour appliquer cette politique ?
Il est vrai qu'une vingtaine de lois en la matière ont été adoptées par le Parlement depuis 1986. Mais la loi Collomb du 10 septembre 2018, la seule qui a été adoptée sous le précédent quinquennat du Président de la République - sous la présidence de François Hollande, trois lois avaient été adoptées en cinq ans -, a permis notamment de diminuer quasiment par deux les délais de traitement des demandes d'asile de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra). Il n'est donc pas anormal de légiférer sur cette question très importante de l'immigration, d'abord pour transposer nombre de directives européennes, mais aussi pour répondre à son caractère protéiforme.
Pour répondre à la première question, l'immigration en France se révèle trop familiale et insuffisamment professionnelle, trop subie et insuffisamment qualifiée et choisie.
Permettez-moi de dire au préalable que la question de l'immigration ne pourra pas être résolue tant qu'elle ne sera pas réglée au niveau européen. Sous la présidence française du Conseil de l'Union européenne, nous avons beaucoup avancé sur ce sujet. Il convient maintenant de parachever l'accord entre les États membres, qui repose sur quatre grands projets.
Le premier projet concerne la prévention des départs, qui passe par le développement économique, mais aussi par la lutte contre les départs en mer, afin d'éviter les drames qui en résultent parfois. Il importe que l'Europe soit unie et porte le même discours avec les pays d'origine, qui doivent faire un travail d'intégration de leur population et ne pas encourager l'immigration irrégulière, ce qui est parfois le cas.
Le deuxième projet a trait à une politique commune de l'Union européenne en matière de visas et de réadmissions. La politique de retour n'est pas au rendez-vous lorsqu'un pays, comme la France, prend des décisions courageuses de restrictions de visas tandis que d'autres pays européens les accordent. Cela met à mal l'action française de restriction des visas, car le visa octroyé dans un pays de l'Union européenne vaut pour l'ensemble de l'Union européenne. Il est donc essentiel que l'Europe adopte une diplomatie commune en matière de visas et réadmissions. Cette politique a été adoptée par le Conseil européen : il convient maintenant qu'elle se traduise en termes législatifs et diplomatiques.
Le troisième projet, c'est la protection de nos frontières. Les étrangers qui arrivent sur le sol européen ne sont pas tous enregistrés. Nous ne connaissons pas toujours leur état civil, ni leur âge - ce qui pose problème pour savoir s'il s'agit d'adultes ou de mineurs-, ni leur vie antérieure. Le Conseil européen a adopté deux textes importants, à savoir le règlement « Screening », c'est-à-dire l'enregistrement aux portes de l'Europe, et le règlement Eurodac. Il revient au Parlement européen de les adopter à son tour pour que nous ayons enfin une politique commune en la matière.
Le quatrième projet, qui n'a pas été adopté par le Conseil européen, mais qui mériterait d'être largement soutenu par les chefs d'État, vise une politique unique de l'asile. Aujourd'hui, les conditions d'octroi de l'asile diffèrent entre les pays, ce qui est de nature à encourager un certain nombre de personnes à utiliser la demande d'asile à des fins détournées d'immigration irrégulière.
Au demeurant, dans le cadre des règles européennes et de la Constitution, le Parlement français peut adopter des dispositions.
Ainsi, j'évoquerai les quatre grands points d'intérêt du projet de loi qui vous est présenté.
Premièrement, ce projet de loi vise à simplifier le droit appliqué au contentieux des étrangers. Les mesures de simplification générale du droit ont été validées non seulement par votre commission des lois au travers de son rapport d'information, qui a été adopté à l'unanimité, mais également par le Conseil d'État. Toutes les mesures que nous proposons sont donc a priori constitutionnelles, ce dont nous nous félicitons.
S'agissant de la réforme du contentieux en tant que telle, nous proposons de réduire de douze à quatre le nombre de procédures auxquelles les étrangers peuvent recourir avant d'être expulsés du territoire national. Pour rappel, 50 % des contentieux des tribunaux administratifs et 40 % de l'activité des cours administratives d'appel sont relatifs au droit des étrangers. Ces procédures longues et illisibles détournent l'action de l'État de sa finalité et nuisent à son efficacité. Aujourd'hui, lorsqu'un préfet prononce une obligation de quitter le territoire français (OQTF), ce n'est qu'au bout d'un an et demi ou deux ans, après différents recours, que la décision de l'État sera validée - elle est validée dans 70 % des cas. Entretemps, l'étranger aura parfois trouvé un travail de façon illégale, voire légale, se sera marié, aura des enfants. Le nombre important de contentieux entraîne ainsi depuis de très nombreuses années des situations improbables dans la mesure où l'État n'est plus en mesure d'expulser ces personnes au regard de leur vie privée et familiale. La réforme du contentieux est donc essentielle pour réduire drastiquement les délais.
