Expert public du risque radiologique et nucléaire, l'IRSN compte 1 700 salariés et couvre un large champ de compétences croisées. Ces compétences sont mobilisées pour assurer des missions de recherche, de surveillance et d'expertise, y compris en situation d'urgence. L'IRSN traite de l'ensemble des usages des rayonnements ionisants, des procédés industriels à leur application médicale, jusqu'aux effets de la radioactivité naturelle sur la santé et l'environnement.
Depuis vingt ans, l'IRSN remplit ces missions de manière rigoureuse, complète et intègre. Pour les accomplir, il fait appel aux compétences de ces experts et de ces chercheurs en continu, car la recherche et l'expertise sont imbriquées et portées, dans certains domaines, par les mêmes personnes.
La complémentarité de tous les champs couverts fait la force de l'Institut. La qualité de son travail est reconnue ; d'ailleurs, je comprends que cette réforme ne constitue pas une critique de son travail.
Je rappelle que l'appui technique de l'IRSN à l'ASN représente 25 % de notre activité. L'IRSN met son expertise au service de nombreuses autorités et opérateurs publics : direction générale de la santé (DGS), direction générale du travail (DGT), ministère des affaires étrangères, ministère de la transition écologique...
Aujourd'hui, le Gouvernement décide de faire évoluer l'organisation du contrôle de la sûreté nucléaire. Mon intervention s'inscrit dans cette logique et s'articule autour de trois points clés : la séparation entre l'expert et le décideur ; l'indispensable combinaison entre expertise et recherche ; et enfin, les enjeux de maintien des compétences afin de répondre aux rendez-vous qui nous attendent.
Je pense utile de rappeler les fondements de l'organisation actuelle de la sûreté nucléaire en France. L'accident de Tchernobyl, en 1986, a conduit à des réflexions sur les facteurs organisationnels des processus décisionnels et sur l'importance des arbitrages entre les préoccupations de sûreté et les autres préoccupations. Les réflexions issues des grandes crises à la fois médiatiques, politiques et sanitaires des années 1990 - sang contaminé, vache folle, etc. - ont progressivement conduit à modifier le système français de sûreté nucléaire et de radioprotection.
Ces évolutions ont abouti à la création en 2002 de l'IRSN et en 2006 de l'ASN. Au cours des années, cette organisation a légitimement été requestionnée plusieurs fois ; son efficacité a été démontrée et confirmée.
Le principe de séparation des fonctions d'évaluation et de gestion du risque est également au coeur du dispositif de sécurité sanitaire. Il me paraît incontournable, dans le nouveau système à venir, de maintenir une distinction claire entre expertise et décision, y compris dans une même organisation. C'est ainsi que fonctionne également l'autorité de sûreté nucléaire américaine - la Nuclear Regulatory Commission (NRC) -, souvent citée en exemple. Les règles sont très claires pour séparer les commissaires et les services qui préparent les décisions.
De même, le principe de publication des avis techniques devrait également être maintenu pour assurer la transparence du système et la bonne information du public ; in fine, cela contribue à la confiance dans le système de contrôle.
J'en viens à l'indispensable combinaison entre expertise et recherche. À la création de l'IRSN, le choix a été fait de rassembler ces deux domaines. Les compétences techniques reposent sur d'importants programmes de recherche, en lien avec des industriels français et des partenaires européens et internationaux. Les recherches expérimentales permettent de développer des codes de calcul indispensables à l'expertise ainsi qu'en situation de crise.
Dans son rapport provisoire d'évaluation de l'IRSN, le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) qualifie le modèle expertise-recherche de l'IRSN de « performant » et de « structurant » en comparaison des autres grands programmes et réseaux européens ; ce rapport date de dix jours.
Les avis de l'IRSN expriment un état de l'art des connaissances, et les programmes de recherche anticipent des problématiques nouvelles. Les activités d'expertise et de recherche sont souvent menées par les mêmes personnes, notamment dans le domaine de la protection contre les rayonnements ionisants.
Enfin, je serai vigilant sur le maintien des compétences. En réponse aux enjeux climatiques et énergétiques de souveraineté, la relance du nucléaire a été engagée. De nombreux dossiers d'expertise sont en cours, comme la prolongation des réacteurs en exploitation au-delà de 60 ans, ou encore l'examen de la demande d'autorisation de création du site de stockage souterrain Cigéo.
