En France ! C'est le chiffre de 14 % qui a été relevé en Australie, parce que cet élément n'est pas chiffré en France, mais ce témoignage, très récent, est français. Il m'a vraiment marquée. Cette situation n'est malheureusement pas rare. Il est par ailleurs important de souligner que ces femmes, au-delà de la précarisation, sont souvent isolées. L'endométriose conduit à un isolement dans le couple et ces femmes se retrouvent seules. Celle qui témoignait, âgée de 45 ans, m'indiquait qu'elle était contrainte de demander à ses parents de l'aider, parce qu'elle ne pouvait pas prendre en charge tous ses frais. Elle est, en outre, désormais au chômage. Je ne souhaite pas dresser un tableau noir, mais cette réalité existe, malheureusement.
Des adaptations sont évidemment possibles, encore faut-il les connaître. Dans l'étude d'Alice Romerio, 66 % des femmes interrogées indiquent avoir annoncé leur maladie dans leur entreprise, pourtant seul un quart d'entre elles ont bénéficié d'aménagements de postes. Ainsi, il ne suffit pas de le dire pour que des mesures soient prises.
Pour cela, le médecin du travail doit être engagé, mais tout ne peut pas reposer sur lui. Pour qu'il conseille et recommande des aménagements de poste, il doit être formé. Pourtant, aujourd'hui, nous observons un défaut de formation des professionnels de santé, particulièrement des médecins du travail. Plusieurs sociétés en employant nous ont d'ailleurs demandé de faire de la sensibilisation auprès de cette population, peu informée du sujet.
D'autre part, pour les femmes et pour libérer la parole, une véritable culture bienveillante dans l'entreprise est absolument nécessaire, bien qu'elle n'existe pas toujours. En général les gens se disent « mais qu'est-ce qu'elle a, celle-là ? Elle est encore absente » sans se poser de questions quant aux raisons de cette absence.
La stratégie nationale de lutte contre l'endométriose, annoncée en janvier 2022, comprend un volet lié au travail, sujet qui est réel et urgent. Il doit être appliqué.
Je ne dispose pas du nombre de femmes ayant recours au mi-temps thérapeutique - car une femme souffrant d'endométriose y a droit - tout comme je ne connais pas le nombre de reconnaissances de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). Des femmes me disent qu'elles n'ont pas envie de demander à bénéficier de ce dispositif, parce que cette notion de travailleur handicapé est stigmatisante. Elles ont le sentiment que cela va se voir, se savoir. Ce sujet reste très tabou.
Le recours au télétravail est une option, et elles y ont recours, encore faut-il qu'il soit flexible. En effet, dans certaines entreprises, il est imposé et ne correspond pas aux épisodes de douleur des femmes. Ce n'est évidemment pas la seule solution. Une vraie flexibilisation du temps et des horaires de travail peut aider les femmes.
Le congé menstruel a été approuvé en Espagne. La question de savoir s'il faut l'adopter en France est extrêmement compliquée. Personnellement, je pense qu'elle ouvre un débat assez vaste. Elle a l'avantage de lever ce tabou et de libérer la parole autour des menstruations dans l'entreprise, ce qui est à mes yeux extrêmement positif. En revanche, j'ai toujours peur d'annonces marketing. L'endométriose est une vraie pathologie. Il nous faut aller bien au-delà d'un congé menstruel. Par ailleurs, j'en parlais plus tôt, il est essentiel d'instaurer une culture de la bienveillance dans l'entreprise. Sans celle-ci, le congé menstruel risque d'être contre-productif. Ainsi, il ne peut pas être la seule mesure, même si nous devons l'envisager.
La problématique de l'endométriose est-elle aujourd'hui reconnue par les employeurs ? Selon moi, pas du tout. C'est un véritable angle mort. Je pense que les employeurs n'ont pas idée de la perte de productivité de onze heures par semaine et par femme que j'évoquais en début de propos. Ils n'en sont, je pense, absolument pas conscients. Un sondage Ipsos, récemment réalisé pour la Fondation pour la recherche sur l'endométriose, rapporte les résultats suivants : 20 % des répondants considèrent que la maladie n'est pas prise en compte dans leur entreprise, 61 % n'en savent rien car ils n'ont pas reçu d'information à ce sujet. Ainsi, je pense que l'on peut dire qu'environ 80 % des gens ne voient rien se passer dans leur entreprise. Ce sujet est aujourd'hui quasiment inexistant, d'autant plus que les femmes ne prennent pas la parole. Plus d'un tiers d'entre elles déclarent se rendre au travail malgré les douleurs handicapantes. Elles subissent une pression très forte.
Je ne connais pas, aujourd'hui, d'initiatives dans les entreprises sur l'endométriose. Je connais des entreprises demandant des sensibilisations, mais celles-ci ne sont qu'une première étape. Elles ne sont pas suffisantes. Elles ouvrent des attentes de la part des femmes atteintes de la maladie, sans leur apporter de solutions.
