Intervention de Ivan Renar

Réunion du 24 juin 2009 à 14h30
Évaluation du crédit impôt recherche — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Ivan RenarIvan Renar :

Je vais maintenant entrer dans le vif du sujet !

Présenté comme l’un des instruments les plus incitatifs en France et en Europe, le crédit d’impôt recherche devrait atteindre, cette année, un coût estimé entre 2, 7 milliards et 3, 1 milliards d’euros. D’ici à 2012, ce serait, a minima, 4 milliards d’euros qui pourraient être consacrés à ce dispositif fiscal.

À l’heure où les restrictions budgétaires et la baisse de la dépense publique affectent l’ensemble de la fonction publique et ses usagers, il est indispensable de s’interroger sur la pertinence d’un outil dont les effets ne sont toujours pas évalués.

Engagée en 2004, la réforme du crédit d’impôt recherche était censée produire une augmentation significative de l’effort de recherche des entreprises. Les résultats sont-ils au rendez-vous ?

Dans son rapport d’information consacré à la recherche et à l’innovation en France, la délégation du Sénat pour la planification souligne que les entreprises françaises sont trop économes en recherche et développement.

La mise en perspective de l’augmentation considérable des aides de l’État à la recherche privée et de l’évolution de l’effort de recherche et développement des entreprises conforte ce constat. Alors que les aides publiques au secteur privé ont progressé de 1 636 millions en euros constants entre 2002 et 2006, les dépenses de recherche et développement des entreprises n’ont augmenté que de 458 millions.

Le rapport sur la valorisation de la recherche de 2007 de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, dit rapport Guillaume, est on ne peut plus explicite : « Le soutien de l’État aux entreprises, qui depuis plus de vingt ans figure parmi les plus élevés de l’OCDE, n’a pas empêché le niveau de recherche-développement privée de connaître un décrochage par rapport à l’évolution observée dans la plupart des pays. »

Ne disposant pas d’éléments tangibles démontrant que le crédit d’impôt recherche a un rôle incitatif majeur sur l’effort de recherche et développement des entreprises, le Gouvernement présente désormais le crédit d’impôt recherche comme une arme antidélocalisation.

Il est vrai que, depuis la réforme de 2008, le crédit d’impôt recherche prend en compte la totalité des dépenses de recherche-développement, sans tenir compte de leur évolution. Dorénavant, les entreprises qui bénéficient de ce dispositif fiscal ne sont plus obligées d’accroître leurs investissements dans la recherche-développement. Cette absence de contrainte renforce l’intérêt des entreprises qui bénéficient de fonds publics sans contrepartie importante.

Madame la ministre, je m’étonne de lire dans la presse, d’après les propos qui vous sont attribués, que l’enquête du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche « montre que le CIR empêche la délocalisation de laboratoires, mais qu’il est aussi attractif pour les étrangers et pousse à l’innovation dans les PME ». « Un véritable remède anticrise », auriez-vous même ajouté !

Or il est clair que le crédit d’impôt recherche ne peut empêcher la délocalisation des centres de recherche privés dans les pays de l’Union européenne.

En effet, par l’arrêt dit Fournier du 10 mars 2005, la Cour de justice des Communautés européennes a rappelé que « l’article 49 CE s’oppose à une réglementation d’un État membre qui réserve aux seules opérations de recherche réalisées sur le territoire de cet État membre le bénéfice d’un crédit d’impôt recherche ».

Nul n’ignore cette disposition, et certainement pas les chefs d’entreprise à qui l’information a été encore communiquée à l’occasion du colloque de l’Observatoire européen de la fiscalité des entreprises, qui s’est tenu le 13 mars dernier. Il y a été redit qu’avant cet arrêt le crédit d’impôt recherche ne prenait en compte que les dépenses engagées en France, mais que désormais toutes celles qui étaient engagées en Europe pouvaient donner droit au crédit d’impôt.

Au regard des sommes considérables investies dans le crédit d’impôt recherche, il est plus que nécessaire d’évaluer les effets réels de ce dispositif fiscal sur la recherche des entreprises. De nombreux collègues, de toutes sensibilités, tout comme la Cour des comptes, ont exhorté le Gouvernement à mener une telle évaluation.

Celle-ci serait d’autant plus légitime que l’ensemble des activités et des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche publics est soumis au contrôle de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’AERES. Maquettes de formation, institutions, unités, équipes, individus, l’ensemble du secteur public est soumis à l’évaluation et à la notation de cette agence qui, en matière de recherche, ne prend en compte que les résultats répondant à des critères quantitatifs de type bibliométriques, classements de revues, etc.