Cela entraîne une charge d'expertise importante, à laquelle l'IRSN se prépare depuis plusieurs années. L'Institut a organisé son travail en interaction avec l'ASN afin de rendre des avis dans des délais compatibles avec les échéances de prise de décision. L'IRSN a déjà montré sa capacité à être réactif et à anticiper ; ce fut le cas pour les évaluations de sûreté mises en oeuvre après l'accident de Fukushima ; ce fut également le cas, plus récemment, avec la prolongation de l'exploitation des réacteurs de 900 mégawatts (MW) au-delà de 40 ans, pour laquelle l'IRSN a rendu un avis de synthèse en plein confinement, en mars 2020.
Au-delà de la sûreté nucléaire, dans le domaine de la santé, l'évolution des technologies utilisant des rayonnements ionisants pour le diagnostic et pour la dimension thérapeutique nécessite une vigilance particulière, afin de s'assurer de la balance bénéfice-risque pour les patients et leur garantir un traitement sûr ; tel est aussi notre rôle.
La période qui s'annonce suscite de fortes inquiétudes chez les salariés de l'Institut. Dans un marché de l'emploi tendu, je serai vigilant afin de préserver l'attractivité de nos missions. Il s'agit d'éviter une perte de compétences en sûreté nucléaire et en radioprotection à court et moyen terme. Je souhaite également rappeler que la cadence et la charte d'expertise et de recherche pour les années à venir sont importantes. Les équipes de l'IRSN - je les remercie pour leur engagement - se sont organisées afin de répondre à ces enjeux et d'être à la hauteur de leur mission de service public.
En ma qualité de dirigeant de cet établissement public, je travaille - comme demandé par ma lettre de mission - à formuler des propositions de mise en oeuvre de la réforme. Des évolutions et des améliorations des organisations sont possibles dans le cadre de la politique nucléaire souhaitée par le Gouvernement. Néanmoins, il faut se donner le temps nécessaire pour tirer le meilleur parti des deux organisations qui font un travail de qualité au service des pouvoirs publics.
Pour répondre à votre question, il ne m'appartient pas de commenter la méthode utilisée par le Gouvernement. En revanche, je peux expliquer comment fonctionne l'IRSN. Par exemple, si l'on doit répondre à une saisine de l'ASN, on commence par identifier le contexte, c'est-à-dire l'état des lieux ; puis on s'intéresse au contour, au périmètre de notre analyse ; et enfin, on définit le contenu, soit l'analyse elle-même et les recommandations destinées à protéger les populations. Cette approche dite « diagnostic-pronostic », également utilisée en situation de crise, a convaincu un certain nombre de partenaires étrangers ainsi que l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).
Le risque de confusion entre l'expertise et le contrôle est un point fondamental. Dans tous les pays possédant des réacteurs nucléaires, il existe une autorité de sûreté ; c'est une exigence des conventions internationales. La sûreté nucléaire est une matière scientifique et technique. Ainsi, toutes les autorités de sûreté s'appuient sur des analyses, des expertises techniques et scientifiques ; c'est le rôle dévolu à ce que l'on appelle les technical safety organisations (TSO) - les organisations techniques de sûreté. Au niveau international, les modèles sont très variables, notamment concernant la manière dont l'autorité qui prend les décisions, réalise les inspections et la réglementation, est connectée à cet organisme technique et scientifique.
En France, comme dans d'autres pays - en Corée, en Chine ou en Belgique -, on fonctionne avec deux entités séparées. La NRC, de son côté, est un exemple de fonctionnement plus intégré. Néanmoins, les Américains ont aussi recours à une expertise technique extérieure, de l'ordre de 15 %.
Chaque pays définit son propre modèle de contrôle de la sûreté. Ce modèle n'existe pas hors sol. Aux États-Unis par exemple, on recense aujourd'hui 92 réacteurs, contre 56 en France, et on dénombre pas moins de 30 exploitants. On comprend, dès lors, que l'approche ne peut être la même qu'en France, où l'on fonctionne avec de gros opérateurs ayant de fortes capacités d'ingénierie et d'analyse.