Certaines entreprises, telles que le Groupe M6, travaillent beaucoup sur la RQTH. Dans ce cadre, le groupe informe les salariés, notamment au mois de mars, et fait savoir aux femmes qui souffrent d'endométriose qu'elles peuvent bénéficier d'une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. Il met en place un supplément de soutien de la mutuelle, des remboursements de frais de taxi en cas de forte douleur, des jours de congé supplémentaires. Ainsi, des mesures sont prises, mais uniquement si la personne est reconnue travailleur handicapé. De petites entreprises mettent également en place le congé menstruel, mais aucune mesure spécifique n'est mise en place.
S'agissant des recommandations pour améliorer la situation professionnelle, encore une fois, je pense que les éléments sont écrits dans le volet « endométriose et travail » de la stratégie nationale. Nous n'en voyons pas encore les applications. C'est l'urgence. Je pense, par ailleurs, que nous devons encourager les entreprises à prendre des mesures. Il était mentionné la mise en place d'un label, comme cela a été fait dans le cadre du plan Cancer et emploi. Je pense qu'il inciterait les entreprises et permettrait de reconnaître celles qui agissent. C'est important.
La Fondation pour la recherche sur l'endométriose, que je préside, a monté un projet répondant exactement aux axes de la stratégie nationale, comprenant une sensibilisation dans les entreprises, une enquête quantitative anonyme pour libérer la parole, pour que les entreprises découvrent l'ampleur du phénomène quantitativement et qualitativement : quel type de symptôme, quel impact dans le cadre du travail, et surtout, quelles solutions ? J'ai la conviction que les solutions doivent être initiées par les femmes qui souffrent. Aujourd'hui, les femmes adoptent des stratégies et utilisent les dispositifs existant dans l'entreprise. Il conviendrait de les mettre en valeur et de les généraliser pour que toutes puissent en bénéficier. Ensuite, un accompagnement des entreprises est évidemment primordial, notamment grâce au recours d'experts.
J'ai déjà évoqué la flexibilité du temps et des horaires de travail. Les femmes souffrant d'endométriose peinent souvent à démarrer le matin. Le fait de pouvoir arriver plus tard sans être pointées du doigt pourrait constituer une solution, tout comme les jours de télétravail choisis et non imposés, ou des heures d'absence rémunérées pour rendez-vous médicaux. Il existe également, et de plus en plus, des modules d'éducation thérapeutique sur l'endométriose, qui durent deux jours. Aujourd'hui, ils ne sont pas payés ou pris en charge par l'entreprise. Cela pourrait être le cas, puisqu'il s'agit finalement de formations.
Nous savons qu'il est compliqué pour les femmes d'évoluer dans les entreprises. Ainsi, des entretiens réguliers ou du mentorat pourraient être mis en place pour les accompagner dans leur parcours de carrière. À certains moments, elles devront peut-être prendre un peu de recul ou prendre un mi-temps thérapeutique, pour reprendre le cours de leur carrière lorsqu'elles iront mieux. Elles doivent être accompagnées. C'est le rôle du management, et pas uniquement du médecin du travail.
Certaines mutuelles commencent par ailleurs à mener des actions sur l'endométriose et à proposer des « packages » spécifiques. S'y ajoutent des éléments plus anecdotiques, mais néanmoins importants. À titre d'exemple, l'alimentation revêt un rôle majeur dans la composante inflammatoire de la maladie. Les femmes qui suivent un régime inflammatoire s'isolent, parce qu'elles viennent avec leur « doggy bag », et mangent seules. De telles offres ne sont en effet pas prévues dans les restaurants d'entreprise. Des actions assez simples, mais aussi éducatives, pourraient être mises en place. Nous nous apercevons qu'un ensemble de mesures pourraient être prises. Je pense même que ces critères devraient être intégrés dans les indicateurs d'égalité entre les femmes et les hommes dans les entreprises. Cette volonté doit être marquée, évidente. Il y a urgence.
Nous devons instaurer un contrat gagnant-gagnant. Nous l'avons dit, l'endométriose occasionne une réelle perte de productivité. Aujourd'hui, des femmes renoncent à leur carrière en raison de leurs symptômes. Nous avons parlé des conséquences dans le cadre du travail, mais elles se manifestent dès les études. De nombreuses jeunes filles ne peuvent pas suivre d'études supérieures à cause de la maladie. Des femmes renoncent vraiment à leurs rêves de carrière, ou ne peuvent pas adapter leur poste de travail. En effet, dans une usine, par exemple, sur une ligne de production, on ne peut pas s'asseoir. Ainsi, nous devons former les femmes pour qu'elles puissent occuper d'autres postes dans l'entreprise. Il est urgent d'intervenir maintenant. Je pense que c'est le moment et que les femmes sont prêtes. Je dirais également que les jeunes générations sont prêtes à parler de la maladie et à combattre les tabous. Elles attendent beaucoup plus des entreprises et sont beaucoup plus exigeantes. Une prise de conscience est nécessaire. Pour attirer les jeunes et les maintenir dans une entreprise, il est temps de prendre des mesures.