J’ajouterai une remarque sur ce point : il est regrettable de constater que la méthodologie des évaluations de l’AERES marque la fin du principe de l’évaluation par les pairs.

Je rappelle au passage que les membres de l’agence sont nommés et non élus, et que l’on demande aux évaluateurs d’apprécier et de noter les formations ou les projets conduits par des enseignants-chercheurs exerçant dans un champ disciplinaire bien différent du leur.

Un philosophe est-il le plus compétent pour juger la qualité d’une formation en sociologie ou en sciences politiques ? Un physicien est-il le mieux à même d’évaluer les maquettes de formation en biologie, en chimie, en informatique ou en mathématiques ?

Cela étant, je reviens à l’enquête lancée par le ministère.

Au-delà des problèmes méthodologiques, il est pour le moins surprenant de constater le décalage entre la présentation des résultats de l’enquête faite par le ministère et l’enquête elle-même.

En effet, si l’on peut lire dans le premier document que l’enquête de « l’automne 2008 permet désormais d’avoir une première évaluation de la réforme du crédit d’impôt recherche sur les entreprises », les auteurs de l’enquête rappellent, quant à eux, que « le but principal de l’enquête est de recueillir l’opinion des entreprises sur la réforme du CIR mise en place en 2008 et, accessoirement, d’effectuer une évaluation qualitative du CIR ». Cette précision est d’autant plus importante que moins de 5 % des entreprises bénéficiant du dispositif fiscal ont dûment complété le questionnaire.

On voit à quel point il serait périlleux de tirer des conclusions définitives sur la base de réponses d’un échantillon dont les auteurs ignorent eux-mêmes s’il est réellement représentatif.

Aussi faut-il être très clair : une enquête de perception ne saurait se substituer à une évaluation réelle des effets d’un dispositif qui devrait être encore renforcé dans les années à venir. Il est quand même surprenant que le Parlement ne dispose pas au minimum d’informations faisant apparaître la distinction entre le crédit d’impôt recherche accordé aux grandes entreprises et à leurs filiales, et le crédit d’impôt recherche accordé aux PME indépendantes. Cela devrait pouvoir être établi, ne serait-ce que grâce aux déclarations reçues par l’administration fiscale...

Il me semble que nous ne devrions plus accepter de reconduire une mesure financièrement très coûteuse sans en connaître les effets. Lorsque nous examinerons le projet de loi de finances pour 2010, nous ne devrions plus lire, comme l’année dernière, que le ministère, comme il est écrit dans le « bleu » consacré à la mission interministérielle pour la recherche et l’enseignement supérieur, la MIRES, « ne dispose pas à ce jour d’études précises permettant d’évaluer l’efficience du crédit d’impôt recherche pour les finances publiques et les entreprises ».

Permettez-moi toutefois d’ajouter un mot sur quelques tendances qui ressortent de cette enquête.

Il est ainsi particulièrement intéressant de souligner que, pour les entreprises de plus de cent salariés, les freins à l’innovation et aux dépenses de recherche et développement sont d’ordre non financier.

On observe encore plus nettement que les contraintes financières sont loin d’être déterminantes pour le développement de leurs activités de recherche-développement.

Pourtant, les résultats de l’enquête démontrent que les firmes de très grande taille bénéficient davantage, en proportion et en volume, du crédit d’impôt recherche que les petites et moyennes entreprises.

Plus préoccupant encore, pour les entreprises comprenant plus de deux cent cinquante salariés, l’impact du crédit d’impôt recherche sur l’accroissement des dépenses propres de recherche et développement est quasi inexistant.

De même, le crédit d’impôt recherche ne les incite ni à mener des projets de plus long terme ou plus risqués, ni à embaucher de jeunes docteurs.

Dès lors comment peut-on conclure à l’absence d’effets d’aubaine pour les grandes entreprises ?

Malgré ses faiblesses, cette enquête ne valide-t-elle pas l’hypothèse inverse ? Les grandes entreprises disposent d’une manne financière dont elles n’ont aucunement besoin. Si je voulais être cynique, je vous dirais qu’elles auraient bien tort de se priver de l’aide substantielle que leur propose généreusement l’État !

Pis, des représentants du personnel d’une très grande entreprise industrielle ont témoigné de dérives préoccupantes. Ainsi ont-ils assisté à des manœuvres visant à faire entrer sous le label « Recherche et Développement » certaines activités normalement non éligibles au crédit d’impôt recherche.

