L'objet de la commission mixte paritaire est de trouver des accords entre parlementaires. Mais on constate, depuis quelques décennies, une évolution inquiétante de nos institutions : les commissions mixtes paritaires se jouent désormais sous la forte influence du Gouvernement ! C'est une rupture dangereuse avec l'ordre initial de la Ve République. Jusqu'en 1964, la commission mixte paritaire auditionnait les ministres. Désormais, certains passent des coups de fil pour prendre des consignes budgétaires ! Les parlementaires doivent au contraire travailler de façon autonome. La commission mixte paritaire n'est pas limitée dans le temps : rien ne nous oblige à aller très vite, d'autant que la saison des vacances au ski est terminée.
Ce texte budgétaire nous semble insincère pour au moins six raisons. Tout d'abord, on ne peut estimer les effets de cette réforme sur les recettes des caisses d'assurance vieillesse : il m'est donc difficile de préciser à quel degré j'y suis hostile.
Nous n'avons pas non plus idée des effets du texte en matière de dépenses. Nous ne connaissons pas vos prévisions s'agissant de la réaction des ménages, des entreprises et des collectivités face à une telle réforme : cela nous empêche d'estimer l'évolution des dépenses pour les futures cohortes.
Nous ne savons pas quel sera le prix du passage à quarante-trois annuités pour les carrières longues. Les chiffres entendus varient de 400 millions à 5 milliards d'euros, selon la station de radio écoutée et le ministre interrogé. Chacun conviendra que des estimations allant du simple au décuple ne sont pas satisfaisantes.
Quels seront les coûts annexes de la réforme pour la sécurité sociale ? Nous avons évoqué les coûts directs comme celui de la création d'un CDI fin de carrière - la version ripolinée du CDI senior -, qui obérera d'au moins 800 millions d'euros le budget de la branche famille. Mais le report de l'âge de départ à la retraite entraînera aussi d'autres frais, par exemple parce que les grands-parents n'assureront plus la garde des petits-enfants et que les familles se reporteront sur des prestations auxquelles elles n'avaient jusqu'à présent pas recours.
Par ailleurs, quels seront les coûts pour le budget de l'État ? Les dépenses de prestations versées aux chômeurs de longue durée ne sont pas estimées, non plus que les frais générés par l'accompagnement des seniors frappés par l'inactivité ou le chômage de longue durée. À Pôle emploi, par exemple, il faudra bien mettre des personnes derrière les guichets pour accueillir les chômeurs que vous créerez !
Enfin, quels seront les coûts pour les collectivités ? Les dépenses nouvelles supportées par les centres communaux d'action sociale et consécutives au recours accru aux dispositifs d'aide sociale existants ne sont pas budgétées.
Notre collègue Éric Woerth a évoqué la réforme de 2010, qui est un bon exemple. Nous pouvons l'évaluer avec un certain recul puisqu'elle date de treize ans et que des études ont été réalisées sur les cohortes. Qu'est-il advenu des travailleurs frappés en 2010 par le report de deux ans de l'âge légal de départ à la retraite ? On sait que 40 % sont demeurés dans l'emploi et que 60 % en sont sortis. Parmi ces derniers, 30 % sont devenus chômeurs, 10 % étaient en invalidité ou en handicap, 10 % en inactivité et 10 % en maladie professionnelle ou chronique.
Nous discutons d'un texte inefficace, insincère et coûteux - même si on ne sait pas s'il coûtera cher ou très cher -, dans le cadre d'une commission mixte paritaire qui tourne le dos à l'ordre constitutionnel voulant que les parlementaires contrôlent le Gouvernement, et non l'inverse. Donnons-nous le temps de discuter de ce texte, ligne par ligne, et de débattre du fond ! Même si nous sommes à huis clos - vous le répétez avec une insistance étonnante -, nous avons besoin d'entendre vos explications pour le grand public. Nous sommes tous des représentants du peuple auquel nous devons rendre des comptes quant à nos votes.