Je reviendrai sur les dispositions du projet de loi qui concernent le travail, en particulier l'intégration par le travail et par la langue. Les mesures que nous vous présentons s'appuient sur un constat et une conviction.
En France, le marché du travail ne propose pas une offre professionnelle satisfaisante aux étrangers présents sur notre territoire. Quel que soit le contexte économique - en cas de récession, de croissance ou de reprise -, le taux de chômage des personnes nées à l'étranger est, en moyenne, presque deux fois supérieur à celui des personnes nées en France. Alors que le taux de chômage général s'élève actuellement à 7,2 %, il est de 13 % pour les personnes nées à l'étranger.
Notre système ne permet pas d'accompagner suffisamment les étrangers en situation régulière vers l'emploi et, dans le même temps, maintient dans l'illégalité des hommes et des femmes qui sont présents depuis longtemps sur le territoire et travaillent souvent de manière régulière. Certaines situations deviennent inextricables, avec des entreprises qui comptent sur un certain nombre de salariés, alors que leur présence sur le territoire est irrégulière, quand bien même leur emploi est déclaré et régulier. Et, comme l'a souligné le ministre de l'intérieur, quand bien même la justice a prononcé l'expulsion de telle personne, il n'est pas possible de l'appliquer pour des éléments relatifs à sa vie privée et familiale.
Nous en sommes convaincus, une meilleure intégration passe par le travail et par la langue. Le travail est en effet un facteur d'autonomie, d'émancipation, qui permet de mener une vie plus autonome. La langue donne, quant à elle, la capacité de s'intégrer, de partager et de communiquer.
C'est pourquoi nous proposons des mesures visant à favoriser l'intégration par le travail et l'apprentissage de la langue - ce sera même une obligation pour réussir le parcours d'intégration. C'est aussi la raison pour laquelle nous voulons que les personnes qui se prêtent délibérément au recrutement de personnes en situation irrégulière puissent être plus durement sanctionnées.
Concernant l'intégration par le travail, l'article 3 prévoit de créer une carte de séjour pour les métiers en tension. Il ne s'agit pas là d'inciter les étrangers non communautaires à venir sur notre territoire. Ce titre permet de régulariser la situation d'hommes et de femmes déjà présents sur notre territoire depuis longtemps et qui travaillent. Très souvent, lors de la signature de leur contrat de travail, ces derniers étaient en situation régulière et leur titre de séjour n'a pas été renouvelé pour différentes raisons. Nous précisons que l'éligibilité à ce nouveau titre de séjour sera conditionnée par une présence sur le territoire depuis au moins trois ans et par le fait d'avoir travaillé au moins huit mois au cours des vingt-quatre derniers mois.
Nous nous inscrivons dans une logique de critères, afin de faire en sorte que ces travailleurs ne restent pas sans droits, ni au séjour ni au travail, que leur situation puisse être régularisée et qu'ils bénéficient, ainsi que leurs employeurs, d'une sécurité juridique.
Pour définir les secteurs en tension, nous souhaitons nous appuyer sur la liste des métiers en tension qui répertorie, dans l'état du droit, les métiers dans lesquels il est possible de recruter de la main-d'oeuvre étrangère non communautaire sans opposabilité de la situation de l'emploi. Aujourd'hui, lorsqu'un employeur souhaite recruter un salarié étranger non communautaire, il doit demander, avant signature du contrat de travail, l'autorisation administrative de signer ce contrat, qui conditionne d'ailleurs l'accès à un visa ou à une autorisation d'entrer sur le territoire.
La liste existante des métiers en tension, qui a été réactualisée il y a quelques années, permet aux employeurs recrutant des étrangers non communautaires de s'affranchir de cette autorisation administrative, dès lors qu'ils recrutent pour un poste répertorié comme étant particulièrement en tension. Nous souhaitons utiliser cette liste pour permettre d'intégrer plus rapidement des travailleurs étrangers déjà présents sur le territoire.
Cependant, cette liste doit être révisée. De nombreuses organisations professionnelles nous ont fait part de son inadéquation avec la situation actuelle du marché du travail, notamment dans les secteurs de la restauration ou de l'entretien des bâtiments et des locaux. À titre d'exemple, dans le secteur de la restauration, le métier de commis de cuisine n'apparaît pas comme étant en tension et, de la même manière, les agents d'entretien des bâtiments, hommes et femmes de ménage, ne figurent pas dans la liste. Nous savons pourtant que la part d'étrangers non communautaires dans ces métiers est particulièrement importante.
