Intervention de Bernard Doroszczuk

Commission des affaires économiques — Réunion du 8 mars 2023 à 9h30
Audition de Mm. Bernard Doroszczuk président et olivier gupta directeur général de l'autorité de sûreté nucléaire asn

Bernard Doroszczuk, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) :

Je vous remercie. Je vais vous répondre. Je laisserai Olivier Gupta répondre sur le sujet lié à la séparation de l'expertise et de la décision. Qu'est-ce qui justifie un changement qui pourrait apparaître comme un changement de position de l'ASN ? Vous avez vous-mêmes cité des dates. Il y a effectivement eu des prises de position en 2014, 2015 ou 2016, qui correspondaient au contexte de l'époque. Comme je l'ai dit dans mon intervention, nous nous situons dans un contexte complètement nouveau. Personne n'imaginait encore il y a deux ans que l'on débattrait d'un programme électronucléaire aussi ambitieux, qu'on se poserait la question de la poursuite de l'exploitation de réacteurs jusqu'à soixante ans, voire au-delà, et qu'on s'interrogerait sur le devenir de l'industrie du cycle du combustible. Il y a donc un contexte différent et je pense qu'on ne peut pas le négliger. Il faut se mettre en ordre et, d'une certaine manière, comme je l'ai dit tout à l'heure, la filière elle-même se met en ordre. Ce serait assez illogique qu'une décision de mobilisation de la totalité des ressources soit prise, face à un besoin de compétences exceptionnel dans la filière nucléaire, sans s'interroger sur la mise en place d'une approche similaire en ce qui concerne le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Comme je l'ai dit, il apparaît ici un élément favorable qui ne doit pas être négligé, c'est le fait que nous avons la même raison d'être. Nous faisons la même chose, avec le même objectif. Rapprocher deux entités qui ont la même raison d'être m'apparaît tout à fait envisageable, si la réforme était décidée.

Vous évoquez ensuite les questions du périmètre des missions. Vous avez évoqué le renforcement du texte sur la cyber-résilience, qui était effectivement l'une des propositions du Sénat à l'issue de la première lecture. Vous m'avez posé la question du périmètre plus général de la future réforme, en termes de missions. Je tiens à souligner qu'un point qui correspond à des sujets que nous avons évoqués à plusieurs reprises n'est aujourd'hui pas présent dans le texte du Gouvernement, la question de la sécurité des installations nucléaires civiles. Au vu des retours d'expériences internationales pour ce qui est des installations nucléaires civiles, tous nos homologues étrangers ont en charge la sûreté nucléaire, ce que nous faisons, mais aussi la sécurité. Qu'est-ce que la sécurité ? C'est la lutte contre les actes de malveillance. La cybersécurité en fait partie, mais aussi d'autres sujets comme l'intrusion. C'est intimement lié. Le dimensionnement d'une installation nucléaire doit être produit par rapport au risque accidentel, mais aussi par rapport au risque d'agression malveillante. C'est un point que j'avais cité ici, madame la présidente, lors de la table ronde sur le nouveau nucléaire de décembre dernier. Je pense que ce sujet sera particulièrement important pour les Small Modular Reactors (SMR), dès lors que les SMR ne seront pas installés sur les sites nucléaires actuels. En effet, si l'on recherche un véritable effet d'entraînement et de développement, il va falloir les installer ailleurs, ce qui posera des sujets en termes de sécurité et de sûreté. On ne peut pas imaginer la sécurité d'une petite installation de la même manière que la sécurité d'une grosse installation, avec des barbelés, des gendarmes, etc. Ce n'est pas la même chose. Je pense qu'il se trouve un manque à ce sujet dans le projet qui est proposé au Parlement. Dans la définition des missions que l'ASN pourrait accueillir et qui sont aujourd'hui exercées par l'IRSN se trouve une mission dans le domaine de l'expertise liée à la sécurité des installations civiles, qui n'est pas explicitement présente. Il me semble qu'il faudrait l'ajouter à l'ensemble des missions qui seraient transférées de l'IRSN à l'ASN. C'est bien une mission d'expertise, c'est-à-dire qu'il y aura toujours une autorité de sécurité. Cela assurera un niveau homogène entre l'ensemble des installations, sur un certain nombre de sujets transversaux. C'est le point relatif au périmètre qui me semble le plus le plus important. Le reste du périmètre me semble tout à fait satisfaisant, même si quelques imprécisions du texte devront être corrigées, ce qui n'est sans doute pas une difficulté.

Pour ce qui est des recommandations de l'Opecst, comme je l'ai dit tout à l'heure, elles sont parfaitement appropriées. Il faut absolument les reprendre et définir la manière de les reprendre, notamment dans le règlement intérieur de l'ASN. Il faut aussi laisser à l'ASN le soin de les intégrer. L'ASN est une autorité indépendante. Le Parlement lui donne - et c'est normal - les objectifs qu'il souhaite atteindre, puis l'ASN définit les moyens, en tant qu'autorité indépendante. Je pense qu'il faut faire attention à ne pas aller trop loin dans le texte législatif sur la définition des moyens, mais définir des objectifs qui peuvent ensuite être proposés par l'ASN.

S'agissant des relations avec la société civile, comme je l'ai dit, il me paraît absolument fondamental de les entretenir. Pour moi, ce n'est pas un sujet.

Pour ce qui est des difficultés opérationnelles de la fusion, vous communiquez des chiffres qui sont exacts, encore faut-il bien préciser le périmètre des missions. En tout cas, l'ordre de grandeur est exact. À l'heure actuelle, nous entretenons de bonnes relations. Comme le disait Jean-Christophe Niel lors de son audition, ce sont des relations techniques de haut niveau. Il n'y a pas de difficultés entre les experts techniques de l'IRSN et les experts techniques de l'ASN. Là encore, c'est un élément qui me semble favorable à réaliser une fusion, même si elle apparaît disproportionnée en nombre, car nous avons la même raison d'être et parce que nous travaillons depuis longtemps ensemble. Les équipes se connaissent bien, s'apprécient et ont de bonnes relations. Il ne faut pas le voir comme une difficulté. Nous nous connaissons bien et nous travaillons ensemble, et nous avons même la même raison d'être.

De plus, en comparaison avec nos homologues étrangers, le nouvel ensemble serait du même ordre de grandeur. 2 700 personnes travaillent à ces activités à la Nuclear Regulatory Commission (NRC), aux États-Unis, en incluant la recherche, qui reste intégrée dans le projet français. Vous l'avez souligné, madame la présidente. C'est une décision qui a été prise dans un deuxième temps par le Gouvernement et qui va dans le bon sens.

Il existe donc des points de vigilance. Les recommandations de l'Opecst doivent être intégralement reprises. Des objectifs doivent de surcroît être définis par le Parlement et nous devons avoir le choix des moyens, au niveau de l'ASN, en concertation, car nous rapportons nous-mêmes régulièrement à l'Opecst et au Parlement. Nous aurons toute la possibilité de rapporter ce que nous ferons, mais laissons à l'ASN le soin de définir et de proposer la manière de s'organiser, une fois que les objectifs ont été arrêtés dans la loi.

Je répondrai ensuite à la question de la corrosion sous contrainte, mais par souci de cohérence, je laisserai d'abord Olivier Gupta répondre à la question de la séparation entre l'expertise et la décision.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion