Comme l'a justement rappelé le président, cette proposition de loi est en réalité un projet de loi qui ne dit pas son nom.
Je commencerai par vous rappeler les deux objectifs distincts affichés par le texte adopté par l'Assemblée nationale. Le premier est d'exonérer le secteur de la presse du paiement de la contribution financière, en l'excluant de la filière REP. Le second est de fusionner les filières REP d'emballages ménagers et des producteurs de papier.
Permettez-moi de vous partager au préalable quelques éléments de contexte, qui contribueront à éclairer ma présentation et nos échanges.
Tout d'abord, la proposition de loi porte sur la responsabilité élargie des producteurs, qui constitue une application du principe « pollueur-payeur », puisqu'elle transfère la responsabilité de la prévention et de la gestion des déchets aux producteurs.
La majorité des producteurs s'acquittent de cette obligation en mettant en place collectivement des éco-organismes dont ils assurent la gouvernance, auxquels ils transfèrent leur obligation et versent en contrepartie une contribution financière appelée éco-contribution. Les contributions versées aux éco-organismes doivent être modulées sous la forme de primes ou de pénalités, en fonction de critères de performance environnementale des produits.
Deux filières sont concernées par la présente proposition de loi : la REP emballages ménagers et la REP papier. Leur rôle principal est de soutenir financièrement le service public de gestion des déchets, géré par les collectivités territoriales. Ces filières partagent ainsi des similitudes opérationnelles, notamment avec une collecte harmonisée par les collectivités territoriales par le biais du « bac jaune » et un éco-organisme opérant sur les deux gisements, Citeo. Elles sont toutefois de taille inégale : en 2021, 850 millions d'euros étaient collectés et transférés aux collectivités territoriales au titre de la REP emballages, contre seulement 62 millions d'euros en 2020 pour la REP papier. Les deux filières connaissent de surcroît des dynamiques inversées : la REP emballages a doublé en dix ans, quand la REP papier décroît régulièrement, en raison notamment de la dématérialisation continue des activités ou encore du recul de la distribution des prospectus publicitaires.
Ensuite, la presse, qui représente environ 20 % du tonnage soumis à la REP papier, bénéficie, depuis son inclusion dans le champ de la filière, en 2017, d'un dispositif dérogatoire lui permettant, si elle le souhaite, de contribuer « en nature » et d'échapper ainsi au versement de l'éco-contribution. Cette contribution en nature consiste en une mise à disposition gratuite d'encarts pour informer le consommateur sur le geste de tri et le recyclage des déchets. Elle entre toutefois en contradiction avec la directive « Déchets » de 2018, qui prévoit explicitement que les metteurs sur le marché versent des « contributions financières » au sein de la REP à laquelle ils appartiennent. C'est pourquoi nous avions mis fin, à l'occasion de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi « Agec », au régime dérogatoire dont bénéficiait la presse. Ce dernier a perduré depuis la date de promulgation de la loi jusqu'au 1er janvier 2023. Le bénéfice de la « contribution en nature » avait été conditionné au respect de critères de performance environnementale comme l'intégration de fibres recyclées dans les publications.
J'en viens maintenant au contenu du texte adopté par l'Assemblée nationale.
Le premier volet de la proposition de loi vise à exonérer le secteur de la presse du paiement de la contribution financière, soit 22 à 26 millions d'euros en 2023, en l'excluant de la filière REP. Il s'agit de l'aider à faire face à des difficultés conjoncturelles et structurelles que nous connaissons bien : doublement du prix du papier en un an, augmentation des coûts de l'énergie, diminution structurelle des ventes de la presse papier de 5 % par an, notamment. Ces problématiques avaient été soulevées par le récent rapport d'information de notre collègue Michel Laugier, fait au nom de la commission de la culture.
En contrepartie, la proposition de loi pérennise le système de la « contribution en nature », en le plaçant toutefois en dehors du champ de la REP, pour assurer la conformité du texte au droit de l'Union européenne. Elle prévoit ainsi la conclusion d'une convention de partenariat entre l'État et les syndicats de presse, afin de déterminer les conditions dans lesquelles les publications de presse mettent gratuitement à disposition des espaces de communication destinés à informer le public sur le tri des déchets, l'économie circulaire et la préservation de la ressource en eau et de la biodiversité. Ces encarts doivent bénéficier majoritairement aux collectivités territoriales et aux intercommunalités, à la communication des filières REP ainsi qu'aux associations agréées pour la protection de l'environnement. Le texte prévoit également que la convention de partenariat définit des critères de performance environnementale que les publications s'engagent à respecter.
