Merci de votre invitation, je suis très heureux d'être devant de nombreux spécialistes des transports, je le dis sincèrement, vous êtres nombreux à avoir travaillé sur les transports et leurs usages- et je sais que la Haute Assemblée porte à ce sujet une attention signalée.
Le COI succède à des structures d'abord temporaires, comme la commission Mobilité 21 qui avait élaboré le schéma national d'infrastructures de transport et qui avait été dissoute ensuite, puis le COI « première version », créé en 2018 et présidé par Philippe Duron, spécialiste reconnu des transports et dont le rapport a nourri la LOM. Le législateur a choisi de pérenniser le COI et les parlementaires qui s'y sont investis - vos collègues Christine Herzog, Philippe Tabarot et Michel Dagbert m'en seront témoins - savent que c'était là une volonté de l'actuelle Première ministre alors ministre des transports. Car si le COI est un outil qu'il ne faut pas surestimer, en particulier s'agissant de son pouvoir de décision, il aide à objectiver les décisions - et la pérennisation du COI n'est pas étrangère au sentiment qu'il fallait redonner de la crédibilité aux engagements publics en matière d'infrastructures de transport, après des années où les décisions avaient été empilées sans cohérence. Le COI est placé auprès du ministre des transports et ne peut s'autosaisir, c'est une limite, nous voudrions notamment travailler sur la question du financement des infrastructures de transports, ou encore sur la transition écologique et la route. Le COI est composé d'élus pour une large part, avec des représentants de l'association des départements de France (ADF), l'association des régions de France (ARF), de France Urbaine, et des spécialistes des transports dans leur diversité, ainsi que deux députées européennes qui sont invitées permanentes.
La valeur des analyses du COI est à la mesure de sa capacité à dégager du consensus. Entre les trois scénarii de notre rapport, aucun d'entre nous n'a opté pour le premier et c'est le scénario dit « central » qui a recueilli le plus large assentiment, même si plusieurs d'entre nous auraient voulu aller plus loin ou plus vite.
Nous avons commencé nos travaux le 7 octobre dernier, nous avons eu des journées entières d'audition et de débats, parfois vifs, et nous avons élaboré ce rapport ; il était prêt en fin d'année dernière et a ensuite fait l'objet d'échanges réguliers avant sa remise.
Ce n'est pas le premier mais le troisième rapport du COI, dans cette composition, et on y observe une grande filiation avec le rapport précédent, dans lequel nous faisions le bilan des remontées des attentes des territoires en matière d'infrastructures de transports. Nous avions à cette occasion observé une grande diversité des attentes en la matière, certaines régions et métropoles ayant fait l'effort de prioriser leurs projets, quand d'autres arrivaient avec une liste d'attentes assez fournie sans volonté de les hiérarchiser.
En élaborant notre rapport, nous nous sommes rapidement affranchis du scénario de référence, qui correspondait à la trajectoire de la LOM - et qui représentait déjà un effort supérieur à ce qui avait été fait antérieurement - avec 17,5 milliards d'euros sur le quinquennat mais aussi sur sa durée : nous avons choisi de travailler sur quatre quinquennats, au lieu de deux comme le prévoyait initialement la lettre de mission, car les infrastructures de transports se construisent sur le temps long. Nous voyons aujourd'hui surgir de terre des équipements du Grand Paris qui ont été décidés sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, cette temporalité impose de voir loin quand on réalise des projets d'infrastructures.
Le scénario de planification écologique, qui a donc notre faveur, a d'abord pour caractéristique - et c'est un message fort - de donner la priorité à l'utilisation et à la modernisation des infrastructures de transports existantes, quelles qu'elles soient. Cela vaut bien sûr pour le ferroviaire, c'est là que l'effort de rattrapage à faire est le plus visible, mais cela vaut également pour la route, le COI l'a déjà dit dans son rapport de 2018 : nous avons devant nous la transition du premier réseau routier européen, ce patrimoine que nous ont légué des siècles d'aménagement routier et que nous devons adapter au monde qui vient, avec des bornes de recharge électrique, un meilleur partage entre les usages ; les sujets ne manquent pas. La priorité à l'existant, à sa régénération, à sa modernisation et à son développement, est l'une des clés de ce scénario. Ne nous disons pas que cet effort ne se verra pas, même si, comme élus, nous savons qu'annoncer une nouvelle infrastructure de transport est plus motivant et que cela donne l'image de plus de volontarisme, que d'entretenir l'existant.
Pour autant, ce scénario n'exclut pas la création d'infrastructures nouvelles, pas plus qu'il ne repousse aux calendes grecques, par exemple, le grand projet Sud-Ouest à grande vitesse, notamment la section Bordeaux-Toulouse dont le potentiel de report modal de l'aérien vers le ferroviaire est avéré.