Toujours plus édifiant, le cas de cette autre grande entreprise opérant dans la chimie bénéficiaire du crédit d’impôt recherche à hauteur de dizaines de millions d’euros et qui supprime des emplois dans son secteur recherche et développement.

Ces situations démontrent à quel point les contrôles sont insuffisants. Mais il est vrai que tout contrôle des fonds publics est mal vécu par les grands groupes, toujours prêts à mettre les États, les territoires et les populations en concurrence.

Cela étant, force est de constater de manière pragmatique qu’en l’état actuel des choses de véritables contrôles de l’utilisation du crédit d’impôt recherche sont difficilement réalisables, en premier lieu en raison des critères d’éligibilité au crédit d’impôt recherche qui demeurent très larges. Le ministère rappelle ainsi que, « pour être éligible au titre du CIR, la création ou l’amélioration d’un produit, d’un procédé, d’un process, d’un programme ou d’un équipement doit présenter une originalité ou une amélioration substantielle ne résultant pas d’une simple utilisation de l’état des techniques existantes ». On peut s’interroger sur ce que recouvrent les termes d’« amélioration substantielle ».

En outre, tandis qu’en 2007 8 000 entreprises ont bénéficié du crédit d’impôt recherche à court terme, ce serait plus de 20 000 entreprises qui pourraient avoir recours à ce dispositif fiscal. Un contrôle approfondi de l’utilisation du crédit d’impôt recherche nécessiterait de mobiliser un nombre considérable d’agents de la fonction publique. Mais le Gouvernement, le ministère concerné, le veulent-ils ?

Faute de contrôles, il est impératif de recentrer le crédit d’impôt recherche sur les jeunes entreprises innovantes et indépendantes pour remédier à ces dérives et mettre un terme aux effets d’aubaine. Ce sont, en effet, les PME engagées dans des activités novatrices qui connaissent les plus grandes difficultés financières et seraient le plus à même de développer ou d’accroître leur recherche-développement en étant soutenues par l’État. Dans le secteur privé, c’est ici bien plus qu’ailleurs que la prise de risque inhérente à la recherche doit être encouragée.

En ce sens, il est utile de rappeler ce qu’indiquait le rapport Guillaume de 2007 : « Les comparaisons internationales et les études économiques suggèrent que la solution ne réside pas dans l’augmentation du volume des incitations publiques. Les marges de manœuvre financières se situent à présent plutôt dans les redéploiements entre secteurs et le ciblage des mesures selon les types d’entreprises. »

Autrement dit, il s’agirait en quelque sorte de revenir à ce qu’avait imaginé Hubert Curien, pour qui le crédit d’impôt recherche avait pour vocation première de favoriser la création de PME innovantes.

Parallèlement, l’État devrait redéfinir sa politique d’aide à la recherche privée de manière plus sectorielle, en cessant d’aider indistinctement l’ensemble des entreprises ayant un secteur recherche et développement.

À un dispositif fiscal aux résultats incertains, il apparaît également nécessaire de substituer l’investissement dans le système d’enseignement supérieur et de recherche publics. Avec 4 milliards d’euros, même si la comparaison est un peu simpliste, soit le coût que pourrait atteindre le crédit d’impôt recherche dans les toutes prochaines années, il serait possible de financer le recrutement de quelque 60 000 chercheurs et enseignants-chercheurs sur les dix à douze ans à venir.

Une décision aussi ambitieuse provoquerait un appel d’air sans précédent pour les carrières scientifiques. Elle permettrait de créer des emplois à très haute valeur ajoutée et encouragerait les jeunes à poursuivre des études universitaires dont les débouchés apparaissent aujourd’hui bien trop incertains. En outre, quel signal lancé à l’égard de la communauté scientifique ! Il s’agirait là d’un véritable choc de confiance, madame la ministre.

À l’heure où la France se maintient péniblement au seizième rang mondial du financement de la recherche académique, où les tensions et l’inquiétude demeurent latentes sur les campus, la mise en œuvre d’une programmation pluriannuelle de l’emploi scientifique dans les universités et les organismes de recherche publics est plus que souhaitable.

Soyons clairs : le pays dispose des moyens financiers pour mener à bien cette politique qui, de surcroît, répondrait pleinement au récent appel lancé par la Commission européenne exhortant les gouvernements de l’Union à augmenter les budgets publics de recherche et développement.