La révision de cette liste doit être encadrée par un certain nombre de critères, notamment statistiques, et doit prendre une dimension régionale. En effet, si la liste est souvent présentée comme étant nationale, elle connaît des déclinaisons régionales pour être la plus adaptée possible aux besoins de l'économie à l'échelle de territoires régionaux qui, d'après la jurisprudence, sont suffisamment larges pour éviter de créer des phénomènes de discrimination, ce qui pourrait être le cas si des territoires plus restreints étaient retenus.
La procédure que nous voulons créer fait suite à une première expérience, à laquelle avait donné lieu la circulaire dite « Valls ». Ce texte prévoyait des admissions exceptionnelles au séjour, motivées pour une part importante par des motifs familiaux, sociaux et privés et, pour une part moins importante et même minoritaire, par des motifs économiques. Environ 7 000 admissions exceptionnelles au séjour sont accordées chaque année au titre de la circulaire « Valls » pour des motifs professionnels ou économiques. S'il est toujours difficile de prévoir le rythme auquel les régularisations de situations interviendront, il s'agit là d'un chiffre autour duquel nous pourrions aboutir dans le cadre de la mise en oeuvre de l'article 3.
La circulaire « Valls » présente deux difficultés. D'abord, son application est hétérogène sur le territoire puisqu'elle résulte d'une forme de pouvoir discrétionnaire des autorités préfectorales.
De plus, l'employeur doit se déclarer et accompagner la régularisation. Cette obligation de participation de l'employeur crée deux limites. En premier lieu, certains employeurs craignent légitimement cette exposition. En effet, dire que leur salarié se trouve en situation irrégulière sur le territoire ne constitue pas une démarche facile.
Nous nous heurtons moins souvent à la seconde limite, mais elle crée une situation beaucoup plus grave. Certains employeurs - que le ministre de l'intérieur qualifiait plus tôt et à raison d'employeurs-voyous - trouvent confortable et positif de pouvoir s'appuyer sur des salariés en situation irrégulière, cette configuration créant un rapport de dépendance et modifiant le lien professionnel tel que défini par le contrat de travail.
Avec ce nouveau titre, les étrangers en situation irrégulière, exerçant une activité régulière depuis plusieurs mois et étant présents sur le territoire depuis plusieurs années, pourront solliciter eux-mêmes leur régularisation. Évidemment, si nous nous contentions de créer un titre d'un an renouvelable, aux mêmes conditions, nous ne ferions que repousser le problème. Ainsi, nous proposons que les étrangers concernés, s'ils sont signataires d'un contrat à durée indéterminée (CDI), puissent demander à terme l'accès à une carte de séjour pluriannuelle. Cet accès serait alors soumis aux mêmes critères que ceux que le ministre de l'intérieur a exposés, notamment en matière de maîtrise de la langue et d'engagement relatif aux valeurs républicaines.
Je sais que cette disposition suscite des interrogations et des attentes, notamment dans les secteurs économiques et les fédérations professionnelles les plus concernés. Il nous paraît donc important d'en débattre, mais aussi de prévoir que le Parlement puisse évaluer ses effets et décider d'une éventuelle reconduction après une première période de mise en oeuvre de la réforme. Le texte prévoit donc une clause de revoyure au 31 décembre 2026, pour que le Parlement puisse décider, sur la base de cette évaluation, si ce nouveau titre de séjour doit être pérennisé.
Vouloir sécuriser la présence de travailleurs sur le territoire implique un corollaire : empêcher que de telles situations ne se reproduisent, en particulier lorsque ces situations sont délibérées - je pense ici aux employeurs qui ont délibérément recours à des personnes en situation irrégulière, pour des activités professionnelles régulières, mais aussi parfois pour des activités professionnelles non régulières. Lorsque des activités non régulières sont exercées par des personnes en situation irrégulière, les sanctions les plus fortes doivent être prises, et c'est la raison pour laquelle nous maintenons les sanctions pénales telles qu'elles sont prévues.
Cependant, nous souhaitons que les employeurs qui recrutent délibérément des personnes en situation irrégulière, même pour exercer une activité régulière, puissent aussi être sanctionnés plus rapidement. Les procédures pénales que j'ai évoquées sont souvent assorties de sanctions lourdes, mais elles tardent à être appliquées. Nous souhaitons donc créer une amende administrative, à la main des autorités administratives et préfectorales, pour sanctionner les employeurs à hauteur de 4 000 euros par salarié étranger employé illégalement. La sanction administrative a l'avantage de la rapidité et permet d'infliger une sanction peu de temps après la constatation de l'infraction.