La vidéoaudience, bien que contestée, est également un élément important pour contribuer à réduire ces délais.
La proposition du juge unique à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) serait un gage en termes d'efficacité et de rapidité. Si la loi Collomb a réduit le délai de traitement d'une demande d'asile à quatre mois ou quatre mois et demi, celui-ci est en moyenne de neuf mois, voire plus en cas de recours. Il est donc nécessaire de réduire drastiquement le nombre de recours afin non pas de juger différemment sur le fond, mais de juger plus rapidement.
Enfin, une mesure, que je sais contestée mais qui nous paraît importante - j'essaierai de vous en convaincre - concerne la territorialisation de la CNDA, car son excessive centralisation pose des problèmes de rapidité.
Parallèlement à la simplification générale du droit, je vous présenterai la réforme complète du réseau de nos préfectures. Celles-ci concentrent leurs moyens dans une trop large mesure sur le suivi des titres de séjour déjà déposés. Il s'agit d'un écueil important pour les étrangers qui deviennent parfois des irréguliers, du fait de notre propre incurie administrative. Il importe de faire des efforts en matière d'intégration et de mieux vérifier les dossiers des primo-arrivants, plutôt que de passer du temps à demander des documents administratifs à des personnes résidant sur le territoire depuis de nombreuses années. Le projet de loi de finances que vous avez adopté permettra de donner des moyens aux préfectures et de mettre en place, si le Sénat le souhaite, la fameuse instruction « à 360°». Avec cette révolution des préfectures, il incombera à l'État de vérifier dès la première demande l'intégralité des titres auxquels le demandeur d'asile pourrait avoir droit.
Deuxièmement, le projet de loi vise à renforcer les exigences d'intégration que nous demandons aux étrangers. Le Gouvernement, depuis que je suis ministre de l'intérieur, a considérablement augmenté les exigences pour accorder la naturalisation française : entretien d'assimilation, exigences du niveau linguistique, entretien, voire plusieurs entretiens, devant les agents de préfecture. En cinq ans, on dénombre 30 % de naturalisations en moins. Nous souhaitons appliquer à ceux qui ont des titres de séjour sur le territoire national les mêmes exigences, ou quasiment les mêmes, par homothétie, que celles nous demandons à ceux qui vont devenir français.
La première exigence est la langue. Il s'agit de passer d'une obligation de moyens à une obligation de résultat pour toute personne qui obtient ou possède déjà un titre de séjour - 300 000 titres par an sont concernés. Le projet de loi conditionne l'octroi de ce titre de séjour à la réussite d'un examen de français. Entre 20 et 25 % d'étrangers en situation régulière comprennent extrêmement mal le français, ce qui nuit à l'accès à l'emploi et à l'intégration. Nous voulons d'une immigration qui parle et qui comprend notre langue.
La deuxième exigence s'inspire d'une disposition adoptée dans la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, que la majorité sénatoriale a votée, à savoir demander aux étrangers ayant des titres de séjour de longue durée l'engagement de respecter les valeurs de la République, son emblème, l'hymne national, sa devise, son caractère laïc, la liberté religieuse et l'orientation sexuelle. Si cet engagement n'est pas signé, le titre de séjour sera refusé. En cas de manquement à cet engagement, la personne pourra se voir retirer son titre de séjour. Le ministre de l'intérieur serait, par exemple, en mesure de retirer administrativement le titre de séjour à un homme qui refuse d'être soigné par un médecin femme.
La troisième exigence est l'intégration par le travail. Olivier Dussopt développera ce sujet.
Pour répondre aux exigences d'intégration que nous demandons, vous avez voté une enveloppe extrêmement importante dans la Lopmi en augmentant de 25 % les crédits dédiés à l'intégration - la hausse la plus importante -, soit 106 millions d'euros pour les trois prochaines années.
