Intervention de Virginie Rio

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 2 mars 2023 : 1ère réunion
Santé sexuelle et travail : quels aménagements possibles pour les femmes

Virginie Rio, co-fondatrice du Collectif BAMP ! :

Bonjour à toutes. Merci de me recevoir et de me permettre de parler de ce sujet très important pour notre association, qui fête cette année ses 10 ans. Lorsque nous l'avons créée, en 2013, nous avons commencé à travailler sur l'articulation entre l'AMP et le travail. Ce point a constitué une partie importante de notre manifeste, dans lequel nous dressions des constats et émettions des propositions. En 2013, nous avons rencontré la sociologue Irène-Lucile Hertzog à Caen. Elle commençait une thèse sur l'articulation entre l'AMP et la vie professionnelle, intitulée Le travail invisible des femmes. Lorsque la loi santé a été discutée en 2015, nous avons soumis des constats et propositions aux parlementaires. Nos adhérents étaient fortement mobilisés sur ce sujet. À l'époque, les gens devaient s'arranger, poser des congés ou mentir à leur employeur, ce qui ne nous paraissait pas acceptable. Les sénateurs avaient ouvert la voie en proposant un amendement retenu dans la loi. De notre côté, nous avons pu proposer des amendements également retenus, incluant les hommes dans les autorisations d'absence pour trois rendez-vous et pour chaque protocole. En effet, la prise en charge en AMP ne fonctionne pas à 100 %, et plusieurs tentatives sont souvent nécessaires, demandant plusieurs absences sur plusieurs années, non sans conséquences sur la vie privée et professionnelle de ces personnes.

L'article 87 de la loi santé a été promulgué en janvier 2017. À partir de là, nous avons eu un grand rôle d'information, de conseil et de soutien auprès des salariés et des syndicats. En 2016, les autorisations d'absence ont été accordées à la fonction publique, ce qui a également nécessité des aménagements et un besoin d'information et de communication. Certains sujets, dont la question des temps de transport, restaient compliqués à gérer dans le quotidien des salariés. Les employeurs continuent à jouer sur le manque de clarté de ce point. Récemment encore, j'étais au téléphone avec un homme, en parcours avec sa femme, à qui l'employeur assurait que le droit du travail ne s'appliquait par pour lui. Pour autant, cette loi a constitué un vrai progrès.

Aujourd'hui encore, nous continuons à informer les personnes sur ces questions du droit du travail, notamment parce que certains employeurs le contestent. C'est très compliqué à vivre pour les salariés concernés. Le droit est là, mais en pratique, ils ne peuvent pas en bénéficier.

Nous observons sur le terrain des enjeux très complexes entre les deux sphères interconnectées que sont le travail et l'AMP et qui correspondent à des valeurs différentes. Le travail se rapporte à l'efficacité, à la performance et au rendement, tandis que le parcours d'AMP est associé à la fragilité, à l'échec et à l'incertitude. Tout cela créé des conflits et tensions gérés par les individus - on parle ici de responsabilité individuelle - ce qui cause de nombreux dégâts. De notre point de vue, un travail plus global doit porter sur la représentation sociale de l'infertilité et de l'AMP en France. Aujourd'hui, en 2023, nous avons encore une vision globalement déformée de la réalité de ce qu'impliquent la fertilité et l'infertilité ou l'AMP. De nombreux préjugés et idées reçues persistent au sujet de cette étape de vie qui consiste à essayer d'avoir des enfants dans un contexte d'infertilité. Nous le voyons dans toutes les strates de la société. L'infertilité est relativement absente des politiques publiques. Le travail récent sur les 1 000 premiers jours ne la prend d'ailleurs pas en compte. Dans les stratégies nationales de santé sexuelle, elle n'est abordée que sous un angle, celui des interdits, - « ne pas fumer, ne pas se droguer, ne pas boire » -, mais bien moins sous celui de ses aspects psychosociaux et de transformation de la société qu'elle implique.

Des évolutions ont tout de même été observées. En dix ans, j'ai vu certaines lignes bouger, mais des marges d'amélioration demeurent.

Comme l'indiquait Nathalie Massin, l'infertilité affecte de façon globale et totale la vie des personnes qui en sont touchées. Elle influe sur toutes les sphères de la vie : la sexualité, l'estime de soi, les relations à la famille ou aux amis, à la société, au travail. Elle est très difficile à vivre, parce qu'elle se vit dans le secret. Les gens s'isolent, ont honte. Le sujet est massif, envahissant, mais dans le même temps, on ne peut pas l'aborder publiquement, au risque de recevoir des retours négatifs. On nous répond par exemple que l'on devrait arrêter d'y penser, ou qu'il y a de nombreux enfants à adopter dans le monde. Les idées reçues persistent.

