Intervention de Laurent Ménard

Commission des affaires européennes — Réunion du 1er décembre 2022 à 9h05
Énergie climat transports — « le marché de l'électricité dans l'union européenne : quelle réforme ? » - Audition de Mm. Jean Michel glachant président de l'association internationale pour l'économie de l'énergie didier holleaux président de l'union européenne de l'industrie du gaz naturel eurogas directeur général adjoint du groupe engie laurent ménard directeur des affaires économiques et financières de la commission de régulation de l'énergie jacques percebois professeur émérite à l'université de montpellier et directeur du centre de recherche en économie et droit de l'énergie creden kristian ruby secrétaire général de l'association européenne des énergéticiens eurelectric et Mme Catharina Sikow-magny directrice transition verte et intégration du système énergétique à la direction générale de l'énergie de la commission européenne

Laurent Ménard, directeur des affaires économiques et financières de la Commission de régulation de l'énergie :

Directeur des affaires économiques et financières de la CRE depuis un peu plus de trois ans, j'ai eu le « bonheur » d'arriver au début de la crise énergétique ! Je voudrais souligner à quel point le modèle de marché tel qu'il a été mis en place en Europe est un modèle pragmatique, assez éloigné de modèles peut-être plus « purs », mis en place aux États-Unis ou au Royaume-Uni.

Si l'on considère le marché français de l'électricité, comme l'a dit M. Glachant, tout le pays est une seule zone de prix. Le prix de gros sur les marchés de gros est donc le même pour tout le territoire français.

Par ailleurs, le fonctionnement n'est pas celui d'un marché où chaque centrale est « dispatchée » par un organisme central. En fait, chaque producteur vient proposer chaque jour une offre de prix qui intègre l'ensemble de son parc de production et a donc la possibilité d'arbitrer entre les moyens de production et le prix qu'il propose sur le marché. C'est très différent du fonctionnement de certains marchés américains, où le coût marginal de chaque centrale est pris en compte par un dispatcheur central.

Un débat tout à fait légitime a eu lieu sur le principe du coût marginal. En réalité, dans leur fonctionnement concret, les prix proposés par les opérateurs reflètent leur stratégie de vente sur le marché, compte tenu de l'ensemble de leur parc de production. C'est un point extrêmement important.

S'agissant de l'emprise de ce marché sur l'ensemble des productions et des ventes d'électricité, il faut savoir que les transactions en France ne représentent qu'une petite partie des soutirages qu'on peut avoir sur une année, de l'ordre de 15 %. Cela ne signifie pas que le marché n'a pas d'influence sur les autres transactions.

On a, en effet, un système assez sophistiqué qui fait que les prix définis sur ce marché, qui couvre une petite partie des transactions, influencent les transactions réalisées sur les autres segments. Par exemple, l'ARENH, avec un prix fixé à 42 euros, représente plus en soutirage que la partie négociée sur le marché. Parmi les transactions intragroupes d'EDF, tous les consommateurs au tarif réglementé de vente (TRV) et clients d'EDF bénéficient de l'ARENH dans des conditions analogues à celles des fournisseurs alternatifs.

Le marché est un outil essentiellement dédié à l'organisation des échanges avec les autres pays. C'est le point majeur de l'exposé de M. Glachant : le marché européen a, d'abord, été bâti pour organiser au mieux les échanges entre pays européens, une grande latitude étant laissée à chaque pays pour s'organiser en interne. Ce n'est donc pas très contraignant.

Nous disposons d'un outil extrêmement sophistiqué qui permet de distinguer les marchés à terme où les opérateurs s'échangent de l'électricité. En France, la liquidité est limitée à trois ans. Cet horizon est un peu plus important en Allemagne, où il existe une vraie liquidité pour des échéances un peu plus lointaines, mais on n'observe pas de maturité conforme à ce que pourrait souhaiter un futur investisseur dans un moyen de production énergétique.

Si vous voulez investir dans une production d'électricité, que ce soit du renouvelable, du nucléaire ou même des moyens thermiques, vous avez besoin d'une visibilité des recettes que le marché à terme ne fournit pas aujourd'hui.

Il n'est pas possible de conclure sur le marché à terme de contrats qui permettraient de sécuriser ses recettes vis-à-vis de son banquier. Cette faiblesse est compensée par le développement, qui existe dans tous les pays européens, de contrats de long terme.

M. Glachant a cité les contrats pour différence, qui sont les plus répandus. Auparavant, en particulier en France, existait le régime des obligations d'achat, où l'on garantissait aux opérateurs d'énergies renouvelables l'achat de leur production par une branche d'EDF, à un prix fixé dans leur contrat. Cette insuffisance dans le temps du marché de gros actuel est donc compensée par les contrats de long terme. Le sujet, aujourd'hui, est sans doute d'élargir ces contrats de long terme à d'autres formes d'énergie que les seules énergies renouvelables.

Pourquoi ce sujet est-il à l'ordre du jour ? Tout d'abord, on a constaté que le marché à terme ne permettait pas de sécuriser les revenus des ceux qui avaient des projets d'investissements dans les moyens de production et que les dispositifs existants, en particulier en France, ont une date de péremption. L'ARENH, qui a organisé la vente de l'électricité nucléaire par EDF, à la fois à ses clients et à des fournisseurs alternatifs, doit de toute façon prendre fin en 2025. Ce terme est fixé par la loi. Il faut donc remplacer l'ARENH. Il s'agit, en France, d'organiser un futur pour la production nucléaire.

Au-delà de ce marché à terme, qui a des échéances lointaines, il existe des outils de très court terme qui permettent d'organiser au mieux l'équilibrage de la demande et de l'offre sur le marché électrique français. C'est ce qu'on appelle le marché spot ou marché infrajournalier. Je n'entrerai pas dans le détail de ces mécanismes extrêmement sophistiqués. Ils ont fait jusqu'à présent la preuve de leur efficacité, puisqu'on n'a pas eu de vraies crises d'équilibrage, même dans le cas de situations tendues.

La crise que nous traversons n'est pas financière au sens où il existerait un emballement des marchés sans aucune raison physique : la crise que l'on connaît, c'est d'abord une crise d'approvisionnement. En France, la crise d'approvisionnement est un peu différente de celle que connaît l'ensemble des pays européens.

On peut estimer, en 2022, à 800 TWh l'énergie qui ne vient plus des pipelines russes. Du fait de la guerre et de l'invasion de l'Ukraine, l'Europe est donc privée de 800 TWh de gaz.

La France a un problème très spécifique de disponibilité du parc nucléaire, qui a été révélé-, en décembre 2021, par le groupe EDF. Celui-ci a alors mentionné des difficultés de maintenance et la découverte du phénomène de corrosion sous contrainte. Si on considère l'ensemble de la production nucléaire de cette année, on peut estimer qu'il va manquer par rapport à une année normale entre 80 et 100 TWh de production nucléaire.

La France connaît ainsi deux crises d'approvisionnement, celle qu'elle partage avec tous les autres pays européens - qui la touche un peu moins parce qu'elle était moins dépendante qu'eux du gaz russe par pipeline -, et une crise d'approvisionnement liée aux difficultés rencontrées sur le parc nucléaire. La combinaison de ces deux éléments fait que c'est en France que les prix de l'électricité ont le plus augmenté : quand on regarde la carte du marché du prix à terme de l'électricité, on constate que c'est en France qu'on a dépassé les 1 000 euros/MWh pour 2023...

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