Monsieur le président, monsieur le directeur général, mes chers collègues, nous avons le plaisir d'auditionner successivement aujourd'hui messieurs Bernard Doroszczuk, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), et Olivier Gupta, directeur général, ainsi que monsieur Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), sur la réforme annoncée du contrôle et de la recherche en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection.
À la suite du Conseil de politique nucléaire (CPN), tenu le 3 février sous l'égide du président de la République, il a été initialement annoncé que les activités d'expertise de l'IRSN rejoindraient l'ASN et celles de recherche le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Finalement, l'ASN engloberait toutes ces activités. Que d'improvisation de la part du Gouvernement pour des sujets pourtant bien sérieux !
Une déclaration d'intention de la ministre chargée de l'énergie et une lettre de mission, adressée par elle aux responsables de ces trois organismes, ont ainsi été rendues publiques le 8 février. Ces responsables ont remis un plan d'actions, le 20 février, et publieront un rapport détaillé d'ici juin.
Cette réforme, dont les contours évoluent donc de jour en jour, a suscité l'émoi de l'IRSN et celui du Parlement. Le conseil d'administration de l'Institut a examiné une motion, le 16 février, alertant le Gouvernement sur le risque d'une paralysie du système de contrôle et lui rappelant que son expertise ne se limite pas à la filière nucléaire mais s'étend aux usages de la radioactivité dans les domaines industriel, médical et militaire. De plus, son personnel a engagé un mouvement de grève le 20 février.
Cette réforme, qui ne figurait pas initialement dans le projet de loi « Nouveau nucléaire », a été présentée par le Gouvernement à l'Assemblée nationale par le biais de deux amendements : le premier vise à élargir les missions de l'ASN à l'expertise, la recherche et la radioprotection, à garantir l'accès de ses agents aux informations nécessaires, à permettre le recours à des agents publics comme privés et à instituer un comité social d'administration ; le second amendement tend à transférer les contrats de travail des agents de l'IRSN. Il est prévu que la réforme s'effectue jusqu'en 2024.
Dans ce contexte, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) a fixé six garde-fous, après vous avoir tous auditionnés : conserver en bloc les compétences d'expertise et de recherche de l'IRSN au sein de l'ASN ; maintenir une séparation entre les rôles exécutifs de contrôle et d'expertise et ceux de décision et de pilotage, ainsi que les garanties sur l'information, la transparence et le dialogue avec la société ; veiller à l'absence de monopole dans l'expertise nucléaire ; instituer un contrôle de l'Office sur cette réforme ; tirer les enseignements des systèmes étrangers ; inscrire cette réforme dans une vision plus large, s'appuyant sur les capacités de recherche.
Pour notre commission, cette réforme pose clairement deux difficultés, tant sur la méthode que dans son contenu.
S'agissant de la méthode, elle intervient par voie d'amendements gouvernementaux. C'est totalement irrespectueux du débat parlementaire en général, et du travail sénatorial en particulier, car notre assemblée, forcée de légiférer dans l'urgence sur ce texte, y compris durant la trêve des confiseurs, fait aujourd'hui face au risque d'être dessaisie de ce sujet majeur. C'est pour conjurer ce risque que nous avons souhaité vous entendre ce jour ! De surcroît, une telle méthode est sous-optimale du point de vue de l'efficacité des politiques publiques, car ces amendements n'ont évidemment pas fait l'objet d'études d'impact et présentent un lien avec le texte restant à démonter devant le juge constitutionnel...
Concernant son contenu, cette réforme soulève au moins trois interrogations. D'une part, est-il bien opportun de procéder à une telle réforme, source de désorganisation, à l'heure de la relance du nucléaire, qui suppose de prolonger les réacteurs existants et d'en construire de nouveaux ? Pourquoi prendre le risque d'instiller de la défiance parmi nos concitoyens ? D'autre part, comment garantir le maintien en bloc des compétences de l'IRSN, qui sont indispensables pour répondre aux besoins croissants de contrôle induits par cette relance ? Je rappelle que l'IRSN dispose de 1 800 effectifs et l'ASN de 500. Surtout, une telle réforme est-elle de nature à améliorer la sûreté nucléaire ? C'est la question principale que je souhaitais vous poser ce matin. Je rappelle que l'IRSN émet un avis public sur les décisions de l'ASN, ce qui permet un dialogue entre expertise d'un côté et contrôle de l'autre. Quel système alternatif pourrait être envisagé afin de ne pas éroder ce dialogue ?
Je vous laisse répondre à ces questions liminaires puis notre collègue Daniel Gremillet, président du groupe d'études « Énergie » et rapporteur du projet de loi « Nouveau nucléaire » ainsi que nos collègues vous interrogeront. Je vous remercie.