Monsieur le Président, mes chers collègues, le 18 octobre dernier, la Commission européenne a présenté son programme de travail pour 2023, intitulé « Une Union qui montre sa fermeté et son unité ». Ce programme de travail est ambitieux. Souhaitons que toutes ses initiatives puissent voir effectivement le jour car la période utile pour faire adopter l'ensemble des textes européens en attente est désormais très brève du fait des élections européennes.
Naturellement, ce programme de travail tire les conséquences du renouvellement des incertitudes géostratégiques, au premier rang desquelles le retour de la guerre sur le territoire européen à la suite de l'agression russe en Ukraine. Cette réponse était nécessaire. Mais veillons, mes chers collègues, à ce qu'elle n'occulte pas les efforts de long terme entrepris pour assurer l'avenir du continent européen. Je veux citer, par exemple, la mise en oeuvre du pacte vert, la nouvelle politique industrielle ou encore la reconnaissance de l'économie sociale.
Quelques mots sur le programme de travail pour 2022, au sujet duquel nous avons adopté un avis politique, le 3 février de la même année. Composé de 32 nouvelles actions, il était marqué par la mise en oeuvre de l'agenda climatique, mais aussi par la présentation d'une législation sur les semi-conducteurs, par la proposition de mise en place d'un revenu minimum au sein de l'Union européenne, par la relance des ambitions spatiales européennes, ou encore par l'actualisation des règles de l'espace Schengen.
Cependant, comme l'a rappelé la Commission européenne dans sa réponse à notre avis politique, « l'agression illégale de la Russie contre l'Ukraine le 24 février n'était pas prévisible au moment de l'adoption du programme de travail de cette année, mais elle sera désormais un point essentiel de l'action politique de l'Union dans de nombreux domaines », visant en particulier la défense, l'énergie et le numérique.
Au niveau des procédures et de la transparence de ce programme 2022, notons que la Commission européenne a insisté sur la création d'une plateforme permettant à chacun de « donner son avis » sur la mise en oeuvre des initiatives indiquées dans son programme de travail. En revanche, elle a confirmé que les analyses d'impact concernaient uniquement les « initiatives ayant des incidences importantes », importance qu'elle évalue selon ses propres critères. Cela n'est pas satisfaisant et cela nous conduira, mes chers collègues, à demander de nouveau l'établissement d'une analyse d'impact pour chaque projet de texte législatif.
Par la suite, la Commission européenne a présenté, le 29 juin dernier, son troisième rapport de prospective stratégique. Ce rapport est important car, sur la base d'un recensement des nouveaux défis, il constate que les transitions écologique et numérique peuvent être contradictoires, à l'exemple de l'augmentation des déchets électroniques et de la consommation d'énergie engendrée par une utilisation accrue du numérique. Afin de garantir la pérennité des choix stratégiques de l'Union européenne, leur « couplage », c'est-à-dire leur articulation, doit donc être une priorité du programme de la Commission pour cette année.
Dans cette perspective, le rapport recense dix domaines d'action (transports ; bâtiments ; agriculture...) pour lesquels ce couplage apparaît nécessaire. Sur la base de ce constat et du concept central de « résilience », la Commission européenne propose d'évaluer et d'assurer le suivi, au-delà d'une simple mesure en termes de produit intérieur brut (PIB), des effets favorables de la transition numérique et de son empreinte carbone, énergétique et environnementale, globale. Cette démarche de la Commission européenne apparaît comme une prise de conscience bienvenue qu'il faut saluer. Néanmoins, il lui reste à mener un travail de fond sur les moyens de répondre efficacement à ces enjeux car les premières pistes d'action évoquées - comme la numérisation de l'énergie, le verdissement des transports et l'écologisation des bâtiments...- sont seulement esquissées, sans étude d'impact et sans plan d'action concret.
J'en viens aux grandes lignes du programme de travail de la Commission européenne pour 2023. Il est introduit par ces mots de sa présidente, Mme Ursula von der Leyen, lors de son discours sur l'état de l'Union, le 14 septembre dernier: « Le continent tout entier s'est dressé dans un élan de solidarité... Les Européens n'ont ni reculé, ni hésité. »
En 2023, l'objectif du programme de la Commission est triple : d'abord, renforcer la capacité de l'Union européenne à « faire face à l'ensemble des crises qui affectent la vie quotidienne des Européens », mais aussi « accélérer la double transition écologique et numérique » et enfin, « rendre l'Union européenne plus résiliente ». Ainsi, la Commission européenne souhaite stimuler la compétitivité européenne et a d'ailleurs consacré 2023 comme « Année européenne des compétences ».
Le programme de travail comporte 43 nouvelles actions, contre 32 en 2022, toujours réparties selon les six grandes ambitions définies initialement dans les orientations politiques de la Commission von der Leyen : « un pacte vert pour l'Europe » (9 actions) ; « une Europe adaptée à l'ère du numérique » (10 actions) ; « une économie au service des personnes » (10 actions) ; « une Europe plus forte sur la scène internationale » (4 actions) ; « la promotion de notre mode de vie européen » (7 actions) et « un nouvel élan pour la démocratie européenne » (3 actions).