Le ministre de l'intérieur l'a dit, nous souhaitons aussi empêcher la création ou l'apparition de situations dans lesquelles des personnes en situation irrégulière créent elles-mêmes une activité économique ou professionnelle de manière régulière. Je pense ici à l'accès aux statuts d'entrepreneur individuel et d'auto-entrepreneur. Nous prévoyons donc, à l'article 5, de conditionner cet accès aux personnes se trouvant en situation régulière et d'obliger ainsi à la présentation d'un titre de séjour régulier pour entreprendre ces démarches. Aujourd'hui, ces procédures ne sont pas suffisamment encadrées, et c'est ainsi que, très régulièrement, les plateformes sont contraintes de déconnecter un certain nombre de profils, quand elles constatent qu'il s'agit en fait de personnes en situation irrégulière.
Nous proposons de prendre plusieurs autres mesures pour faciliter l'intégration par le travail et lever certaines contraintes. Je pense notamment à l'article 4, qui vise à faciliter l'accès au travail d'une partie des demandeurs d'asile. En effet, ces derniers n'ont pas le droit d'exercer une activité professionnelle sauf quand, après six mois passés sur le territoire, leur demande d'asile n'a pas été instruite de manière définitive. Il devient alors possible de solliciter une dérogation et d'obtenir le droit de travailler. Ensuite, si la personne est reconnue et que sa demande aboutit, elle obtient bien sûr le droit au travail.
Nous proposons qu'un arrêté du ministre de l'intérieur puisse déterminer chaque année la liste des pays pour lesquels les taux d'admission sont les plus élevés, pour permettre aux demandeurs d'asile venant de ces seuls pays de travailler. Renvoyer cette définition à un arrêté a le mérite de la souplesse. La liste des pays pour lesquels les taux d'acceptation des demandes d'asile sont les plus élevés varie extrêmement vite, au gré des évolutions géopolitiques. Il faut donc pouvoir la modifier aussi rapidement que varient les taux d'admission, de manière à être efficace et à ne pas créer un flux que nous ne saurions maîtriser.
S'agissant de la levée des contraintes, nous proposons également une autre mesure, qui ne concerne pas les personnes présentes sur le territoire, mais celles qui souhaiteraient venir travailler en France dans le cadre du « passeport-talent », que nous proposons de modifier. Ce passeport comporte aujourd'hui onze catégories que nous souhaitons regrouper pour assurer une meilleure lisibilité. De plus, il s'agirait dorénavant de parler de « titre de séjour portant la mention talent ». Ce dispositif doit permettre la venue sur le territoire de personnes très compétentes et formées, ayant des projets d'investissement qui répondent aux besoins de notre économie. Par ailleurs, nous souhaitons créer une carte spécifique pour les « talents » des professions médicales, notamment pour les médecins, les pharmaciens et les chirurgiens-dentistes, pour lesquels les procédures d'admission et les délais seraient particuliers, la vérification des équivalences permettant bien sûr de garantir la qualité des soins.
Je finirai en évoquant la question de l'intégration par l'apprentissage de la langue. Nous souhaitons relever le niveau exigé pour l'obtention d'une carte de séjour pluriannuelle, à l'instar de ce qui existe pour obtenir une carte de résidence. Cette nouvelle exigence est fixée dans l'article 1er et l'article 2 prévoit que nous puissions permettre aux travailleurs étrangers qui demandent l'obtention d'une carte de séjour pluriannuelle de se former au français. C'est la raison pour laquelle, en plus des dispositions d'insertion, d'intégration et de formation au français prévues par la Lopmi et que Gérald Darmanin a évoquées, nous prévoyons que l'article 2 autorise le Gouvernement à prendre un décret, après concertation interprofessionnelle, pour fixer le nombre d'heures de formation au français qui pourraient être effectuées sur le temps de travail. Nous voulons ainsi apporter une réponse aux hommes et aux femmes qui travaillent souvent dans des secteurs en tension, à des rythmes et des horaires parfois compliqués, dans des domaines comme ceux de la restauration ou de l'entretien. Il leur est en effet très difficile de cumuler, dans la même journée ou dans la même semaine, activité professionnelle et présence à ces cours de français. Nous prévoyons donc que du temps puisse être libéré sur leur temps de travail, afin qu'ils puissent participer à ces formations et satisfaire à cette nouvelle obligation.