Madame la ministre, en énumérant les mérites que vous prêtez au crédit d’impôt recherche, vous avez évoqué la relocalisation de centres de recherche privés sur le territoire national. Vous avez notamment cité l’exemple de Microsoft, qui est d’autant plus intéressant que le président de Microsoft France a lui-même informé les parlementaires de l’implantation en région parisienne d’un campus dédié à la recherche-développement.

Parmi les éléments qui ont motivé le choix de cette implantation, ce dirigeant mentionne l’existence du crédit d’impôt recherche, mais bien après la qualité des chercheurs, des ingénieurs et des universités françaises et l’attractivité des territoires et des infrastructures. Ce témoignage s’inscrit dans la continuité des résultats de l’enquête Science, technologie et industrie. Perspectives de l’OCDE menée en 2006 et consacrée aux facteurs déterminant l’implantation d’activités de recherche et développement des entreprises. Y étaient mentionnées, dans l’ordre, la présence locale de personnels de recherche et développement, l’existence d’universités et les facilités de coopération avec celles-ci, ainsi que la protection de la propriété industrielle. Les incitations fiscales n’arrivaient qu’en neuvième position !

Mis en parallèle avec les résultats de l’enquête du ministère, ces éléments confortent nos deux propositions visant, d’une part, à revoir les critères d’éligibilité au crédit d’impôt recherche et, d’autre part, à privilégier la dépense publique en faveur des opérateurs publics de la recherche plutôt que de reconduire et d’abonder encore et toujours plus un dispositif fiscal en grande partie inefficace.

Une autre tendance ressort de l’enquête de perception du ministère : l’incitation à recruter des jeunes docteurs semble ne pas fonctionner. Plus des deux tiers des entreprises ayant répondu au questionnaire jugent en effet que le crédit d’impôt recherche n’a pas d’impact dans ce domaine, ce qui pose un vrai problème : comment développer une véritable culture de la recherche en entreprise quand ceux qui ont été formés par et pour la recherche en sont absents ? Faut-il s’étonner de la faiblesse de la recherche-développement privée, lorsque l’on sait que seuls 15 % des cadres d’entreprises, soit trois fois moins qu’aux États-Unis ou en Allemagne, ont reçu une formation scientifique ?

L’absence de débouchés professionnels pose par ailleurs de sérieuses questions sur l’avenir des jeunes qui se sont engagés dans de longues études universitaires. Dans les conclusions d’une étude menée par le Centre d’études et de recherches sur les qualifications, publiées en juin 2008, on peut lire ainsi que, « de génération en génération, la proportion de docteurs ayant un emploi à durée indéterminée trois ans après avoir soutenu leur thèse n’a cessé de diminuer. […] La multiplication des stages postdoctoraux et des financements de la recherche sur contrats de droits privés joue un rôle important dans ce phénomène. »

Dès lors, peut-on encore s’interroger sur les causes de la désaffection d’un grand nombre de jeunes pour les carrières scientifiques ?

Le recrutement en entreprise de jeunes docteurs issus de laboratoires publics, dont ils connaissent les équipes et les projets, apparaît d’autant plus nécessaire qu’une telle évolution encouragerait le développement de recherches partenariales public-privé.

Si, en 2008, la réforme du crédit d’impôt recherche a intégré une telle problématique, nous estimons que cette prise en compte demeure insuffisante. Face à la frilosité des entreprises, il est nécessaire de conditionner ce crédit d’impôt au recrutement de docteurs. Au-delà de la contrainte, cette mesure permettrait, d’une part, d’évaluer réellement l’appétence des entreprises à se tourner vers la recherche et, d’autre part, de leur fournir les personnels formés à ce type d’activité.

Madame la ministre, je viens à l’instant de développer trois propositions visant non pas à supprimer le crédit d’impôt recherche, mais à renforcer son efficacité.

Premièrement, il s’agit de transformer une partie de la dépense fiscale en dépense budgétaire.

Deuxièmement, il convient de recentrer le crédit d’impôt recherche sur les petites et moyennes entreprises innovantes.

Troisièmement, il faut octroyer le crédit d’impôt recherche sous réserve de l’embauche de jeunes docteurs.

Que pensez-vous de ces propositions ? Quelles suites entendez-vous leur donner ? Elles permettraient de renforcer tant l’enseignement supérieur et la recherche publics que l’innovation des PME, qui sont les entreprises ayant le plus besoin du soutien financier de l’État.

Madame la ministre, ce n’est qu’un débat. Continuons le début !

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