La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui entend répondre à un problème lancinant, que les communes, en particulier en zone rurale, ne connaissent que trop bien, à savoir l'exercice particulièrement complexe de leurs missions en matière de défense extérieure contre l'incendie (DECI) - ce problème avait été souligné lors des élections sénatoriales de 2020.
Les difficultés en la matière sont connues de longue date et la consultation du répertoire des questions écrites des députés et des sénateurs corrobore le sentiment d'un État historiquement velléitaire en la matière : de sollicitations restées lettre morte en promesses de réformes non tenues, le sujet a longtemps constitué un « irritant » pour les maires en zone rurale.
Si, aujourd'hui, la passivité et l'inertie de l'État en la matière ne semblent plus de mise, nous le devons tout particulièrement à notre collègue Hervé Maurey, très mobilisé pour défendre les intérêts des communes rurales sur ce sujet, co-auteur avec Franck Montaugé d'un rapport d'information en 2021 et auteur de la proposition de loi que nous examinons.
Le cadre juridique applicable à ces missions avait pourtant été largement révisé par la loi Warsmann du 17 mai 2011. Pour mémoire, ce cadre prévoit une « hiérarchie des normes » entre plusieurs documents dont le règlement départemental de défense extérieure contre l'incendie (RDDECI) constitue le noeud : ces règlements départementaux, établis en concertation avec les maires et arrêtés par le préfet de département après avis du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (SDIS), doivent tenir compte d'un référentiel national de la défense extérieure contre l'incendie (RNDECI) et s'imposent aux communes, dont les arrêtés et les éventuels schémas en matière de DECI doivent être conformes au RDDECI.
Outre le délai, jugé excessif, de mise en application de cette réforme, les difficultés des communes n'ont pas trouvé de solution définitive. Comme l'a relevé le rapport d'information d'Hervé Maurey et de Franck Montaugé précité, ces difficultés, qui demeurent, sont de quatre ordres.
Premièrement, la concertation des élus est jugée « inégale » dans l'élaboration des RDDECI.
Deuxièmement, la couverture du risque est qualifiée de « défaillante ».
Troisièmement, une difficulté tient à l'inadéquation entre les prescriptions des RDDECI et les risques réels, les premières n'étant pas toujours proportionnées aux seconds, en raison d'une évaluation insuffisante de la complexité des règles et, surtout, du défaut d'adaptation de celles-ci aux spécificités des territoires, en particulier ruraux. Nous avons tous entendu parler de la tristement célèbre règle des 200 ou des 400 mètres !
Quatrièmement, enfin, une autre difficulté concerne le coût financier, à la fois budgétaire et en termes de développement économique, notamment lorsqu'une autorisation d'urbanisme ne peut être accordée en raison du défaut de couverture du risque incendie.
La présente proposition de loi tend ainsi à traduire dans la loi ces recommandations, en prévoyant la concomitance de la révision du RDDECI et du schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (SDACR), dont la loi prévoit déjà la révision quinquennale. Elle renforce la concertation des élus en prévoyant que le RDDECI est établi « après avis du conseil départemental et des associations départementales des maires » et contraint à une évaluation plus systématique.
Je partage pleinement l'intention de l'auteur, et je sais que nombre d'entre vous ont rencontré des maires confrontés à de réelles difficultés en la matière.
Les auditions que j'ai conduites m'ont néanmoins amené à vous proposer une réécriture du dispositif proposé par notre collègue Hervé Maurey. En effet, les personnes que j'ai auditionnées ont généralement convenu de l'incongruité que pouvait constituer la coexistence du SDACR et du RDDECI : de l'Assemblée des départements de France (ADF) à la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) en passant par le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises, le préfet Alain Thirion lui-même, personne n'était en mesure de m'expliquer l'intérêt de l'existence de deux documents distincts.
Tout porte à croire que la DECI constituant le parent pauvre de l'organisation des moyens de lutte contre l'incendie, il a été fait le choix d'en faire un document annexe, distinct et sans articulation avec le document stratégique que constitue le SDACR.
Or, il me semble que la prise en compte des moyens et des difficultés rencontrées par les communes en matière de DECI doit justement constituer un élément de la stratégie des SDIS. La détermination et l'allocation des moyens de ceux-ci ne sauraient faire l'économie d'une analyse des forces et faiblesses de la DECI dans un département : le SDACR doit prévoir des adaptations de ses prescriptions en fonction de ces forces et faiblesses. Dans certains départements touchés l'an passé par les « mégafeux », le SDACR n'évoque même pas les questions d'eau.
C'est la raison pour laquelle, en lieu et place de la simple révision concomitante proposée par notre collègue Hervé Maurey, je vous proposerai un amendement tendant à simplifier et renforcer la portée de ce dispositif, en faisant du RDDECI un volet à part entière du SDACR. Ce volet continuerait ainsi à porter règlement départemental et, sans qu'il soit besoin de le préciser dans la loi, les arrêtés communaux et intercommunaux en matière de DECI devraient être conformes à ce nouveau volet du SDACR. Cette mesure constituerait également une simplification des documents organisant les SDIS, qui n'ont jamais fait l'objet d'une réforme globale portant une vision d'ensemble et stratégique de ces compétences.
La procédure d'adoption du volet spécifique à la DECI au sein du SDACR s'inspire très largement de celle qui est aujourd'hui applicable pour l'établissement du RDDECI. Elle conserve néanmoins deux apports du dispositif initial : le projet de document ferait l'objet d'une concertation élargie, le conseil départemental et les conseils municipaux et organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) compétents étant désormais consultés pour avis, et d'une évaluation préalable du service public de la DECI, conformément au souhait de l'auteur de la proposition de loi. Le principe d'une révision concomitante du SDACR et de son volet relatif à la DECI serait également conservé.
Ce dispositif me paraît pouvoir être harmonieusement complété par l'amendement de notre collègue Hervé Maurey tendant à créer une commission départementale de suivi de la défense extérieure contre l'incendie. Constituée d'élus, elle aurait pour missions, d'une part, de procéder à l'évaluation régulière de l'état de la couverture des risques au regard des points d'eau situés sur le territoire dont elle ferait état dans un rapport annuel et, d'autre part, de formuler toute proposition d'évolution qu'elle jugerait pertinente. Cette piste d'évolution, évoquée par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) dans un rapport de juin 2022, me paraît consensuelle et permettrait aux élus de disposer d'un espace d'écoute et de dialogue avec le SDIS.
J'émettrai donc un avis favorable à son endroit, sous réserve de l'adoption d'un sous-amendement. Je propose en effet que ce rapport annuel puisse faire fonction, sur décision du conseil d'administration du SDIS, d'évaluation préalable du service public de la DECI l'année précédant la révision du SDACR.
Cette modification me paraît de nature à renforcer la place de cette commission, qui pourrait se voir attribuer un rôle majeur dans l'élaboration du volet « DECI » du SDACR. Elle constitue aussi une mesure de simplification, des évaluations aux objectifs similaires n'ayant pas nécessairement vocation à être multipliées.
Au bénéfice de ces observations, je vous suggère d'adopter la proposition de loi, sous réserve de l'adoption de ces amendements.
Je tiens à souligner que ces orientations ont été pleinement endossées par l'auteur de la proposition de loi, que je remercie pour son écoute attentive et la qualité de notre dialogue. Je crois exprimer notre sentiment collectif en disant que le sujet de la DECI doit beaucoup à Hervé Maurey, et j'espère que nous cheminerons collectivement ce matin vers une amélioration de la vie des communes rurales.