Intervention de Bernard Doroszczuk

Commission des affaires économiques — Réunion du 8 mars 2023 à 9h30
Audition de Mm. Bernard Doroszczuk président et olivier gupta directeur général de l'autorité de sûreté nucléaire asn

Bernard Doroszczuk, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) :

Merci pour ces questions, madame la présidente, monsieur le rapporteur et mesdames et messieurs les sénateurs. J'en reprendrai certaines et je laisserai Olivier Gupta répondre à d'autres. Tout d'abord, en ce qui concerne la reprise des préconisations de l'Opecst et leur déclinaison dans la loi, en les précisant le cas échéant : je l'ai dit, les six recommandations de l'Opecst me paraissent excellentes et je n'ai aucune appréhension. Elles sont formulées, me semble-t-il, en termes d'objectifs. Les reprendre sous la forme appropriée dans la loi ne me pose donc pas de difficultés. En revanche, il convient de veiller à ne pas aller au-delà et ajouter les modalités selon lesquelles ces objectifs seraient mis en oeuvre, au sein de la structure. Telle est ma préoccupation. C'est d'ailleurs logique par rapport au statut d'indépendance de l'ASN. À mon avis, c'est acceptable à partir du moment où il a été suggéré par l'Opecst qu'il y ait un certain nombre de rendez-vous, qui nous paraissent tout à fait logiques, tout au long de la mise en place de la réforme, pour qu'il y ait un échange sur la manière dont la nouvelle ASN répondra aux objectifs fixés par l'Opecst. Je n'ai donc aucune difficulté avec cela, tout en y prenant attention. Je ne souhaiterais pas que l'on définisse des obligations de moyens qui, ensuite, nous contraindraient, alors que nous n'avons même pas encore commencé à réfléchir à l'organisation. Cette organisation ne reposera pas sur une ASN actuelle étendue ou une IRSN étendue. Ce sera quelque chose de nouveau, qu'il va falloir inventer, dans le respect des principes définis. Laissons-nous des marges de manoeuvre avec, bien sûr, l'obligation de rapporter, d'expliquer et de présenter les propositions qui sont faites. Ne créons pas une IRSN à l'intérieur de l'ASN, avec les mêmes barrières et les mêmes organisations. Cela n'aurait pas de sens.

Je reviendrai ensuite sur la remarque du sénateur Daniel Salmon concernant la méthode de la réforme. Il ne m'appartient bien évidemment pas en tant que président d'une autorité indépendante du Gouvernement de commenter la méthode retenue par lui. Je ne ferai aucun commentaire là-dessus. En revanche, dans mon intervention liminaire, je crois avoir expliqué - si cette réforme arrivait à son terme - les conséquences positives qu'elle pourrait avoir sur le dispositif de contrôle, toujours dans un sens à la fois d'efficacité mais aussi de renforcement de la confiance.

Y aura-t-il des changements technologiques qui justifieraient qu'une approche différente soit mise en place ? Bien sûr. On a parlé des SMR. On parle aussi des réacteurs de quatrième génération et peut-être même de la fusion. Il y aura des évolutions technologiques évidentes, mais à l'échelle du nucléaire. Elles n'arriveront pas demain matin. Elles prendront du temps, raison de plus d'ailleurs pour faire la réforme et la mettre en oeuvre, avant que les nouvelles technologies soient des sujets qui se posent à nous, et qu'il faudra prendre en charge avec des compétences nouvelles à mettre en place.

Nous l'avons dit, les relations entre l'ASN et l'IRSN sont bonnes. Je ne pense pas que ça soit un argument pour ne pas mener de réforme. Ce n'est pas parce que les gens s'entendent bien que les choses doivent être laissées en l'état. C'est plus difficile de faire une réforme quand les gens s'entendent mal. En tout cas, certains éléments doivent être pris en compte.

