Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 7 septembre 2006 à 15h00
Eau et milieux aquatiques — Suite de la discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Bien évidemment, il est apparu inconvenant que le président des agences puisse être élu, comme nous le demandions, et non nommé par l'État.

L'Assemblée nationale a cru bon de revenir sur cette avancée, en ne concédant que 40 % des sièges des comités de bassin aux élus locaux.

Allez savoir pourquoi, elle a même supprimé la possibilité pour les départements de répartir directement, dans un cadre conventionnel, les aides financières des agences. Le renforcement de la collaboration entre les agences et les départements serait pourtant indispensable.

S'agissant de la capacité des élus locaux à peser sur la politique des comités de bassin et des agences de l'eau, nous sommes donc revenus à la case départ.

J'en viens à présent au volet financier.

Les moyens budgétaires dont disposeront les élus locaux leur permettront-ils de remplir leurs obligations, y compris celles, nouvelles, qui découlent du présent projet de loi ? Nous verrons bien que non !

Pour un élu, la première obligation est de faire en sorte que ses administrés, même s'ils sont rebaptisés « consommateurs », puissent avoir de l'eau lorsqu'ils ouvrent leur robinet.

Or, cela a été rappelé, depuis plusieurs années, l'approvisionnement en eau pose des problèmes dès le début de l'été dans un nombre important de départements, et pas seulement dans le sud de la France.

En juin 2006, la situation était jugée « préoccupante » dans onze départements et « délicate » dans vingt-sept autres. En 2003, les trois quarts des départements - les deux tiers cette année - ont fait l'objet d'arrêtés de restriction d'usage de l'eau, d'ampleur variable selon les lieux.

Selon une récente étude du conseil général, 43 % des communes de mon département, le Var, sont aujourd'hui en situation limite d'adéquation entre les besoins et les capacités de production. En outre, moins de 20 % des communes seulement seront en mesure de répondre à la demande en eau dans les dix ans à venir.

Si la surconsommation agricole est incriminable dans beaucoup de départements, la vétusté et la mauvaise qualité des réseaux de distribution, donc de leur rendement, sont également en cause.

Près de la moitié des canalisations en France ont plus de trente ans et 10 %, plus de cinquante ans. Par conséquent, leur restructuration et leur renouvellement, dont il faut attendre des économies d'eau substantielles, sont à l'évidence absolument nécessaires.

Nous l'avons vu, fournir de l'eau constitue une première obligation pour les élus locaux. Leur deuxième obligation est de veiller à ce que l'eau distribuée soit de bonne qualité.

À cet égard, permettez-moi de mentionner les problèmes de protection des périmètres de captage, de changement des canalisations en plomb ou en amiante-ciment et de renouvellement des systèmes d'assainissement obsolètes ou sous-dimensionnés. Là encore, nous sommes très loin de compte.

Même si les estimations varient selon les sources, les coûts de mise à niveau des réseaux et des stations d'épuration pour la France entière sont considérables.

Selon le rapport de Cour des comptes de l'année 2003, le simple remplacement des canalisations en plomb ou en amiante-ciment, indépendamment du renouvellement du reste du réseau, demanderait un effort annuel de 1, 5 milliard d'euros. Quant au besoin annuel en matière d'assainissement, il serait compris entre 800 millions d'euros et 1, 5 milliard d'euros !

Sur ces bases, l'ordre de grandeur des besoins de financement annuels pour les dix prochaines années se situe entre 2, 5 milliards et 3 milliards d'euros.

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques évalue le coût de la seule résorption des matériaux à risques et anciens à 5, 3 milliards d'euros par an sur dix ans. Dans le Var, le coût global des travaux nécessaires pour l'alimentation en eau potable sur les dix prochaines années est estimé à 493 millions d'euros, soit environ 50 millions d'euros par an, dont plus du tiers pour le renouvellement des réseaux.

Dans mon département, le fonctionnement de plus de 50 % des stations d'épuration n'est pas satisfaisant. Plus de la moitié de ces dernières ont vingt ans d'âge et 20 % d'entre elles ont trente ans. Pendant les dix prochaines années, les collectivités locales devraient dépenser près de 300 millions d'euros pour les renouveler.

Pour maintenir ses aides au niveau actuel, le département devrait quasiment tripler les crédits qu'il consacre actuellement à ses interventions en matière d'eau et d'assainissement.

Dans ce contexte, ce sont évidemment les communes rurales, dont les réseaux sont les plus anciens, les plus longs et dont les moyens financiers sont les plus faibles, qui ont le plus de souci à se faire.

