Intervention de Valérie Lorbat-Desplanches

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 2 mars 2023 : 1ère réunion
Santé sexuelle et travail : quels aménagements possibles pour les femmes

Valérie Lorbat-Desplanches :

Bonjour Mesdames. Je vous remercie pour cette invitation à discuter de l'endométriose. On parle certes de plus en plus de cette maladie, mais le sujet de l'endométriose au travail est encore trop peu abordé. 10 % de la population féminine, probablement plus, est touchée par cette maladie, qui apparaît souvent à l'âge des premières règles. On évoque souvent les douleurs des règles, mais les symptômes peuvent se manifester en dehors de cette période. Elles peuvent être quotidiennes. On parle aussi de dyspareunie, des douleurs lors des rapports sexuels, mais aussi de troubles de la fertilité. En effet, l'endométriose reste la première cause d'infertilité féminine. On en parle moins, mais s'y ajoutent également des douleurs digestives, urinaires, lombaires, dans les jambes... En clair, elles s'étendent bien au-delà de la région pelvi-périnéale.

Lorsqu'on parle de forme sévère, en matière médicale, on traite des formes d'endométriose profonde, soit 15 à 20 % des cas, qui nécessitent souvent des actes chirurgicaux. En réalité, on devrait associer les formes sévères aux symptômes et à la qualité de vie des femmes ainsi qu'à l'intensité des douleurs qu'elles provoquent. Une sociologue, Alice Romerio, a interrogé des femmes et a évalué à près de 30 % la part de celles présentant une forme sévère de la maladie, du moins dans leur vécu.

En matière de prise en charge, on traite enfin de plus en plus les douleurs. La première intention est souvent un traitement hormonal qui vise à une aménorrhée pour arrêter les règles et ainsi stopper l'évolution de la maladie, dans la plupart des cas, ainsi que les douleurs. S'y ajoutent évidemment les antalgiques et les anti-inflammatoires non stéroïdiens. De façon générale, parce qu'on dit qu'il y a autant d'endométrioses qu'il y a de femmes atteintes de cette maladie, une prise en charge multidisciplinaire doit être adaptée à chaque cas. De plus en plus, on fait appel à d'autres médecines complémentaires, selon les atteintes : gastro-entérologie, urologie, kinésithérapie, ostéopathie, une approche alimentaire ou encore de la gym douce. Il est en effet important de remettre les femmes en mouvement pour éviter les douleurs. Ainsi, la prise en charge est complexe et doit être étudiée au cas par cas.

La chirurgie, quant à elle, est réservée à un petit nombre de cas. Elle est de moins en moins indiquée, uniquement dans des cas où on ne peut pas faire autrement. La recherche, hélas, n'a pas encore trouvé de traitement curatif. Si la maladie a été identifiée dès 1860, nous n'en connaissons pas encore bien les mécanismes. Aucune cible thérapeutique n'a été identifiée. On manque cruellement de recherche fondamentale sur la maladie. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons créé la Fondation pour la recherche sur l'endométriose.

Quand on parle des conséquences de l'endométriose sur le travail, on imagine assez bien la douleur pendant et au-delà des règles, qui peut s'installer et devenir chronique. L'étude d'Alice Romerio montre qu'elle peut être très intense au niveau pelvi-périnéal pour 86 % des femmes. Les problèmes urinaires peuvent toucher 32 % des femmes, les problèmes digestifs, 70 %, les douleurs lombaires, 66 %, et dans les jambes, chez 45 % des femmes atteintes. L'endométriose est souvent associée à d'autres maladies, telles que la fibromyalgie ou certaines maladies auto-immunes. Ainsi, le paysage est complexe et les conséquences sont importantes.

On imagine bien que les douleurs ne sont pas sans conséquences pour les femmes atteintes dans le cadre du travail, notamment s'agissant de leur capacité à rester debout, voire assises, ou à garder une position. Elles peuvent également avoir à se rendre fréquemment aux toilettes. Elles n'ont pas nécessairement envie de partager ces symptômes, mais c'est malheureusement leur quotidien. C'est très handicapant dans le cadre du travail.

On parle de la douleur, mais moins de la fatigue chronique qu'occasionne la maladie. Une récente étude publiée au Canada montre que les femmes se déclarant atteintes d'endométriose disent s'absenter pendant 17 % de leur temps de travail. Elles rapportent une diminution de leur capacité de travail de 41 % et une baisse de productivité au travail de plus de 46 %. Ce chiffre monte à 63 % chez les femmes entre 30 et 40 ans, tranche d'âge où elles sont le plus productives et en pleine évolution de carrière. Au final, près d'une femme sur deux indique avoir été entravée dans sa carrière par les conséquences de l'endométriose. Je mentionnerai également les parcours de procréation médicalement assistée (PMA), puisque l'endométriose peut engendrer un problème de fertilité dans certains cas, ce qui peut être problématique dans le cadre du travail.

Nous disposons de très peu de données, notamment en France, concernant les arrêts de travail liés à l'endométriose. Je n'ai, pour ma part, pas trouvé de chiffres. C'est l'une des raisons pour lesquelles la Fondation pour la recherche sur l'endométriose a décidé de mener des enquêtes dans les entreprises. Nous savons, grâce à d'autres pays ayant réalisé des études, que la perte de temps de travail liée à l'endométriose est estimée à onze heures par femme et par semaine. Cette perte de travail englobe l'absentéisme mais aussi le présentéisme. Je parlais plus tôt de fatigue chronique. Les femmes viennent travailler lorsqu'elles ont épuisé leurs jours d'arrêt maladie, leurs congés et RTT. Elles sont sous médicaments, elles souffrent, elles sont très fatiguées et reconnaissent elles-mêmes qu'elles ne sont pas productives. En plus, elles culpabilisent.

On considère, selon une étude publiée en Australie, que le coût général pour la société de l'endométriose et de ses conséquences, incluant les traitements, s'établit à 20 000 dollars par femme et par an, et que 84 % de ce coût est dû à la perte de productivité.

Par ailleurs, l'absentéisme lié à l'endométriose est fréquent mais pas très long, ce qui entraîne évidemment des pertes financières pour les femmes en raison des jours de carence. C'est pour cette raison, entre autres, qu'elles hésitent à s'absenter. Les associations de patientes ont milité pour l'intégration de l'endométriose au sein de la liste des trente affections de longue durée exonérantes, dite ALD 30, pour éviter ces problèmes de jour de carence. Vous devez garder à l'esprit que les femmes sont confrontées à des coûts supplémentaires non pris en charge par la Sécurité sociale, en plus de l'absentéisme. La charge financière pour les malades est donc extrêmement importante.

L'étude d'Alice Romerio, l'une des seules dont nous disposons en France, montre que 25 % des femmes atteintes d'endométriose ont renoncé à leur statut ou à leur métier pour s'adapter à leur maladie. Très souvent, elles quittent l'entreprise et s'installent comme auto-entrepreneures, se précarisent. Ainsi, au-delà de la difficulté de carrière, nous identifions un réel risque de précarisation qui n'est pas évalué aujourd'hui, bien qu'il soit extrêmement important. Une étude réalisée en Australie montre que 14 % des femmes licenciées disent l'avoir été à cause de leur maladie. J'ai moi-même reçu un témoignage extrêmement émouvant il y a quelques jours, d'une femme licenciée pendant son arrêt maladie, alors qu'elle avait annoncé à son entreprise qu'elle souffrait d'endométriose. Son parcours était épouvantable. Au moment où elle s'apprêtait à reprendre le travail, on lui a annoncé sèchement qu'elle était licenciée. Il y a donc vraiment un sujet.

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