Mes chers collègues, après la présentation générale de notre collègue Didier Marie, je voudrais vous présenter le contenu du programme de travail de la Commission européenne pour 2023.
Ce programme de travail est marqué par le retour de la guerre sur le continent européen, mais aussi par les bouleversements profonds qu'impliquent pour nos concitoyens les ambitions européennes climatiques et numériques.
Il en résulte un approfondissement des politiques européennes, généralement à bon escient, mais ces politiques peuvent aussi parfois devenir très intrusives - je pense à la marchandisation des données personnelles - ou contraignantes - citons à cet égard la fin programmée des moteurs thermiques.
Dans ce contexte, il faut se féliciter de notre dialogue au long cours avec la Commission européenne, qui se cristallise en particulier chaque année autour de l'examen de son programme de travail.
Forts de notre légitimité de parlementaires nationaux, en contact direct avec les attentes de nos concitoyens, il nous revient d'alerter le collège des commissaires sur les effets - positifs ou négatifs - de leurs nombreuses initiatives, comme nous l'avons fait concernant la lavande ou les métiers du patrimoine menacés par la révision du règlement REACH, mais aussi, en cas de difficulté, de leur faire des propositions plus adaptées aux réalités. À cet égard, l'instauration d'un « carton vert », qui permettrait aux parlements nationaux de proposer des initiatives législatives européennes, serait très pertinente. J'en ai personnellement soutenu la nécessité, à la fois dans le cadre de la Conférence sur l'avenir de l'Europe où je représentais le Sénat avec Gisèle Jourda, et dans le cadre du groupe de travail COSAC que j'ai mené durant notre présidence européenne au premier semestre 2022.
En attendant, avec Didier Marie, nous avons rassemblé nos observations sur les initiatives les plus importantes de ce programme de travail dans une proposition de résolution européenne (PPRE), qui sera adressée au Gouvernement français, et dans un avis politique, à la rédaction quasiment identique, destiné à la Commission européenne.
Dans ces textes, nous demandons d'abord à la Commission européenne d'améliorer sa programmation des travaux : d'une part, en actualisant ses grands objectifs - car ceux qu'elle a définis en 2019 au début de son mandat ne recouvrent plus la réalité ; mais également, d'autre part, en préconisant que ce programme mentionne désormais les actes d'exécution et les actes délégués que la Commission européenne compte prendre dans l'année à venir. Comme vous le savez, ces actes constituent en effet un « angle mort » dans notre fonction de contrôle des textes européens.
Nous insistons aussi sur la nécessité de présenter chaque initiative législative avec une analyse d'impact car sans elle, il est impossible d'évaluer la nécessité et la pertinence d'une réforme. En outre, nous rappelons l'attachement du Sénat au multilinguisme ainsi qu'à la place de Strasbourg comme siège de la démocratie européenne.
Pour donner un nouvel élan à la démocratie européenne, l'une des six grandes ambitions fixées, le programme de travail prévoit un « train de mesures pour défendre la démocratie » et la mise à jour du cadre législatif anticorruption dans les États membres. Nous vous proposons de soutenir ces actions mais nous demandons assez logiquement, au vu de la dernière actualité, que le paquet de mesures anticorruption concerne également le fonctionnement des institutions européennes, afin qu'elles aussi respectent l'État de droit. Nous appuyons la nécessité de protéger les journalistes mais nous exprimons de nouveau nos interrogations sur la valeur ajoutée du texte dit « liberté des médias » et sa conformité au principe de subsidiarité, qui ont déjà été exprimées dans notre résolution européenne portant avis motivé, adoptée le 8 décembre dernier. Cette dernière démontrait que la liberté de la presse en France pourrait paradoxalement être fragilisée par cette réforme. Enfin, nous vous proposons de soutenir les efforts pour conforter l'égalité hommes/femmes, en particulier le projet de directive sur l'égalité de rémunération.
Au titre du pacte vert pour l'Europe, nous considérons que la priorité de la Commission européenne doit être la révision des règles défaillantes du marché européen de l'électricité pour garantir des prix de l'électricité abordables, pour les consommateurs comme pour les entreprises. Et nous relevons l'intérêt d'initiatives importantes sur la réduction des déchets (alimentaires et textiles) et sur la protection des sols, cette dernière étant demandée de longue date par nos collègues Gisèle Jourda et Cyril Pellevat.
Nous souhaitons aussi rappeler notre soutien à l'adoption du paquet gazier, afin de contribuer au développement de l'hydrogène, et demandons la prise en considération des exigences de l'autonomie alimentaire de l'Union européenne dans les objectifs de la PAC. En outre, nous demandons un soutien à la pêche artisanale européenne et à la préservation des fonds marins.
Au titre des objectifs de l'Europe du marché intérieur, les textes que nous vous soumettons saluent l'amélioration des modalités de négociation des accords commerciaux par la Commission européenne mais sollicitent la mise en oeuvre d'une nouvelle politique industrielle européenne pour répondre à l'adoption de l'Inflation Reduction Act (IRA) américain. Nous en débattrons cet après-midi dans l'hémicycle. Dans son programme de travail, la Commission européenne prévoit des mesures destinées à rétablir l'autonomie de l'Union européenne dans certains domaines clefs, comme la sécurisation de l'approvisionnement et du recyclage des matières premières critiques. Dans la même logique, nous souhaitons l'adoption rapide de l'instrument d'urgence pour le marché intérieur et du règlement sur les « semi-conducteurs ».
