Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici donc réunis pour la deuxième lecture du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques après un temps d'attente qui nous a semblé bien long, puisque la première lecture remonte à avril 2005. Il aura donc fallu finalement deux mandatures, l'une de droite et l'autre de droite, pour que l'idée fasse son chemin.
Si j'ai un premier voeu à exprimer, madame la ministre, c'est que ce texte aille jusqu'à son terme avant les prochaines élections présidentielle et législatives. L'attente n'a que trop duré. Même imparfait, ce projet de loi est nécessaire, et les élus et partenaires des comités de bassin en ont besoin pour mettre en oeuvre le neuvième programme 2007-2013, dans l'esprit et les moyens qu'il aura définis.
Plus que jamais, l'actualité de ces derniers mois nous a rappelé, si cela était nécessaire, l'obligation morale, économique et sociale d'affronter courageusement ce problème de l'eau, qui est devenu crucial pour notre pays, notre économie et notre société tout entière.
L'alternance de périodes de crues ainsi que d'inondations répétées et soudaines et de périodes de sécheresses accentuées, l'ampleur avérée des changements climatiques à l'échelle de la planète nous obligent à réfléchir et à agir sur la maîtrise sociétale de la gestion de l'eau dans notre pays.
Certes, c'est un problème très difficile à résoudre tant les enjeux privés, particuliers et économiques sont lourds. En atteste la lecture très différente que font de ce texte la majorité de droite du Sénat et la majorité de droite de l'Assemblée nationale. Je dois ajouter qu'on retrouve les mêmes clivages entre les députés et les sénateurs socialistes.
Il faut donc ajuster nos consommations d'eau à des fonctions qui sont très diverses et parfois antinomiques, à savoir les fonctions domestiques et alimentaires - évidemment prioritaires et primordiales -, les fonctions économiques, en particulier pour l'agriculture et les industries agroalimentaires - en tant qu'élu du Nord, je suis bien conscient de l'importance de la consommation d'eau dans l'industrie agroalimentaire -, les fonctions sociales de loisirs - pêche, sport, tourisme - et les fonctions énergétiques.
Or, dans le même temps, nous sommes dans l'obligation absolue de garantir la protection de l'état biologique et écologique des cours d'eau et des nappes phréatiques. Les enjeux sont primordiaux pour l'avenir et la survie de notre société et de notre planète tout entière. Or j'ai le sentiment que cette prise de conscience collective est encore largement insuffisante. La lecture récente de certains programmes électoraux pourrait le démontrer.
Malgré certaines avancées notables, ce texte est loin de répondre aux attentes légitimes de ceux qui sont sensibles aux évolutions négatives s'agissant de la préservation de la ressource et de sa qualité. Certes, il tend à améliorer la « boîte à outils » mis à la disposition des décideurs économiques et politiques. Mais je continue de m'interroger tant il subsiste un énorme décalage entre les ambitions affichées et les propositions qui nous sont soumises. Je crains que nous ne soyons obligés de revenir dans quelque temps sur ce texte et d'aller beaucoup plus loin, face aux menaces qui s'amplifient jour après jour.
Je ne veux pas verser dans le catastrophisme. Néanmoins, il faut bien dire - pour ne citer que cet exemple -, qu'en raison de l'absence de tout contrôle de l'irrigation, l'agriculture représente aujourd'hui 68 % de la consommation d'eau et est à l'origine de la forte augmentation de celle-ci en France. Aussi, on peut s'interroger : jusqu'où et jusqu'à quand pourra-t-on continuer ainsi ? Peut-on maîtriser cette évolution, et par quels dispositifs, sans remettre en cause les enjeux économiques de production ? Quand arriverons-nous à éviter les gaspillages d'eau que ce soit par évaporation ou par une déperdition trop importante dans les réseaux de distribution ?
Nous devons aussi nous interroger sur « l'artificialisation » de la production agricole au détriment des équilibres naturels et environnementaux. La course indéfinie au progrès de la productivité nous mène droit dans le mur.