La NRC est beaucoup plus normative que l'ASN, car, lorsqu'elle prend une décision contraignante pour un opérateur, celui-ci va vérifier si cette décision s'applique également aux voisins. En France, en attendant l'arrivée des petits réacteurs modulaires, les Small Modular Reactors (SMR), le fait de fonctionner aujourd'hui avec un seul opérateur est très structurant. Plusieurs modèles peuvent donc fonctionner, dont celui français qui ne pose pas problème, ainsi que l'a indiqué avant moi le président de l'ASN.
Dans les systèmes plus intégrés comme celui de la NRC, il y a ce que l'on appelle un air gap entre les services et les décideurs. La NRC compte aujourd'hui cinq commissaires, auxquels s'ajoutent une cinquantaine de personnes qui les aident à préparer. En Corée, l'Autorité de sûreté compte 160 personnes et s'appuie sur deux organismes : l'un chargé de l'aspect technique, proche de l'IRSN, et un autre dédié à la non-prolifération.
Dans tous les modèles, on observe une séparation entre l'expertise et la décision. Il est fondamental, à mes yeux, de préserver cela.
L'Opecst est à l'origine de la création du système de contrôle actuel. Il est important de rappeler que les processus sont longs. Le rapport de Jean-Yves Le Déaut, fondateur du système français de contrôle de sûreté nucléaire et de radioprotection, date de 1998. Le nucléaire est une discipline du temps long, y compris dans l'évolution des organisations.
L'IRSN présente chaque année son rapport d'activité à l'Opecst. Récemment, nous avons également été auditionnés sur les phénomènes de corrosion sous contrainte. Dans les recommandations de l'Opecst, je retiens trois grands principes : le maintien des compétences ; la séparation entre l'expertise et la décision ; et enfin, la transparence. L'IRSN ne peut qu'adhérer à ces principes qui font partie de son ADN.
L'Opecst a exprimé le besoin d'une analyse des forces et des faiblesses du système actuel ; l'IRSN est tout à fait ouvert à cette démarche. Je note également un commentaire sur le fait de tirer le meilleur parti des expériences étrangères avec des systèmes intégrés. Si ce travail se réalise, il serait judicieux de l'étendre à tous les systèmes. Un document de l'AIEA établit la liste des TSO, avec toutes les variétés de situations.
Aux États-Unis et au Japon, toutes les réunions des commissaires sont publiques, à l'exception de celles qui touchent à la sécurité ou à des sujets internes de management. Il s'agit d'observer les modèles dans leur globalité.
Dans cette période transitoire, l'enjeu est de ne pas dégrader notre fonctionnement. Ce matin même, j'ai reçu l'information que les membres d'une de nos équipes chargées des inondations ont tous été contactés par un laboratoire d'EDF. Les opérateurs vont chercher à recruter un certain nombre de personnes, et le risque de déstabilisation des équipes est réel.
Nous ne revendiquons pas le monopole de l'expertise. Concernant le risque nucléaire, il est bon pour la sûreté qu'une autorité et un expert technique regardent le sujet chacun de leur côté. Les sujets de gestion des risques se bonifient dans la confrontation des argumentations. Le fait d'avoir des experts autres, dans les domaines académique ou institutionnel, est également une bonne chose. En France, le système est centré sur de gros opérateurs et l'essentiel de la recherche nucléaire s'effectue au même endroit ; dans d'autres pays comme les États-Unis, les compétences sont davantage réparties, on peut trouver des universitaires qui travaillent sur des sujets techniques. Nous sommes donc favorables à la diversité de l'expertise. Concernant les experts non institutionnels, la question du financement se pose.
Nous sommes en phase avec la recommandation de l'Opecst de s'inscrire dans une vision plus large. Cette vision porte deux dimensions : la première concerne l'arrivée prochaine, à laquelle l'IRSN travaille depuis déjà dix ans, d'un certain nombre de modèles de réacteurs ; la seconde est relative à l'accroissement de la complexité en lien avec la recherche. Aujourd'hui, les opérateurs, pour gagner en efficacité, complexifient les démonstrations de sûreté. Dans la thermohydraulique par exemple, les opérateurs utilisent des codes de simulation en trois dimensions, ce qui n'était pas le cas il y a dix ans ; il a fallu que l'on s'adapte, développe de nouvelles méthodes et fasse de nouveaux calculs.