Merci de m'écouter ce matin sur le sujet des troubles de la fertilité, du parcours d'assistance médicale à la procréation (AMP) et de l'implication dans la vie professionnelle des femmes. Pour rappel, l'infertilité concerne 15 % des couples en âge de procréer, en vie active et professionnelle. Cette proportion ne cesse de progresser, en lien avec le recul de l'âge de la maternité que nous observons. Bien que la moitié des causes de l'infertilité soit liée à une origine masculine, le poids du traitement d'AMP repose toujours sur les femmes. Nous pouvons également évoquer les couples de femmes ou de femmes seules, car la loi les y autorise aujourd'hui pour un projet parental.
Il est difficile de généraliser une multitude de situations singulières, qui dépendent des causes de l'infertilité, de la vie professionnelle et du couple. Cependant, nous pouvons considérer qu'il existe trois problèmes majeurs quand il est question d'infertilité et de travail de la femme :
- l'exposition aux toxiques ;
- l'exposition à des rythmes de travail complexes affectant la qualité de vie, en particulier du sommeil et de l'alimentation (travail de nuit, personnels navigants...), responsables de perturbations hormonales, notamment au niveau de la mélatonine. Celles-ci peuvent entraîner des troubles du cycle et de l'ovulation, et donc une absence de possibilités de grossesse, d'une part, et des maladies cardiovasculaires, de l'obésité ou du diabète, d'autre part. Elles aussi affectent la fertilité. Les troubles du sommeil peuvent également générer une diminution significative des chances de grossesse. Une étude très récente, réalisée sur près de 8 000 femmes, montre qu'en fécondation in vitro (FIV), dans un parcours AMP déjà avancé, les chances de conception sont diminuées de 5 % pour les femmes présentant des troubles du sommeil. On parle ici de chances de grossesses à chaque tentative, qui sont de l'ordre de 30 %. Ce manque de sommeil est également responsable de dépressions aggravant la qualité de vie des femmes en parcours AMP ;
- les contraintes liées aux traitements et au parcours en AMP.
Les deux premiers points relèvent d'une adaptation du poste ou de l'environnement de travail lors de la période péri-conceptionnelle, comprenant les deux à trois mois avant les essais de conception et toute la grossesse. C'est le temps de renouvellement des spermatozoïdes comme des ovocytes. Il faut tenir compte de cette période dans l'exposition aux produits toxiques. Elle nécessite des aménagements du poste de travail, qui ne sont pas toujours possibles, et qui peuvent être stigmatisants.
Concernant les contraintes du parcours en AMP, ayez conscience de ce que cela représente pour les femmes en termes de durée et d'absences nécessaires. Ceci altère très significativement la qualité de vie en général mais aussi les relations de couple, les relations sociales et la qualité du travail.
L'étude 1 000 dreams publiée par Alice D. Domar1(*), se rapporte à une enquête quantitative internationale réalisée en ligne en début d'année 2019 sur 2 000 femmes et leurs partenaires, dont 200 couples français. Elle donne une idée de la durée du parcours d'AMP. En France, il s'étale sur 7,7 ans en moyenne, et est divisé en trois étapes :
- 3,5 ans passés en essais de conception naturelle avant le diagnostic d'infertilité. Ces échecs ne sont pas sans impact sur la santé de la femme ;
- 2 ans d'exploration et d'analyse avant le début d'un traitement AMP ;
- 2,2 ans de durée de traitement avant d'obtenir une conception, avant le temps de la maternité.
Les trois principaux freins identifiés à la réalisation d'un traitement d'AMP dans cette étude sont le coût, le temps investi et la charge émotionnelle. Le coût est présent alors même qu'une prise en charge financière totale est assurée en France. Il n'est pas uniquement financier. En effet, s'y ajoutent un coût en temps et un retentissement sur la vie.
