Je commencerai par répondre à la question que Mme Jourda a posée sur le niveau de langue. Je n'ai rien contre le fait que la décision soit prise au niveau législatif ; qui peut le plus peut le moins. Nous verrons bien ce que dira le Conseil constitutionnel, mais le Gouvernement ne s'opposera pas à ce que cela figure dans la loi. Je pencherais pour le niveau A2, mais il faudrait le conditionner au niveau oral. En effet, ce serait beaucoup demander aux étrangers arrivant sur notre sol d'être en mesure d'écrire le français à un tel niveau. Il n'est d'ailleurs pas certain que les personnes ayant déjà des titres de séjour ou étant eux-mêmes français puissent le faire. L'A2 à l'oral représente déjà un niveau d'exigence important et il faudra que les moyens de l'État soient mobilisés pour permettre aux gens de passer cet examen.
S'agissant de l'assimilation et du parallèle que vous avez fait, madame la sénatrice, je pense qu'il n'est pas tout à fait juste. Certes, pour obtenir la nationalité, il faut maitriser la langue, mais il faut également passer un examen plus complet sur les valeurs de la République, auquel on ne soumettrait pas un étranger demandant une carte pluriannuelle. Lors de ces examens, on demande par exemple d'expliquer qui sont Jeanne d'Arc et Napoléon, de citer trois plats français et cinq ministres du Gouvernement - je ne suis pas sûr que tous les Français sachent d'ailleurs répondre à cette dernière question... Ces entretiens ne reposent pas seulement sur la langue. Mais je comprends votre demande et n'y vois pas d'inconvénient.
En ce qui concerne la procédure, je ne partage pas votre opinion, monsieur Bonnecarrère. Ce qu'ont proposé le président Buffet, M. Stahl puis le président Lasserre, consistait à passer de douze procédures à trois. Vous me demandez pourquoi nous passons de douze à quatre. Nous créons une quatrième procédure pour les personnes qui troublent l'ordre public et ces cas, contrairement à ce que vous dites, monsieur le sénateur, ne semblent pas majoritaires. Nous devons pouvoir réduire le délai de présence sur le sol national de ces personnes qui ont reçu une OQTF. Le Gouvernement avait d'abord proposé un délai de 48 heures, mais, après discussion avec le Conseil d'État - qui n'a pas trouvé cette procédure inimaginable d'un point de vue juridique - nous proposons plutôt 72 heures.
Nous pensons ainsi fluidifier les expulsions de ces étrangers qui posent une menace particulière à l'ordre public. Un certain nombre de personnes ne passent ni par les CRA ni par les locaux de rétention administrative (LRA), ni par l'assignation à résidence avant d'être expulsées. Même si ce n'est pas le cas général, nous parvenons fort heureusement à expulser directement un certain nombre d'étrangers, qui ont certains types de nationalités, une fois que l'OQTF a été notifiée.
Aujourd'hui, de nombreux étrangers ne déposent pas de recours ; d'ailleurs, la réduction des délais vise à diminuer le délai de suspension de l'exécution de l'OQTF. En outre, nous souhaitons indiquer aux tribunaux administratifs que notre demande est expresse et prioritaire, car le juge administratif ne sait plus ce qui, dans le contentieux qui lui parvient, relève du prioritaire. Nous tâchons donc de le lui préciser. C'est pourquoi je tiens à la quatrième procédure.
Je précise que cela est le fruit de très longues discussions avec le Conseil d'État, qui, dans cette affaire, est à la fois conseiller du Gouvernement et intéressé en tant que juge administratif ; on pourrait même dire qu'il se juge lui-même... Je pense d'ailleurs que certaines mesures, comme la territorialisation de la CNDA, doivent faire l'objet de dispositions législatives, parce qu'un décret en Conseil d'État sur ce sujet pourrait donner lieu à une forme de conflit d'intérêts pour le Conseil d'État.
Madame Jourda, vous vous inquiétez du fait que les places en CRA seront réservées prioritairement aux étrangers dangereux. Ma difficulté est qu'il n'y a pas assez de places de CRA en France, d'autant que, quand je suis arrivé au ministère au moment de la covid, les restrictions sanitaires s'appliquaient aussi à ces centres. En outre, nombre de places sont réservées aux familles alors qu'elles pourraient être libérées en faveur de délinquants étrangers, qui sont, à 98 %, des hommes. En effet, ces « lieux famille » sont peu utilisés, puisque, en 2022, nous avons compté 107 mineurs dans les CRA en métropole.
