La philosophie du Sénat, depuis quatre ans, n'a pas varié : un système par répartition ne peut être financé ni par l'impôt, ni par la dette, mais par les cotisations. Lorsque ce système est en déficit, il paraît naturel de demander un effort pour augmenter ces cotisations. La difficulté, c'est de répartir cet effort. Le Sénat a toujours dit que le système de retraites repose sur deux piliers : la durée de cotisation, qui protège ceux qui commencent tôt, et la borne de l'âge, qui protège ceux qui commencent tard. Quand on joue sur les deux leviers, on répartit l'effort collectif.
Dans la mesure où l'on demande un effort collectif, il faut prendre des mesures de justice sociale, notamment en faveur de ceux qui ont été usés par le travail. Le Sénat a ainsi introduit, en concertation avec les députés, un dispositif complémentaire qui avait été proposé par le Gouvernement : une retraite anticipée dès 60 ans pour ceux qui ont un taux d'incapacité de plus de 20 %.
Il nous a également paru important de prendre en compte la famille. Par définition, la répartition nécessite un équilibre démographique : si la durée des retraites est de plus en plus longue, il faut des naissances pour les financer. C'est pourquoi nous avons pris en compte la situation des mères de famille, aux carrières hachées. C'est un marqueur de notre mouvement politique. C'est pourquoi nous avons proposé la surcote et l'extension de la majoration pour enfants aux professions libérales et aux avocats. Nous avons également introduit une pension de réversion pour les orphelins. Nous nous sommes, en outre, attachés aux mesures de lutte contre la fraude.
Il y a eu une répartition des tâches entre l'Assemblée nationale et le Sénat : les mesures de justice sociale pour le Sénat, les carrières longues pour l'Assemblée nationale.
J'ai critiqué le dispositif « carrières longues » et je l'assume. D'abord, mettre quarante-trois ans de cotisation pour tout le monde, ce n'est plus reconnaître une carrière longue. Ensuite, le dispositif est illisible compte tenu de la multiplicité des critères : avoir cotisé quatre ou cinq trimestres avant la fin de vos 20 ans ; le nombre de trimestres cotisés et la borne d'âge. Le principe du dispositif « carrières longues », c'est que la collectivité assure une durée de retraite anticipée aux gens qui ont une moindre espérance de vie, compte tenu de l'usure. Il faut donc que le dispositif soit ciblé et c'est pourquoi il y a énormément de dérogations. En réalité, seules six personnes sur dix partiront à 64 ans ; quatre personnes sur dix bénéficieront d'un dispositif dérogatoire et resteront dans le droit actuel avec un âge de départ légal à 62 ans et une possibilité de départ anticipé à 55 ans : les personnes handicapées, les personnes souffrant d'une incapacité permanente ou d'inaptitude.
Le système « carrières longues » proposé par l'Assemblée nationale me paraît donc illisible et inégalitaire. Mais je n'ai pas été capable de proposer un contre-système. J'invite le Gouvernement à y réfléchir parce que les gens risquent de ne pas s'y retrouver : selon qu'on est né en début ou en fin d'année, on n'est pas dans la même borne d'âge...
À l'Assemblée nationale, diverses propositions ont été faites : ouverture de la carrière longue dès un trimestre travaillé avant tel âge - mais un emploi d'été pendant un trimestre ne peut pas ouvrir des droits au dispositif « carrières longues » ; prise en considération de la durée de cotisation, de quarante-trois ou quarante-quatre ans, sans borne d'âge - mais avec un coût de 9 milliards d'euros, ce n'est pas possible. Je suis de l'avis d'Olivier Marleix et d'autres : il fallait cibler les gens qui ont commencé très tôt et qui ont cotisé quarante-trois ans.
Je rappelle, pour les formations de gauche, que c'est l'application de la réforme Touraine qui fait que les gens qui ont commencé à travailler à 16 ans devaient cotiser quarante-cinq ans. Cela méritait d'être corrigé ! Lorsque les gens partent avec une décote, le niveau des pensions baisse de 300 euros en moyenne. Avec le recul de l'âge de départ, les gens partent sans décote et les pensions augmentent. Et nous voulons faire en sorte que les retraités ne soient plus pauvres. Le décalage, impopulaire, de la borne d'âge permet de garantir le niveau de vie de nos retraités. On parle beaucoup du rapport du COR, mais on oublie toujours de dire que le déficit s'accompagnerait d'une baisse du niveau de vie moyen relatif des retraités.
Nous n'avons pas touché aux critères du compte professionnel de prévention parce qu'il ne faut pas les modifier sans arrêt. Nous avons débattu de l'opportunité de réintroduire l'exposition aux produits chimiques pour conclure que ce n'était pas le meilleur moyen. Je me suis rallié à ce qu'avait proposé l'Assemblée nationale. Comme nous n'avons pas obtenu de financement supplémentaire pour le fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle, je me suis dit qu'il valait mieux cibler en priorité les troubles ergonomiques, qui représentent 80 % à 82 % des maladies professionnelles.
J'en viens à l'employabilité des seniors : c'est ce qui fera la réussite de la réforme. Nous avons réfléchi à une stratégie « 1 senior, 1 solution », sur le modèle du plan « 1 jeune, 1 solution » qui a bien fonctionné. Pour les seniors au chômage, nous proposons un nouveau type de contrat à durée indéterminée : l'équivalent d'un contrat de chantier utilisé, par exemple, pour la construction d'un collège, qui prend cinq à dix ans. Ce contrat courra jusqu'à la fin de carrière du salarié. Ce peut être l'âge de départ à taux plein ou l'âge d'annulation de la décote, à 67 ans, mais pas 70 ans, ce qui, dans le secteur privé, constitue actuellement un frein à l'emploi - quand on embauche un senior à 60 ans, on est tenu de le garder jusqu'à 70 ans.
Ce CDI particulier, il a fallu le recadrer parce que son coût avait d'abord été estimé à 800 millions d'euros, du fait d'une incompréhension. Nous avons prévu une exonération pour la branche famille car nous ne pouvions pas le faire au titre de la branche chômage - cela ne relève pas d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale. Pour éviter l'effet d'aubaine - argument auquel je me suis rallié -, cette exonération sera contingentée. Et puis, nous avons associé les partenaires sociaux : en accord avec la rapporteure de l'Assemblée nationale, l'emploi des seniors de longue durée fera l'objet d'un accord national interprofessionnel. C'est une belle avancée.
Nous n'avons pas inventé ce dispositif ; il était proposé par plusieurs formations syndicales, salariées et patronales. L'exonération pour la branche famille est estimée à 100 millions d'euros. Comme on embauche des gens qui étaient au chômage et que le taux de charge était de 40 %, il y a 3 % à 5 % de cotisations famille en dépense, mais 35 % à 37 % en recettes, notamment sur la branche vieillesse.
Il faut tout faire pour éviter que les seniors se retrouvent au chômage. C'est pourquoi nous nous sommes ralliés à la mesure proposée par l'Assemblée nationale de porter de 20 % à 30 % le forfait social payé par l'entreprise en cas de rupture conventionnelle. Il s'agit d'éviter les ruptures conventionnelles qui ont tendance à intervenir lorsque le salarié atteint 59 ans, trois ans avant l'âge légal de départ à la retraite. On mérite mieux, au terme de sa carrière, que le chômage. Pour les seniors en entreprise, une mesure vous a peut-être échappé : le plafonnement du compte professionnel de prévention avant 60 ans, pour réserver l'activité partielle rémunérée à temps plein à la fin de carrière aux gens usés.