Intervention de Philippe Bonnecarrere

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 mars 2023 à 8h35
Projet de loi pour contrôler l'immigration améliorer l'intégration — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere, rapporteur :

À l'évidence, l'exécutif n'a pas toutes les clés en main, aussi bien en amont qu'en aval. En amont, l'Union européenne est un acteur incontournable de la protection des frontières et nous connaissons les blocages qui demeurent sur ce sujet entre les vingt-sept États membres. En aval, la situation des laissez-passer consulaires est bien connue. Si vous ne pouvez réguler l'amont et l'aval, la situation est forcément assez complexe.

Nous connaissons un dysfonctionnement du système, qui est embolisé, ce qui engendre une démotivation des personnels. Ainsi, notre pays a voulu trop rapidement raisonner en termes de dématérialisation. Face à la difficulté posée par le nombre de demandes de rendez-vous dans les préfectures s'est installée l'idée que le numérique et la dématérialisation pourraient tout régler. En réalité, en raison précisément de cette dématérialisation, le nombre de guichets dans les préfectures a été réduit de même que le personnel. Des dysfonctionnements existent pourtant dans la chaîne numérique en matière de traitement de la situation des étrangers, ce qui crée une embolie dans les préfectures et les tribunaux administratifs et, par voie de conséquence, une démotivation des personnels.

Cinquièmement, le texte traite de cette question sous un angle nouveau au travers du volet relatif aux relations à l'emploi. Il concerne les articles 3, 4, 5 et 7. Cela est probablement positif, dans la mesure où il vaut mieux tenir compte des réalités, notamment en Europe, où des inflexions dans des sens opposés interviennent en matière d'immigration, en particulier celle qui est liée à l'activité économique. On retrouve là la contradiction majeure que connaît actuellement notre pays où coexistent un taux de chômage qui reste élevé et un nombre de postes non pourvus, tout aussi important - je pense notamment au secteur de l'hôtellerie-restauration et à celui du BTP. Nous peinons à résoudre cette difficulté.

Nous allons donc devoir concilier les outils qui sont à notre disposition pour légiférer avec ceux de l'économie et du marché de l'emploi. À cet égard, Muriel Jourda et moi-même avons des appréciations un peu différentes sur les articles 3 et 4.

Les articles 14 et 15 aggravent les sanctions pénales applicables aux réseaux de passeurs et aux marchands de sommeil. À titre personnel, je suis assez réticent à l'idée d'accroître encore ces sanctions. Toutefois, je ne conteste pas l'importance de la question des passeurs. Les drames que nous avons connus en Méditerranée ou dans la Manche conduisent à nous interroger sur ceux qui mettent à l'eau des bateaux avec à leur bord des hommes, des femmes et des enfants. Il n'est donc pas anormal d'aborder ce sujet sous un angle pénal.

L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Cour nationale de droit d'asile (CNDA) font aussi l'objet de dispositions, selon le concept du « aller vers ». Si l'utilisation de cette notion est compréhensible en matière de gestion des collectivités locales, cela peut paraître plus aventureux pour la gestion du droit d'asile, qui dispose d'un corpus juridique propre. Au sujet de la déconcentration de l'OFPRA dans les préfectures, nous vous proposerons de mettre en place une expérimentation. Cette notion d'« aller vers » est aussi présente sous la forme de territorialisation de la CNDA, avec des chambres réparties sur notre territoire. Cette partie du projet de loi n'a pas suscité de critiques particulières, mais elle pose des questions d'ordre matériel, car ces évolutions entraîneront des surcoûts.

Ensuite, je ne doute pas que nos débats seront vifs sur la question du juge unique ou de la collégialité. Cela me semble être un faux sujet, car les dispositions visées doivent a priori tout à la plume de la section du contentieux du Conseil d'État et permettent de recourir au juge unique ou de renvoyer à la collégialité. Le président de la CNDA lui-même ne voit pas d'obstacle à cette alternative.

Sur la réforme du contentieux, nous vous proposerons d'en revenir à la position du Conseil d'État, définie dans le rapport de Jacques-Henri Stahl, et à celle du président Buffet. En effet, il est logique de fixer des règles contentieuses plus souples pour les dossiers non urgents et plus strictes pour les dossiers urgents, en distinguant encore ceux qui doivent être traités dans les délais les plus brefs lorsque les personnes sont placées en centre de rétention administrative.

Le ministre propose une quatrième voie contentieuse avec la création d'un régime « prioritaire », soumis à un délai de recours fixé à 72 heures et un délai de jugement de six semaines, applicable lorsque les intéressés font l'objet d'une décision d'éloignement sans délai, mais pour laquelle le préfet ne prend pas de dispositions contraignantes - assignation à résidence ou placement en centre de rétention administrative. En réalité, en cas de décision d'éloignement sans mesure de contrainte, le taux d'exécution est faible. Imposer un traitement urgent de ces procédures alors que celles-ci ne sont que peu suivies d'effet contribuerait à l'embolie du système. Pour ces raisons pratiques, nous vous proposerons d'en rester aux propositions que j'ai évoquées.

Au sujet des vidéo-audiences auxquelles nous ne sommes pas opposés dans les zones d'attente ou dans les centres de rétention administrative, nous vous proposerons de les encadrer pour nous assurer de leur conventionnalité et de leur constitutionnalité. Nous tenterons de garder le cap de l'État de droit.

Pour conclure, je dirai que nous aurons probablement des débats assez vifs : on nous objectera que nous ne sommes pas conscients des effets de l'adoption de telles dispositions au sein de l'opinion publique et que nous n'observons pas les mouvements qui ont lieu actuellement en Europe. C'est une réalité, la pression migratoire est en forte augmentation. Cependant, au regard de notre démocratie, nous nous devons de respecter strictement notre cadre conventionnel et constitutionnel.

Enfin, nous allons vous faire part, en toute transparence, des divergences entre Muriel Jourda et moi-même sur deux articles.

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