Nous essayons de déterminer les priorités : il vaut mieux concentrer nos moyens sur l'expulsion des étrangers délinquants en situation irrégulière plutôt que sur celle des étrangers en situation irrégulière qui ne sont pas délinquants. Je reçois d'ailleurs de nombreuses lettres d'élus de tous bords politiques en faveur de la régularisation de tel ou tel étranger en situation irrégulière et ce sont rarement des délinquants... Ainsi, parmi les étrangers en situation irrégulière à expulser en premier, j'ai préféré me concentrer prioritairement sur les délinquants, qu'ils relèvent du FSPRT - le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste - ou du droit commun. Depuis que je suis ministre de l'intérieur, nous avons expulsé 800 étrangers inscrits au FSPRT et 3 500 délinquants étrangers, soit une multiplication par sept.
Cela étant, nous avons conscience que l'on ne peut pas se contenter de placer les étrangers dangereux dans les CRA, car des étrangers sans casier judiciaire méritent aussi d'être expulsés. C'est pourquoi nous avons soutenu un amendement de M. Ciotti à la Lopmi, qui a été maintenu en commission mixte paritaire, tendant à créer 3 000 places de CRA. Depuis que je suis ministre de l'intérieur, nous avons augmenté de 800 le nombre de places en rétention. En outre, j'ai donné l'instruction de ne plus placer de mineurs dans les CRA, ce qui libère encore des places, puisque l'espace réservé aux familles devient un espace pour les hommes. La priorité donnée aux étrangers délinquants ne sera donc pas exclusive du placement d'étrangers en situation irrégulière non délinquants.
Il y a aussi les LRA, qui étaient négligés par les préfets, notamment dans le sud de la France. Il s'agit d'y placer les personnes qui ne sont pas dangereuses dans l'attente de leur expulsion. On peut même imaginer des assignations à résidence, avec une surveillance de la police nationale.
Quel est l'enjeu pour les services de police aux frontières ? Ce n'est pas de garder pendant des semaines des enfants de six ou sept ans dans des lieux clos, ce qui, d'ailleurs, n'est pas idéal pour le développement ; l'enjeu est de garantir que, la veille de prendre l'avion, les intéressés ne puissent pas s'échapper. Il s'agirait donc de placer, la veille ou l'avant-veille du départ, les familles ayant des enfants en bas âge et devant être expulsées du territoire national dans un lieu de rétention spécifique, comme un hôtel à proximité d'un aéroport, sous la surveillance de la police. Cela permettra de garder les familles sous la main sans impressionner excessivement les enfants.
Sur la question des laissez-passer consulaires délivrés en contrepartie de l'octroi de visas, je n'ai aucune objection contre une disposition législative. Mes homologues étrangers me disent qu'ils respectent les lois de notre République, mais que le principe de l'octroi de visas en contrepartie des réadmissions ne figure nulle part. Dont acte, faisons une loi ! Il me semblerait bizarre de définir des quotas de réadmission, mais conditionner l'octroi de visas à l'émission de laissez-passer consulaires me paraît envisageable.
Cela dit, la relation diplomatique entre deux pays ne se résume malheureusement pas aux relations entre les ministres de l'intérieur, aux échanges entre laissez-passer consulaires et visas. Du reste, beaucoup de parlementaires me reprochent, tout en encourageant par ailleurs le conditionnement des visas aux laissez-passer consulaires, de limiter excessivement la délivrance de visas, au motif que cela pose des problèmes culturels ou économiques. La question de l'aide au développement se pose aussi : est-il normal que des pays qui profitent de notre aide publique au développement puissent refuser d'émettre des laissez-passer consulaires ? C'est une question intéressante.
Aussi, si vous déposez un amendement sur ce sujet, monsieur le rapporteur, je vous invite à considérer l'ensemble de la politique diplomatique et non seulement les relations entre ministres de l'intérieur, car, quand le ministre de l'intérieur échange avec son homologue, il parle de laissez-passer consulaires, mais aussi de coopération antiterroriste, de renseignement, de coopération judiciaire. Toutefois, je ne fais qu'appliquer les lois adoptées par le Parlement et si celui-ci adoptait un tel dispositif, ce serait un levier de négociation appréciable pour moi.