Paradoxalement, ces dernières doivent supporter les charges de protection de captage qui alimentent les zones urbaines - cela a été évoqué précédemment -, et ce sans participation des bénéficiaires. Notre groupe déposera donc de nouveau un amendement tendant à autoriser les organismes publics gestionnaires de services d'eau et d'assainissement à accorder des fonds de concours aux collectivités d'où leur ressource est originaire. Il serait étonnant que notre assemblée, défenseur institutionnel des communes rurales, ne l'adopte pas.

Les coûts sont donc considérables. Face à cela, que prévoit le présent projet de loi dans sa version actuelle ? Malheureusement, aucune intervention de l'État qui aurait permis de financer une quelconque forme de solidarité nationale après la disparition du FNDAE, et la captation de la ressource issue du PMU !

L'Assemblée nationale a même jugé bon de supprimer la possibilité, qui n'était pourtant que facultative, offerte aux départements de créer un fonds départemental pour l'alimentation en eau et l'assainissement.

Quand on connaît l'implication des départements en matière d'eau et d'assainissement, qui est actuellement de l'ordre de 700 millions d'euros annuels, leurs engagements en direction des communes rurales et surtout les enjeux financiers futurs, on s'étonne d'une telle position.

Par conséquent, notre assemblée doit impérativement rétablir le dispositif qu'elle avait adopté en première lecture. Mais j'ai cru comprendre qu'il existait un certain consensus sur cette question. §

De mon point de vue, la seule avancée issue des travaux de l'Assemblée nationale, mais sur laquelle notre commission entend curieusement revenir, est la hausse du plafond de ressources des agences de l'eau.

Pourtant, même à ce niveau, le compte n'y est pas encore.

Permettez-moi de vous faire partager un petit calcul auquel je me suis livré : un montant de 14 milliards d'euros sur six ans, cela représente 2, 3 milliards d'euros par an. Si l'on en croit le rapport de la Cour des comptes précédemment évoqué - ce sont les chiffres de l'année 2000 -, l'investissement annuel des collectivités locales pour les stations d'épuration est évalué à 1, 3 milliard ou 1, 4 milliard d'euros.

On peut donc penser que, si elles se tiennent à un tel rythme, selon les chiffres que j'ai mentionnés tout à l'heure, les collectivités locales pourront renouveler leurs installations futures sans financements supplémentaires des agences.

En revanche, il en va différemment pour l'eau. En effet, toujours selon la Cour des comptes, le coût actuel du renouvellement des canalisations serait d'environ 900 millions d'euros. Pour le simple renouvellement des conduites en matériaux illicites, il faudrait donc débourser plus de 1, 5 milliard d'euros annuels. Mais, si l'on tient compte du renouvellement des conduites dans un objectif d'amélioration du rendement, les dépenses annuelles sont en réalité de l'ordre de 2 milliards d'euros.

À mon sens, 2, 33 milliards d'euros par an permettront simplement aux agences de l'eau de faire face aux investissements des collectivités au rythme actuel, ainsi qu'à leurs autres missions, mais pas à la totalité des charges de renouvellement des canalisations.

Sauf à penser que la totalité de ce supplément de charges incombera aux collectivités locales, sur la base de 30 % d'intervention, il manque quelque 300 millions d'euros par an, soit 1, 8 milliard d'euros sur six ans.

Dans ces conditions, on peut comprendre, même si on ne l'admet évidemment pas, que la ministre de l'écologie et du développement durable ait émis, lors de l'examen du présent projet de loi en première lecture, un avis défavorable sur l'amendement, finalement adopté, tendant à placer les actions programmées sur les réseaux, c'est-à-dire leur renouvellement dans un souci de bonne gestion de la ressource, au titre des actions prioritaires des agences !

En outre, le plancher de 170 millions d'euros par an pour les aides au titre de la solidarité envers les communes rurales est, à l'évidence, notoirement insuffisant. Je ne m'attarderai pas à en faire la démonstration, car ce qui est vrai pour les communes en général l'est plus encore pour les communes rurales.

C'est pourquoi, et ce sera ma conclusion, les élus locaux, à commencer par les maires ruraux, ne pourront qu'être déçus par ce projet de loi si est maintenu dans sa rédaction actuelle. En effet, celle-ci ne leur donne ni le pouvoir de se faire entendre ni les moyens financiers de faire face à leurs obligations.

Il appartient donc à notre assemblée d'y remédier.

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