Intervention de Victorin Lurel

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 2 mars 2023 : 1ère réunion
Foncier agricole dans les outre-mer — Audition de la fédération nationale des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural fnsafer

Photo de Victorin LurelVictorin Lurel :

Merci pour votre présence et vos précieuses informations. Pour la bonne forme, j'informe mes collègues que j'ai jadis été directeur de Chambre d'agriculture et que j'ai créé plusieurs des 38 GFA de Guadeloupe, dont le premier.

Mes questions seront franches. J'espère qu'elles ne vous heurteront pas.

La première porte sur l'utilité des Safer aujourd'hui face aux EPF. L'indépendance des Safer justifie-t-elle l'introduction d'une taxe de même nature que celle des EPF ? Comme vous l'avez dit, une dépendance des Safer à l'égard des collectivités locales s'est instaurée. On peut imaginer les conséquences en matière d'indépendance, de préemption, de notification, de moyens, etc.

Vous avez évoqué le rôle de régulation des Safer. Or, selon les chiffres que vous nous avez communiqués, seules 14 préemptions ont été proposées sur les 1 104 notifications de 2019. En 2018, le prix moyen à l'hectare s'élevait à 238 000 euros. Aujourd'hui, il s'est réduit à 141 642 euros sur un marché très restreint. Dans ce contexte, régulez-vous réellement les prix ? Quelles préemptions avez-vous effectivement réalisées ? Disposez-vous des moyens nécessaires pour les assumer ?

Je m'interroge ensuite sur la nature juridique des Safer. Combien de Safer disposent-elles de présidents ? Comment la gouvernance est-elle assurée ? Certains rapports ont remis en question la gestion de Safer, leur efficacité et leur coût. Ce type d'instrument est-il aujourd'hui nécessaire à la régulation du foncier ? Convient-il de leur donner des moyens supplémentaires ? Selon quelles modalités ?

Concernant vos perspectives, je pense que les cultures traditionnelles de la banane et de la canne à sucre disparaîtront à plus ou moins long terme, faute de compétitivité. Dans ce contexte, quel est aujourd'hui le bilan de la troisième réforme foncière ? Sur les 12 000 hectares achetés par l'État dans le cadre du Plan Mauroy, 7 500 à 8 000 hectares ont été distribués. Que fait-on des 1 700 hectares restants aujourd'hui sur le solde de 4 000 à 4 500 ? Certaines solutions innovantes sont certes mises en oeuvre. Certains terrains sont vendus, apparemment pour l'artificialisation, mais à quel prix ? La possession d'un stock vous permettrait peut-être de réguler à la fois le prix du foncier et celui de l'urbanisable.

Par ailleurs, quelle est l'articulation entre la loi SRU et la CDPENAF ? La loi SRU contraint les collectivités à disposer de logements sociaux. Elles sont pénalisées financièrement lorsqu'elles n'atteignent pas les objectifs fixés en la matière. Or, elles disposent par ailleurs d'une « surface agricole utile » qu'elles ne peuvent plus déclasser. En effet, un avis conforme de la CDPENAF est exigé, alors que seul un avis simple est demandé en métropole. Comment vivez-vous cette contradiction entre les obligations de mettre des terrains à disposition pour construire des logements sociaux et les objectifs de préservation d'un foncier agricole de bonne qualité ?

Concernant la réforme foncière elle-même, quelle est la situation aujourd'hui alors que 60 % des parts sont détenues par la société d'épargne foncière agricole de la Guadeloupe (SEFAG) et 40 % par les GFA ? Tout d'abord, près de 10 millions d'euros de créances sont impayés. Ensuite, la mise en propriété collective de 8 000 hectares via les GFA partait d'une bonne idée. La surface moyenne des exploitations se situait entre dix et quinze hectares. Elle devait être consacrée à la canne à sucre à hauteur de 60 %, le reste à la diversification, végétale et animale. Or, aujourd'hui, beaucoup d'agriculteurs ne paient pas leur loyer, n'exploitent plus et sous-louent à des travailleurs étrangers, généralement haïtiens. Aussi, ne faut-il pas repenser cette réforme foncière ? Les Safer en ont-elles les moyens ? À mon sens, une mise à plat se révèle nécessaire. Les mêmes considérations s'appliquent à l'EPF. Tôt ou tard, il sera confronté à des difficultés financières. En effet, les collectivités ne peuvent pas rembourser. Les EPF sont victimes de leur succès et d'un manque d'anticipation.

J'aurais bien d'autres questions sur l'orientation agricole, les PLU et l'absence d'agence d'urbanisme dans les collectivités, le temps nécessaire pour modifier ou geler le foncier, etc. Par ailleurs, le réalisme conduit à viser une certaine autonomie alimentaire plutôt que l'autosuffisance. L'État a fixé pour 2030 des objectifs inatteignables en matière de ZAN. Une réflexion pragmatique s'impose. Les outils doivent être revus, tout comme la CDPENAF. En effet, les demandes de déclassement émanent des agriculteurs eux-mêmes, d'autant plus que le principe de non-compensation, imposé par le Conseil d'État, s'avère impraticable.

Je m'arrête là. Nous pourrons peut-être discuter de ces points de manière plus approfondie à l'occasion du rapport. En résumé, mes questions portent sur la régulation, la gestion, l'avenir et les moyens pour que les Safer restent un outil utile au service d'une politique agricole familiale.

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