Le message est donc la priorité à l'utilisation des infrastructures, avec, singulièrement, une poursuite de l'effort et une montée en puissance des investissements sur le fluvial, qui a déjà vu ses investissements doubler dans le quinquennat précédent, période où Voies navigables de France (VNF) a démontré sa capacité à utiliser les crédits qu'on lui accordait. Sur le ferroviaire, cette priorité passe par un effort que nous souhaitons d'au moins 1 milliard d'euros pour la régénération dès la fin de ce quinquennat, et 500 millions d'euros pour la modernisation, ceci de manière récurrente. Car en matière d'infrastructures de transports, le « comment » compte au moins autant que le « combien ». Consacrer, comme cela a été proposé à l'Assemblée nationale, 3 milliards d'euros sur une seule année à l'investissement sur notre réseau ferroviaire, du jour au lendemain, cela n'a pas de sens du point de vue de la capacité à faire de la SNCF. Mieux vaut, et de loin, un effort constant, récurrent et prévisible, que des à-coups, y compris pour les sous-traitants de la SNCF. Ce secteur économique représente des dizaines de milliers d'emplois, il faut également le rappeler dans nos discussions avec Bercy.
Ce scénario central représente, par rapport à ce qui était prévu, un besoin d'investissement de 25 milliards d'euros, contre une commande à environ 17 milliards d'euros, avec une montée en puissance dans le quinquennat suivant, au cours duquel l'on dépassera les 29,4 milliards d'euros souhaités par le scénario. Nous proposons donc un effort continu et prévisible, qui privilégie les projets qui ont un potentiel de décarbonation avéré, qu'il s'agisse de transport de marchandises ou de voyageurs.
Parmi les points de vigilance, je veux souligner l'attention qu'il faut porter à la capacité à faire, aux métiers, à la maitrise d'ouvrage et à la maitrise d'oeuvre. Lors de la remise de notre rapport, la Première ministre a évoqué la Société du Grand Paris (SGP) comme l'outil qui pourrait réaliser les réseaux express métropolitains, et SNCF Réseau, de son côté, va avoir un plan d'investissement très important, une montée en charge forte et continue, avec probablement des difficultés à travailler en plateaux-projets sur des créations d'infrastructures nouvelles ou complexes. À cet égard, il faut un changement de culture à SNCF Réseau, dans la capacité à expliquer ce qu'elle fait aux financeurs et à respecter les délais, ainsi qu'à évaluer son patrimoine au préalable autrement qu'à dire d'experts - vous le savez en tant qu'élus, les demandes d'investissements sans vue globale de ce que pourra être l'évolution de l'état de l'infrastructure dans le temps n'ont guère de sens.
Autre point de vigilance, qui est un angle mort, la capacité à évaluer, au sens large, le potentiel de décarbonation réel des infrastructures. Nous avons été surpris de voir que pour beaucoup de projets, y compris ferroviaires - mais à l'exception des projets sur la voie d'eau -, cette évaluation était parfois oubliée ou peu rigoureuse, c'est particulièrement étonnant quand on sait que ce criblage est au moins aussi important que le criblage financier, puisqu'il permet lui aussi de prendre des décisions de priorisation.. La capacité à évaluer doit progresser aussi en matière de résilience des infrastructures, nous n'avons abordé ce sujet qu'à la marge, on est encore loin de ce qu'on peut souhaiter en la matière.
Les commentaires sur notre rapport se sont focalisés sur le transport de voyageurs, alors que nous y parlons aussi beaucoup du transport de marchandises, - dont la reprise est fragile, sa part modale étant passée de 9 à 10,6 % -, en particulier par la voie fluviale, et nous formulons des recommandations fortes sur la tenue des délais des engagements pris sur Seine-Escaut, où l'enjeu de décarbonation est massif.
Enfin, parmi les messages du rapport et au-delà des réponses de la Première ministre sur les montants significatifs à investir pour le ferroviaire - et même si la part des uns et des autres reste à préciser - nous savons tous que la part de chacun des financeurs devra être augmentée. La part de l'État, qui pourrait être d'un tiers, cela représente déjà beaucoup plus que ce qui est fait en effort annuel, et encore plus que ce qui a été fait jusqu'ici, il faut le souligner. La nécessité d'un effort pérenne nous fait souhaiter qu'une loi de programmation décline ces objectifs. Sur ce point, je crois que les hésitations actuelles tiennent surtout à l'équilibre des forces d'aujourd'hui à l'Assemblée nationale, et, parfois, sur les sujets d'infrastructures, à ce qui s'apparente à un jeu de dupes où l'on aura beau jeu de pointer qu'une partie de l'effort sera réalisée par d'autres acteurs que l'État, alors qu'il faut regarder l'augmentation de la part de l'État dans les financements des infrastructures, par rapport à ce qui était fait antérieurement, et tout le monde sait qu'elle sera plus importante - s'il n'y avait que de la bonne foi, il n'y aurait pas d'hésitation...