L'AMP génère un grand nombre d'absences. En effet, il faut additionner les rendez-vous nécessaires pour réaliser le bilan de l'infertilité - une dizaine de rendez-vous - et ceux nécessaires au traitement d'AMP. Les premiers dépendent des dates du cycle et laissent donc peu de contrôle dans l'organisation de la vie personnelle et professionnelle. Ils sont souvent peu prévisibles. Les femmes doivent alors rapidement organiser leur planning pour suivre ces examens. D'autre part, ils se déroulent souvent dans des lieux différents et sont parfois difficiles d'accès, notamment en zone rurale. 12 % des femmes mettent plus de deux heures pour accéder à leur centre d'AMP. Au total, 30 % des femmes travaillent ou vivent à plus d'une heure de celui-ci.
Ce que je viens d'évoquer concerne le bilan initial. Pour chaque tentative de traitement, des rendez-vous supplémentaires devront être pris. Pour une insémination intra-utérine, première ligne de traitement en AMP, en cas d'infertilité peu sévère, trois rendez-vous sont au minimum nécessaires sur une période de sept à dix jours, déterminée au dernier moment, à l'arrivée des règles. Pour une tentative de fécondation in vitro (FIV), qui constitue l'étape suivante, une dizaine de rendez-vous sont répartis sur une quinzaine de jours, avec une intervention chirurgicale. Cette organisation est extrêmement lourde pour les femmes, en plus de la difficulté d'accès évoquée plus tôt.
Les traitements d'AMP nécessitent donc des absences très fréquentes, peu programmables, dont la durée dépend de l'accessibilité des centres, et ce pendant une longue période de temps d'une durée imprévisible. Là où le parcours s'étale en moyenne sur 7,7 ans, certains sont très courts, tandis que d'autres peuvent atteindre une quinzaine d'années. Les conséquences sont doubles : d'une part, du travail sur les traitements, d'autre part des traitements sur le travail. À ces contraintes sont associés des troubles physiques et psychologiques liés à l'infertilité, essentiellement portés par les femmes.
Les absences pour AMP, autorisées dans le cadre de la loi, ne sont pas systématiquement utilisées, d'abord parce qu'elles obligent les femmes à déclarer à leur employeur le motif de leur absence, et donc, d'une part, leur infertilité, et, d'autre part, leur projet de conception. Nous savons que ces raisons peuvent être stigmatisantes dans l'entreprise. De plus, quand la prise en charge dure longtemps, le constat d'échec est exposé sur la place publique. C'est une double peine pour ces femmes.
Les pistes de propositions visant à faciliter la vie professionnelle dans le cadre de la prise en charge en AMP sont de trois ordres. Le premier volet consiste à adapter les absences au travail liées à l'AMP dans le cadre du 100 % infertilité. Nous devons en effet adapter ce qui existe déjà dans la loi, en commençant par supprimer le motif « infertilité » pour les absences. Le motif déclaré pourrait être une simple absence liée à une pathologie chronique à 100 %, qui peut viser d'autres pathologies chroniques. Ensuite, l'accès au télétravail flexible devrait être facilité, toujours dans le cadre d'une pathologie à 100 %. Le délai de carence devrait être supprimé pour les arrêts de travail d'une journée dans ce même cadre, puisque plusieurs rendez-vous sont parfois regroupés sur une même journée. Ensuite, je rappelle que le parcours d'AMP est un parcours de couple. Les hommes souhaitent de plus en plus s'y investir, ce qui est une excellente nouvelle. Ils constituent le premier soutien pour les femmes. Aujourd'hui, la loi est inégale. Les hommes n'ont droit qu'à trois absences, alors que les femmes ont droit à un nombre plus important. Donner les mêmes possibilités aux hommes qu'aux femmes permet pourtant de mettre en place une démarche de couple et d'apporter du soutien aux conjointes, en facilitant également leur vie. En effet, certaines femmes ne conduisent pas ou c'est leur compagnon qui dispose d'un véhicule. Elles sont alors contraintes de subir de longues heures de transports pour accéder au centre AMP, alors qu'il pourrait les accompagner. Enfin, des absences programmées prolongées pourraient être envisagées dans le cadre de congés dits « infertilité » ou « FIV », par exemple, sans retentissement sur la carrière.