Ces objectifs sont en lien avec celui d'une Europe adaptée à l'ère du numérique, au titre de laquelle le programme de travail présente des projets d'encadrement juridique des « métavers », de révision du spectre radio-électrique et de lutte contre le piratage sur Internet. Nous préconisons en outre l'adoption du règlement sur les données (ou « Data act ») et de la directive sur les conditions de travail des travailleurs des plateformes, ce dernier texte ayant déjà fait l'objet d'une résolution européenne devenue définitive le 14 novembre dernier, adoptée sur le rapport de nos collègues Pascale Gruny et Laurence Harribey. Nous souhaitons aussi souligner la valeur ajoutée du nouveau cadre juridique sur l'intelligence artificielle (IA), au sujet duquel nous allons entendre nos collègues Catherine Morin-Desailly, André Gattolin Elsa Schalck et Cyril Pellevat prochainement.
Nous soulignons aussi de nouveau notre attachement à une meilleure prise en considération des territoires ruraux mais aussi des régions ultrapériphériques (RUP) des pays et territoires d'Outre-mer (PTOM) dans l'ensemble des politiques européennes.
Enfin, au titre du volet santé du marché intérieur, nous demandons la présentation de la stratégie pharmaceutique européenne, qui n'a que trop tardé, et l'instauration d'une approche européenne globale de la santé mentale.
Concernant l'économie au service des personnes et l'Europe sociale, les initiatives annoncées par la Commission européenne sont d'importance inégale. On peut mentionner la création de l'euro numérique, dont nous prenons acte avec prudence, et la reconnaissance de l'économie sociale au niveau européen, chère à notre collègue Florence Blatrix Contat.
Nous considérons par ailleurs que la France doit être très vigilante lors du réexamen à mi-parcours du Cadre financier pluriannuel (CFP), afin que cette « revoyure » ne soit pas synonyme de diminution des fonds européens pour nos agriculteurs et nos collectivités territoriales en particulier. Nous alertons aussi l'Union européenne sur l'urgence, pour elle, de se doter de nouvelles ressources propres afin de financer ses dépenses. En particulier si elle souhaite mettre en place un Fonds de souveraineté européen. Ce dernier, en effet, ne saurait être financé par un nouvel emprunt. Il en va de notre responsabilité pour les générations futures.
Dans ce cadre, nous demandons également l'achèvement des négociations européennes en cours sur l'instauration d'un devoir de vigilance des entreprises et l'interdiction des produits issus du travail forcé, au sujet desquelles nos collègues Didier Marie, Jacques Fernique et Christine Lavarde sont attentifs. Nous regrettons aussi l'absence de mise en place d'un système de garantie unique des dépôts, qui permettrait pourtant l'achèvement de l'union bancaire.
Au titre de l'Europe plus forte sur la scène internationale, de l'Europe de la défense et de l'Europe spatiale, le programme de travail de la Commission européenne insiste sur trois points, au premier rang desquels le renforcement de la sécurité et de la défense spatiales, la sûreté maritime et l'approfondissement des relations avec l'Amérique latine et les Caraïbes.
Les projets qui vous sont soumis encouragent en outre les initiatives industrielles européennes en matière de défense. Ils marquent un soutien pragmatique à l'ancrage européen de l'Ukraine, de la Moldavie et des pays des Balkans occidentaux. Et ils recommandent de nouvelles initiatives fortes de l'Union européenne en Méditerranée.
Enfin, concernant l'Espace de liberté, de sécurité et de justice, le programme de travail de la Commission européenne prévoit une refonte des règles européennes sur l'immigration légale, mais aussi la dématérialisation à venir des documents de voyage et une actualisation du cadre législatif européen relatif à la lutte contre les abus sexuels sur les enfants. Cette actualisation comprend, à la fois, la proposition de règlement que nous examinerons très prochainement en commission, sur le rapport de nos collègues Catherine Morin-Desailly, Ludovic Haye et André Reichardt, mais aussi une refonte de la directive de 2011 qui définit les sanctions contre les auteurs d'abus sexuels, qui doit être présentée avant l'été.
En complément, nous vous proposons d'apporter un soutien au Parquet européen. Nous demandons l'adoption définitive du Nouveau Pacte sur la migration et l'asile avant la fin du mandat de la Commission Von der Leyen. Je sais que nos collègues André Reichardt et Jean-Yves Leconte restent vigilants sur ce dossier. Cette adoption constitue un enjeu majeur pour la crédibilité des institutions européennes. Nous rappelons également notre souhait que soit mis en place un contrôle parlementaire conjoint de l'agence de garde-frontières et de garde-côtes Frontex qui associerait le Parlement européen et les parlements nationaux des États membres. Au sujet de Frontex, je vous rappelle, mes chers collègues, que nous examinerons ce soir en séance publique, la proposition de résolution européenne que notre commission a adoptée le 14 décembre dernier.
Au final, la Commission européenne présente un programme de travail très riche, peut-être trop, qui va occuper la fin de son mandat. Comme le disait Didier Marie, il faut espérer que toutes les propositions qui contribuent à rétablir notre autonomie stratégique pourront entrer en vigueur rapidement. Car, dans le cadre des tensions actuelles, l'Union européenne est de nouveau contrainte de démontrer sa pertinence et sa valeur ajoutée.
Je vous remercie. Nous ouvrons ces questions au débat.