Au total, ces 43 nouvelles actions devraient se décliner à travers 54 initiatives, selon un calendrier prévisionnel établi de façon trimestrielle - la Commission européenne prenant bien soin de préciser que ces informations restent indicatives. Le nombre total d'initiatives prévues en 2023 est en nette augmentation par rapport à celui de 2022 (qui était de 42), tout comme celui des initiatives législatives, qui passent de 24 en 2022 à 32 en 2023. Les initiatives non législatives augmentent à la marge, s'élevant à 15 en 2022 et à 16 en 2023. Précisons enfin que le statut (législatif ou non législatif) de 6 initiatives n'a pas été tranché. Le président Rapin détaillera le contenu de ces initiatives. Je veux néanmoins souligner l'importance de la réforme attendue du marché de l'électricité et insister sur les avancées du pacte vert.
Le programme de travail présente également les révisions, évaluations et bilans de qualité auxquels la Commission européenne envisage de procéder en 2023, au titre du programme REFIT de simplification. Nous pouvons noter que seules 8 initiatives doivent être réexaminées dans ce cadre, contre 26 en 2022 et 41 en 2020, alors même que 116 textes - datant parfois de 2008 ! - attendent toujours leur éventuelle adoption. Parmi ces 8 initiatives en réexamen, il y a la révision du règlement REACH, relatif à l'évaluation et à l'autorisation des substances chimiques, qui a suscité l'inquiétude de notre commission pour les huiles essentielles de lavande et les filières du patrimoine utilisant le plomb. On peut aussi mentionner la révision du cadre réglementaire applicable aux droits des passagers et celle de la stratégie pharmaceutique européenne.
Comme je viens de le souligner, la Commission européenne dresse également la liste des 116 textes présentés parfois il y a plusieurs années, et qui sont toujours en attente d'adoption par le législateur européen malgré leur caractère prioritaire. Pour rappel, il y en avait 76 en 2022 et 50 en 2021. Si l'évolution à la hausse du stock de propositions en attente d'adoption est normale à ce stade du mandat de la Commission européenne, on peut néanmoins en conclure qu'il va falloir faire des choix. Ces textes en attente d'adoption concernent principalement le rétablissement de l'autonomie de l'Union européenne dans des domaines clefs (instrument d'urgence pour le marché intérieur ; règlement semi-conducteurs), la transition numérique (identité numérique ; intelligence artificielle ; cybersécurité...) ou encore le Nouveau pacte pour la migration et l'asile (règlement filtrage ; règlement Eurodac ; déclinaison réglementaire de la déclaration de solidarité...), sujets dont les négociations sont difficiles.
Enfin, le programme de travail prévoit le retrait d'une proposition législative modifiant le règlement (CE) n° 715/2007 relatif à la réception des véhicules à moteur au regard des émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers, retrait qui s'explique par un arrêt de la CJUE du 13 janvier 2022 qui a rendu ce texte caduc.
L'abrogation d'une directive de 1989 relative à la limitation des émissions sonores des avions à réaction subsoniques civils est également prévue. En effet, ce texte est désormais redondant avec une autre directive de 2006, qui fixe un cadre réglementaire à la fois plus large et plus strict concernant l'exploitation des avions.
Dans ce contexte, le faible nombre de retraits (un seul) et d'abrogations (une seule) de textes déjà présentés constitue une autre évolution notable contrastant avec les années précédentes. En effet, en 2021 et en 2022, la Commission européenne avait prévu respectivement 32 retraits et 6 abrogations. Il est difficile d'en tirer des conclusions.
Signalons enfin que, sur la base de ce programme de travail, dans une déclaration conjointe en date du 15 décembre 2022, la Commission, le Conseil et le Parlement européen ont confirmé que 164 propositions étaient prioritaires (sur 178 au total: 54 nouvelles, 8 en réexamen et 116 en attente d'adoption).
Sur le fondement de ce panorama général, le Président Rapin va vous présenter les projets de résolution européenne et d'avis politique que nous vous proposons d'adopter sur ce programme de travail ; ils vous ont été soumis en amont et nous les souhaitons consensuels. Je précise simplement que la rédaction de ces textes est une co-production et, notamment, que l'alinéa relatif à la PAC se contente de tirer les conséquences des positions adoptées récemment par notre commission sur ce sujet.
Comme je le disais en introduction, le défi majeur, pour la Commission européenne et pour les co-législateurs, est désormais de tenir parole en adoptant ces textes considérés comme majeurs avant le début de l'année 2024. Car, au-delà, nous entrerons dans la période de campagne électorale des élections européennes et il sera trop tard pour légiférer. L'Europe a donc du « pain sur la planche » en cette année 2023 !
Je vous remercie et je passe la parole à Jean-François Rapin.