Troisièmement, le projet de loi traite de l'expulsion des étrangers menaçant l'ordre public, avec le rétablissement de la double peine et la lutte contre les filières d'immigration irrégulière, en donnant les moyens aux préfets, au ministère de l'intérieur et à la justice de pouvoir lutter contre le continuum de l'immigration irrégulière organisée. Les passeurs, véritables criminels, sont responsables de l'immigration irrégulière, mais aussi des drames humains que nous avons connus à Calais ou au large de l'Italie.
D'abord, nous souhaitons renforcer les sanctions contre les employeurs voyous qui embauchent des personnes irrégulières. Ensuite, nous visons notre propre incurie administrative en mettant fin à la possibilité pour un étranger dénué de papiers en règle de devenir autoentrepreneur. Cette chausse-trape conduit parfois à des régularisations ou à des situations où les personnes ne sont ni régularisables ni expulsables.
Ensuite, nous prévoyons un alourdissement de la peine visant les passeurs, passant d'un délit à un crime. Le crime de passeur sera puni d'une peine de 20 ans d'emprisonnement si le passage d'immigrés clandestins entraîne la mort de ces personnes et de 15 ans s'il n'entraîne pas la mort.
Une autre disposition du projet de loi tend également à lutter contre les marchands de sommeil. Aujourd'hui, n'est pas reconnu comme une personne vulnérable l'étranger en situation irrégulière qui dispose d'un faux bail chez un marchand de sommeil. Nous aggravons les sanctions applicables aux marchands de sommeil, afin de lutter contre ceux qui créent ainsi d'énormes réseaux d'immigration irrégulière.
En outre, le projet de loi prévoit trois dispositions importantes pour le renforcement de nos frontières. D'abord, nous donnons désormais à la police aux frontières les moyens d'inspecter les véhicules des particuliers. Cette disposition fait écho à une décision du Conseil constitutionnel, que les sénateurs avaient saisi, sur le pouvoir des douaniers. Nous proposons d'étendre ces pouvoirs législatifs en matière de contrôle et d'inspection des véhicules à nos frontières à la police aux frontières. Par ailleurs, le projet de loi introduit une mesure de coercition pour prendre les empreintes digitales des personnes qui refusent de s'y soumettre. De plus, nous traduirons dans notre droit interne l'autorisation de voyage Etias - système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages.
Avec le système « entrée-sortie », tout citoyen de l'espace Schengen et tout étranger qui rentre dans l'espace Schengen aura une fiche biométrique européenne, ce qui permettra de suivre l'intégralité des personnes qui se trouvent sur notre sol, de vérifier leur identité, de connaître leur âge, sans aucune contestation possible, et ce faisant de mettre en place une politique européenne de contrôle. Six mois après, nous pourrons mettre en place Etias : toutes les polices et gendarmeries européennes auront la possibilité d'effectuer des vérifications d'identité dans l'espace Schengen par le biais de leur nouvel équipement opérationnel (Néo).
Il importe non seulement de lutter contre l'immigration irrégulière, mais aussi de lutter contre le terrorisme dans la perspective des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
Quatrièmement, enfin, les dispositions prévues aux articles 9 et 10 prévoient de supprimer la protection contre l'éloignement dont bénéficient des personnes qui commettent des délits extrêmement graves sur le sol de la République. Demain, pour des faits punissables de 10 ans de prison ou cinq ans en cas de récidive, et non pas les condamnations prononcées - nous aurons un débat sur ce sujet -, les dispositions qui empêchent le ministre de l'intérieur d'expulser ces personnes ne s'appliqueront plus. La fin de la double peine, mise en place dans les années 2000, n'est protégée ni par une convention, ni par la Constitution, comme l'a relevé le Conseil d'État.
Nous proposons de mettre fin au bénéfice des protections pour considérer non plus la vie privée et familiale de la personne, mais le crime qu'elle a commis, de façon à être en capacité de l'expulser. Celle-ci pourra toujours déposer un recours devant le juge. Parfois, le Conseil d'État, comme il l'a fait dans l'affaire de l'imam Iquioussen, donne raison à l'État en écartant la vie privée et familiale.
Le retour de la double peine représente évidemment une mesure forte pour lutter contre les étrangers auteurs d'actes de délinquance extrêmement graves : crimes, atteintes aux policiers, aux gendarmes ou aux élus, violences conjugales, trafics de drogue. Demain, ces personnes ne pourront pas revendiquer la protection de la vie privée et familiale pour éviter leur expulsion.