Intervention de Olivier Dussopt

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 28 février 2023 à 17h30
Projet de loi pour contrôler l'immigration améliorer l'intégration — Audition de Mm. Gérald daRmanin ministre de l'intérieur et des outre-mer et olivier dussopt ministre du travail du plein emploi et de l'insertion

Olivier Dussopt, ministre :

Mme Jourda demande s'il est normal que l'employeur assume les conséquences de la politique migratoire. Je ne suis pas d'accord avec les prémices de votre question pour deux raisons, madame la sénatrice.

D'abord, nous parlons uniquement des étrangers non communautaires, qui occupent 3,8 % de l'emploi en France, avec de fortes variations selon les métiers. Cela permet de relativiser, d'autant que nombre d'entre eux sont en situation régulière depuis très longtemps et ont satisfait aux obligations d'intégration et de maîtrise du français.

Ensuite, la présence en entreprise d'étrangers non communautaires procède de décisions de recrutement, sachant que nous sommes en tension de recrutement. C'est donc une présence choisie par le recruteur. Beaucoup d'entreprises nous invitent à aller au-delà de ce que nous proposons ; ainsi, l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) demande de régulariser les salariés réguliers dont la présence sur le territoire est irrégulière, mais aussi de faciliter l'entrée sur le territoire.

L'État fait déjà beaucoup en matière de formation. Avant même la mise en oeuvre de la Lopmi et des moyens supplémentaires consacrés à l'insertion et à l'intégration par la langue, des dizaines de milliers de places de formation en français ont été ouvertes par l'État pour permettre à des allophones d'apprendre la langue. En outre, au-delà des heures de travail que nous demandons aux employeurs de libérer pour que leurs employés suivent des cours de français, nous souhaitons que les entreprises et les branches inscrivent dans leurs plans de formation des modules spécifiques pour les salariés allophones.

De manière plus générale, le caractère contraignant de cette libération de temps pour apprendre le français limite l'aspect « armée de réserve », le recours à une main-d'oeuvre étrangère non communautaire dans le but d'exercer une pression à la baisse sur les salaires. En outre, nous avons choisi de libérer du temps de formation sur le temps de travail plutôt que de créer une nouvelle taxe pour financer ces formations. Enfin, en vertu du code du travail, l'employeur a une obligation de formation pour l'adaptation de ses salariés à leur poste, ce qui intègre la maîtrise du français.

J'en viens aux interrogations de M. Bonnecarrère sur l'article 3. Nous ne voulons pas susciter un flux et je pense comme vous que le titre de séjour nouveau ne créera pas un appel d'air, car, pour cela, il faudrait que des étrangers non communautaires ayant connaissance de l'existence d'un titre de séjour spécifique décident de venir sur notre territoire pour s'y maintenir en situation irrégulière pendant trois ans et d'y occuper pendant huit mois un poste dans un métier en tension, en ayant la prescience, trois, quatre ou cinq ans avant, des métiers qui figureront sur la liste des métiers en tension, qui sera révisée régulièrement. La question de l'appel d'air ne se pose donc pas véritablement...

Vous posez également la question des sanctions pour l'employeur qui a recruté des salariés en situation irrégulière. Les employeurs qui ne connaîtraient pas la situation administrative de leurs salariés régularisés ne seront évidemment pas sanctionnés ; ce n'est ni la lettre ni l'esprit. Nous voulons en revanche renforcer les sanctions contre les employeurs qui recrutent délibérément des personnes en situation irrégulière. La création d'une sanction administrative permettra de garantir la proportionnalité de la sanction et une liberté d'appréciation de l'autorité administrative. Beaucoup des personnes qui sont en situation irrégulière, mais qui travaillent régulièrement ont signé un contrat de travail alors qu'ils étaient titulaires d'un titre de séjour qui n'a pas été renouvelé. On ne peut en tenir automatiquement grief à leur employeur ! Du reste, cela arrive même à l'État. Il n'existe donc pas d'articulation entre l'article 3 et l'article 8, qui vise à sanctionner les employeurs qui recrutent délibérément des personnes en situation irrégulière.

Par ailleurs, j'examinerai attentivement vos initiatives pour apporter des garanties.

Vous me posez également la question du caractère opposable du titre de séjour et vous soulevez le cas d'un employeur découvrant que l'un de ses salariés a demandé un titre de séjour pour métier en tension. Le fait d'inscrire dans la loi les critères d'éligibilité à ce titre, via le renvoi à une liste de métiers en tension publiée par arrêté ministériel, le fait de prévoir des critères d'ancienneté dans l'emploi et sur le territoire, et le fait de déterminer ce qui relève des critères retenus au titre de la présence sur le territoire sont les meilleures garanties de ne pas créer d'opposabilité et de ne pas susciter de contentieux. Nous proposons au Parlement de fixer précisément les critères. Par la suite, l'employeur n'est pas tenu de délivrer un CDI, ce qu'il sera toujours libre de faire ou non.

En ce qui concerne les trappes à bas salaires, c'est en réalité aujourd'hui que nous connaissons cette situation. La situation irrégulière de salariés réguliers peut placer ces derniers en situation de vulnérabilité, ce qui alimente une « trappe à bas salaire ». L'obtention d'un titre de séjour donne au contraire droit au salaire minimal et au minimum conventionnel de branche, ce qui est plus protecteur. Et je ne parle même pas des personnes en situation doublement irrégulière - situation administrative irrégulière et travail non déclaré -, qui peuvent se trouver en situation d'exploitation, voire d'asservissement.

On ne peut pas retenir votre option consistant à confier la définition des métiers en tension aux branches, car notre appareil statistique permet de mesurer les tensions de recrutement. En revanche, pour ce qui concerne la formation, l'intégration et l'accompagnement, je pense qu'il serait utile que les partenaires sociaux soient mobilisés, branche par branche.

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