Nous devons nous poser les mêmes questions s'agissant de l'altération de la qualité de l'eau par l'utilisation non maîtrisée, sinon exagérée, des fertilisants azotés, des pesticides, des herbicides et autres produits phytosanitaires. Là encore, les agriculteurs ne sont pas seuls en cause. Sont aussi visés les utilisateurs publics et privées - communes, départements, régions, État -, le long des voies communales, départementales, nationales, le long des voies de chemin de fer, mais aussi le jardinier du dimanche.
Comment bloquer ces processus dangereux pour la santé et pour la vie ? « C'est une triste chose de penser que la nature parle et que le genre humain n'écoute pas » disait Victor Hugo. Je constate hélas ! que la maîtrise des pollutions diffuses, par exemple, n'est pas garantie par le présent texte.
Nous savons tous aussi que l'extraction de l'eau ne peut excéder son renouvellement. Or tel est le cas dans certains secteurs géographiques de notre pays. Certes, la concertation un peu rugueuse à laquelle vous avez participé sur le terrain est nécessaire et utile, mais je crois qu'elle ne peut suffire à régler définitivement les problèmes de fond. Encore faut-il rappeler que l'être humain a besoin d'un minimum de vingt-cinq litres d'eau par jour pour vivre. Cette priorité doit être absolument respectée.
Or, on a l'impression que, malgré les coups de semonce de la nature face à la pression d'intérêts économiques qui n'ont pour perspective que le court terme, ce texte ne prend pas les problèmes à bras-le-corps. Je sais bien qu'il faut beaucoup de courage politique et de persévérance, et vous n'en manquez pas, madame la ministre ! Mais, en la circonstance, je pense que vous vous arrêtez au milieu du gué. Il est vrai qu'il faudrait un fort volontarisme politique pour lutter contre les pollutions diffuses, pour promouvoir des modes de culture durables et, bien plus fortement, les bonnes pratiques agricoles. Il faudrait donner un rôle bien plus important qu'aujourd'hui à la puissance publique sous toutes ses formes pour contrôler, vérifier, sanctionner. Or les atermoiements et les reculades injustifiées, sur les SPANC par exemple, dans le texte voté à l'Assemblée nationale, me laissent perplexe et sans voix alors que onze millions d'habitants sont concernés. J'espère que nous reviendrons à des dispositions plus judicieuses dans ce domaine.
J'ajoute que le tableau injuste et inefficace du calcul des redevances selon les usages, la non-application du principe pollueur-payeur, l'affaiblissement, selon moi délibéré et organisé, des fédérations de pêcheurs par une révision qui me semble totalement malencontreuse de la définition des eaux libres et des eaux closes ainsi que le refus de mieux contrôler les délégataires dans le cadre des délégations de services publics me font craindre le pire.
Il faut une nouvelle éthique de la gouvernance de l'eau. L'accès à l'eau est un droit humain fondamental. Il nous faut des politiques plus rigoureuses, bien plus axées sur le préventif que sur le curatif. Par exemple, il faudrait restaurer les milieux aquatiques, les zones d'expansion de crues, préserver plus fortement les zones humides, mieux protéger les périmètres de protection des champs captants, relancer de manière significative les mesures agrienvironnementales - les contrats territoriaux d'exploitation, les CTE, et les contrats d'agriculture durable, les CAD - à travers tout le pays.
Nous sommes là au coeur du débat. Nous pouvons ainsi constater que la diminution des crédits en faveur des CAD a aujourd'hui des effets catastrophiques pour tous les contrats qui avaient été signés et qui justement devaient engager les agriculteurs sur la voie de la préservation du milieu environnemental, en particulier de l'eau.
On me reprochera de vouloir imposer plus de taxes aux agriculteurs. Mais si cet argent prélevé leur était effectivement rendu pour les amener à des pratiques culturales plus préservatrices de l'environnement - pratiques qui feraient l'objet d'une contractualisation -, nous irions véritablement dans le bon sens. Or je constate que l'application de toutes les mesures agrienvironnementales a été fortement perturbée en raison du manque de crédits.