Le deuxième volet du texte, bien distinct, prévoit la fusion des REP emballages ménagers et papier. Cette fusion poursuit plusieurs objectifs.
Premier objectif : simplifier les procédures administratives, notamment pour les collectivités territoriales, qui pourront contractualiser avec l'éco-organisme par l'intermédiaire d'un contrat unique, en lieu et place de deux contrats distincts.
Deuxième objectif : répondre au mouvement accompagné par la loi « Agec », qui a harmonisé les systèmes de collecte des déchets d'emballages et de papiers sur l'ensemble du territoire national en 2023.
Troisième objectif : renforcer les synergies entre les deux filières, notamment dans un contexte de recours accru aux papiers et cartons pour les emballages en remplacement des emballages plastiques.
J'en viens, pour terminer, à mes observations sur ces différentes propositions.
Sur le premier volet, je porte un regard favorable à la fusion des filières REP, qui pourrait en effet être source de simplification et de synergies. J'estime néanmoins que les alinéas introduits à l'Assemblée nationale, prévoyant que les éco-contributions versées par les producteurs d'emballages et de papiers couvrent exclusivement les coûts de gestion des déchets issus respectivement des emballages et des papiers, ne sont pas opportuns : ceux-ci limitent la portée de la fusion en empêchant effectivement les possibilités de synergie financière entre les emballages et les papiers graphiques. Je vous proposerai donc un amendement tendant à leur suppression.
Je serai beaucoup plus critique sur le volet du texte relatif à la presse, qui présente plusieurs écueils majeurs. Je considère tout d'abord que sortir la presse de la REP pourrait constituer un dangereux précédent susceptible d'affaiblir l'ensemble des REP. Ce serait en effet la première fois dans l'histoire de ce système - il est né en France dans les années 1990 et a essaimé partout en Europe - qu'un gisement serait retiré de la REP. D'autres secteurs pourraient utiliser ce premier régime d'exception en vue de demander des aménagements et des exonérations pour l'avenir, au détriment des collectivités territoriales et de la protection de l'environnement.
Je rappelle que tout ce qui n'est pas pris en charge par les metteurs sur le marché doit être financé par les collectivités territoriales et les contribuables locaux. Le dispositif proposé aura donc un impact financier sur le service public de gestion des déchets. Si ce manque à gagner ne saurait être surestimé au regard du coût total du service public, le texte s'inscrit toutefois dans un contexte d'augmentation des charges, due à la hausse des prix de l'énergie ou encore à l'augmentation significative de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).
Enfin, la seule condition posée à l'exonération de la presse des obligations de la filière REP est de « participer » à une convention de partenariat. Le texte ne prévoit donc aucune sanction du non-respect des engagements des publications de presse, à la différence de ce qui prévalait dans le mécanisme transitoire issu de la loi « Agec ».
Nous ne pouvons pas accepter une telle régression environnementale et une telle atteinte au service public de gestion des déchets géré par nos collectivités territoriales.
Je vous proposerai donc une autre solution, conciliant de manière plus satisfaisante protection du service public de gestion des déchets et préservation du secteur de la presse.
L'amendement que je vous présenterai vise ainsi à maintenir la presse dans le champ de la REP ; les contributions financières de la filière REP seraient toutefois modulées pour les produits contribuant à une information du public d'intérêt général sur la prévention et la gestion des déchets, notamment par la mise à disposition gratuite d'encarts, sous réserve de respecter des critères de performance environnementale fixés par décret. Cette modulation des contributions sous forme de prime pourra pleinement bénéficier aux publications de presse.
Les avantages de cette proposition sont nombreux. Celle-ci préserve l'intégrité de la REP en maintenant la presse en son sein. Elle est financièrement neutre pour le service public de gestion des déchets, car les primes versées devraient être compensées par la filière REP. Elle offre enfin des garanties environnementales, en conditionnant l'octroi des primes à l'atteinte de critères de performance environnementale. Cette option avait d'ailleurs été envisagée par les services ministériels au cours des travaux préparatoires à la loi « Agec », que j'avais menés il y a quatre ans.
Vous l'aurez compris, ma priorité est de préserver les filières REP pour protéger le service public de gestion des déchets et nos collectivités territoriales. Mes propositions tiennent également compte de la situation difficile dans laquelle se trouve la presse et apportent une réponse proportionnée aux difficultés auxquelles ce secteur fait face. Voici le chemin de crête que je vous propose d'emprunter ce matin.