Vous avez par ailleurs évoqué les nouveaux risques émergents, notamment la cybersécurité ou le réchauffement climatique. Ce sont effectivement des sujets d'anticipation, à très long terme. Comme je l'ai indiqué, la cybersécurité est rattachée à la sécurité des installations civiles. Je souhaite que l'expertise sur la sécurité et la sûreté des installations civiles soit maintenue au sein de la même entité. Ce n'est pas ce que prévoit le texte actuellement. D'autre part, s'agissant du réchauffement climatique, je me suis moi-même exprimé en début d'année, en disant que dans la perspective d'une relance nucléaire avec des poursuites d'exploitation du parc actuel, au-delà de cinquante voire soixante ans et la construction de nouveaux réacteurs, la pression sur l'ensemble du milieu naturel sera effectivement beaucoup plus importante. Il faut l'anticiper, y compris par des évolutions technologiques. Les systèmes actuels de refroidissement des centrales nucléaires consomment beaucoup d'eau et nécessitent des traitements sanitaires, notamment des traitements biocides sur les réacteurs équipés d'aéroréfrigérants. Dans une perspective de changement climatique, cette situation nécessite de se poser la question de la gestion des ressources en eau, qui est partagée avec d'autres acteurs, pas uniquement pour l'énergie. Il faut notamment s'interroger sur la localisation des nouvelles installations nucléaires ou sur la technologie développée. Tout cela prendra du temps, peut-être vingt ou trente ans, mais il faut se poser la question. Avoir une expertise et une recherche intégrées sur la sûreté et sur les sujets d'impacts environnementaux permettrait à la nouvelle ASN - si la décision était prise - d'avoir un véritable dialogue technique et un pouvoir d'influence vis-à-vis des exploitants.

Je vais répondre à madame la sénatrice Amel Gacquerre et laisserai Olivier Gupta répondre au sénateur Franck Montaugé. Je comprends votre question, mais il est très difficile d'y répondre. En premier lieu, la réforme n'est pas votée. Nous n'avons pas commencé les groupes de travail. Vous savez que la ministre nous a mandatés pour que nous fassions des propositions de méthodes, pour pouvoir mettre en place la réforme - si à nouveau elle était décidée. C'est ce que nous avons d'ailleurs fait, conjointement avec le directeur général de l'IRSN et avec l'administrateur général du CEA. Nous avons fait une proposition de méthode. Parmi ces éléments de méthode se trouvent tous les sujets liés aux besoins en compétences, en renforcement des ressources humaines et financières. Si la réforme était votée, la ministre nous a dit que ce point devrait être précisé, pour pouvoir être intégré à la discussion sur la loi de finances initiale pour 2024 (LFI 2024). Tel est notre calendrier. Dès que les signaux seront au vert - encore une fois, si la réforme était votée -, nous réfléchirions alors aux besoins, à la fois en compétences, en ressources humaines et en finances, pour pouvoir assurer l'accompagnement de l'ambitieux programme électronucléaire. Ce sera un autre rendez-vous avec vous, autour de la discussion sur la LFI 2024.

Je terminerai en répondant à la sénatrice Évelyne Renaud-Garabédian, sur les exemples étrangers. Je pense qu'il serait absolument fondamental dans la réflexion, si l'orientation donnée par le Gouvernement était maintenue, que nous nous inspirions des meilleures pratiques en matière de fonctionnement et d'organisation de nos homologues étrangers, qui comptent à la fois l'expertise, la recherche et la décision en leur sein. En tout cas, il ne s'agit pas de disposer de deux organisations juxtaposées et qui ne se parlent pas. Ce serait idiot, car ce n'est pas le cas actuellement. Il s'agirait bien de définir quelque chose de nouveau, qui soit le plus efficace possible et qui s'inspire des meilleures pratiques. À l'évidence, il faudra dans les comptes rendus et les retours qui nous sont demandés pour le Parlement aller plus avant dans la question que vous posez, pour expliquer aux Parlementaires la mission d'étude qui aurait été faite. Il nous faudra expliciter ce que nous proposons et expliquer comment cela se positionne par rapport aux meilleures pratiques étrangères. Pour l'heure, nous n'avons pas fait ce travail.

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