Sur les articles 3 et 4, les rapporteurs ne proposent pas d'amendements. Nous verrons, en séance publique, les différents amendements qui seront présentés par les groupes.
L'article 4 prévoit que les demandeurs d'asile en provenance de pays aux taux de protection très élevés puissent travailler sans attendre un délai de six mois, auquel s'ajoute celui de la demande d'autorisation de travail, qui est d'un à deux mois. En réalité, et c'est assez paradoxal, à l'issue de ce délai de six mois, peu de demandeurs d'asile font une demande d'autorisation de travail. Cela représente environ 4 000 cas par an. Ce sujet doit donc être relativisé.
Deux hypothèses peuvent être considérées : le demandeur d'asile étant susceptible d'être éloigné, son intégration professionnelle n'a pas lieu d'être favorisée ; a contrario, l'oisiveté étant la mère de tous les vices, il est préférable d'éviter de laisser ces personnes sans activité, tout en bénéficiant de l'allocation propre aux demandeurs d'asile. Il ne me paraît pas scandaleux de se fonder sur le taux de protection - par exemple en le portant à 70 % -, sachant que les situations sont extrêmement contrastées.
Le taux moyen de protection était de 40 % en 2022, mais cette moyenne couvre des écarts très importants. Ainsi, des pays connaissent de très faibles taux de protection, comme le Maroc ou la Côte d'Ivoire, tandis que d'autres ont de très forts niveaux de protection. Hormis les pays qui sont à 100 % d'admissions comme le Turkménistan, mais avec six demandes en 2022, les pays à haut niveau de protection sont l'Afghanistan, le Soudan du Sud, l'Érythrée et la Syrie avec un taux de protection supérieur à 80 %. À partir du moment où il existe une très grande probabilité que les ressortissants de ces pays bénéficient de la protection, je ne vois pas bien l'intérêt de retarder la possibilité pour eux de travailler.
Concernant l'article 3, il convient d'abord de s'interroger sur le fait de savoir si des personnes en situation irrégulière travaillent dans notre pays. À l'évidence, c'est le cas, sans que quiconque soit capable d'en évaluer le nombre. Néanmoins, ces personnes n'ont pas nécessairement toujours été en situation de clandestinité. En effet, dans certains cas, un contrat de travail a pu être établi alors qu'elles étaient en situation régulière. C'est ainsi le cas des détenteurs de titres de court séjour qui, à la date d'embauche, étaient en situation régulière, mais dont le titre est venu à expiration ou n'est pas renouvelé, les faisant basculer dans l'irrégularité.
Il n'en demeure pas moins qu'un certain nombre de personnes sont dans une situation d'irrégularité. La mesure proposée par le Gouvernement concerne le « stock », si je puis dire, et non pas le « flux ». Ainsi, il ne vous est pas demandé d'autoriser le séjour de personnes pour les métiers en tension à l'avenir, et annuellement. Ce ne sont que des mesures de régularisation.
Néanmoins, deux risques sont identifiables : celui de l'« appel d'air » et celui de la « trappe à bas salaires ».
Muriel Jourda a développé le risque d'appel d'air. Je le nuancerai pour ma part. En effet, la personne en situation d'irrégularité devra démontrer qu'elle a travaillé pendant huit mois et devra passer l'obstacle de son employeur, qui devra composer avec la révélation de cette situation d'irrégularité, qui l'expose à des sanctions pénales et administratives. Au demeurant, il est possible de gérer ce risque en paramétrant davantage l'article 3. En matière d'immigration professionnelle, des quotas peuvent être fixés. L'interdiction des quotas n'est valable que pour la demande d'asile et le rapprochement familial.
À propos du second risque, celui de la « trappe à bas salaire », sujet le plus délicat, comme en témoigne l'intervention de Jacqueline Eustache-Brinio devant le ministre de l'intérieur le 28 février dernier on tire tout le monde vers le bas, car il s'agit d'emplois peu qualifiés et de bas salaires.
Je ne vois pas l'intérêt de laisser les gens dans cette situation. Il me semblerait plus pertinent de s'interroger, avec les branches professionnelles, sur l'attractivité de ces métiers et de se demander pourquoi ils sont exercés principalement par des étrangers. Plutôt que de rejeter l'article 3, nous vous proposerons de réfléchir à ce sujet en séance, de poser la question des rémunérations, des classifications, des conditions de travail, afin de faire en sorte que ces métiers puissent attirer nos concitoyens, et non seulement des personnes étrangères, voire en situation irrégulière.
Nous faisons le choix, au sein de la majorité sénatoriale, d'assumer nos différences de sensibilité et nous serons très attentifs aux points de vue qui seront exprimés dans l'hémicycle.