Nous sommes encore en difficulté, en 2023, lorsqu'on annonce au sein d'une entreprise qu'on est enceinte. C'est encore un problème. On peut subir des remarques, des pressions, être mise au placard, être harcelée moralement... C'est encore une réalité pour de nombreuses femmes en France. Imaginez, dans le cadre des représentations négatives que je viens d'évoquer sur l'infertilité, quelqu'un qui doit expliquer dans son entreprise qu'elle souhaiterait être enceinte, mais qu'elle est en parcours d'AMP. Elle est encore plus fragilisée, parce qu'elle n'a pas cette légitimité historique de la femme enceinte. Elle est en échec et va s'absenter sans certitude de temps pour suivre ces protocoles d'AMP. Le poids de cette représentation très négative est énorme.

Nous avons réalisé ou participé à plusieurs enquêtes, notamment une en 2018, qui s'intéressait au vécu et à la perception du parcours d'AMP pour les personnes engagées dans celui-ci. 63 % des répondants expliquaient qu'il avait une incidence très importante sur leur temps de travail. 59 % se disaient stressés dans le cadre de leur travail. 54 % disaient avoir retardé un changement de travail ou une demande d'augmentation, ou y avoir renoncé. En 2020, notre association a effectué une enquête auprès de plus de 1 500 personnes, appelée le projet parental à l'épreuve du parcours médical. Là aussi, un fort impact des parcours AMP sur les aspects physiques, psychiques et symboliques vis-à-vis du corps de la femme a été mis en exergue, et par rapport à toutes les questions psychosociales engendrées.

En octobre 2022, nous avons lancé un sondage rapide avec Ipsos, destiné aux seules femmes en parcours AMP. 84 % des sondées expliquaient que ce parcours avait un impact sur leur vie professionnelle ; 81 % rapportaient également un fort impact sur leur vie de couple ; 94 % disaient que le parcours était stressant, avec toutes les nuances de stress en fonction de leur personnalité, de leur emploi, de leur statut social. Dans tous les cas, l'impact de l'infertilité et de l'AMP est massif pour la vie privée, sexuelle et professionnelle des personnes concernées.

Aujourd'hui, le droit existe. Les articles L1225-16 et suivants du code du travail figurent dans tous les documents RH. Pourtant, des employeurs refusent encore de les appliquer, assurant qu'ils n'ont « pas à gérer les problèmes de procréation » de leurs employés et que ces personnes n'ont qu'à démissionner si elles souhaitent avoir du temps. Ils affirment que le droit du travail et les autorisations d'absence ne s'appliquent pas à leur situation. Ceux qui nous sollicitent sont en difficulté en la matière. Nous avons beau les rassurer en leur expliquant ce que prévoient les textes, ils continuent à douter, parce que le système « travail » est très puissant. On en est très dépendant. Ces personnes sont en situation de fragilité. Par ailleurs, dans une petite entreprise, il peut être très compliqué d'être le seul salarié face à un patron. Ces gens n'ont pas de protection. Je leur conseille souvent de se tourner vers un délégué du personnel, s'il existe, pour les soutenir, ou vers les syndicats. Nous connaissons la persistance des difficultés à être en lien avec un syndicat. Les personnes concernées se retrouvent alors bien souvent très seules et démunies.

Plus tôt, Nathalie Massin notait que des femmes et des couples n'utilisaient pas ce droit. Certains ont peur de la stigmatisation dans le cadre du travail. Nous avons élaboré un dossier expliquant le sujet dans tous ses détails, à destination de nos adhérents. Nous rappelons que l'article 9 du code civil protège la vie privée, incluant la santé. L'article 226-1 du code pénal également. Sur les aspects de protection et de préservation de la vie privée, la loi existe mais elle n'est pas respectée. On peut annoncer à son DRH qu'on enclenche un parcours AMP, et l'entendre partout dans les conversations des collègues, une semaine plus tard. Cela maintien un état de peur qui ne permet pas d'utiliser le droit de façon sereine.

Les femmes concernées doivent encore souvent faire un choix par défaut, celui de réduire leur temps de travail pour suivre les parcours AMP. Cette réduction occasionne de fait une perte de rémunération. Certaines décident de faire de l'intérim pour avoir plus de liberté, mais cet intérim les fragilise. D'autres font le choix de quitter leur travail pour arrêter de subir une pression au travail, qu'elles subissent déjà dans le cadre du parcours. Là aussi, elles sont confrontées à une perte de revenus, mais également d'épanouissement personnel vis-à-vis de leur activité professionnelle. D'autres choix sont par ailleurs imposés par le contexte professionnel : certaines sont mises à l'écart, ne se voient pas proposer d'augmentations ou de changement de poste, sont licenciées sans pouvoir prouver que ce licenciement est lié au parcours d'AMP... Cette situation n'est pas sans conséquences sur leur estime d'elles-mêmes et leur développement personnel, ainsi que sur leurs revenus et leurs projets personnels.

Nous estimons primordial d'éviter que les gens entrent en parcours AMP. Pour ce faire, il convient de renforcer l'information et la prévention sur la santé reproductive et tout ce qui la touche.

Il est également nécessaire de rendre ces parcours médicaux plus efficaces. On le disait, les rendez-vous sont nombreux, ne s'organisent pas toujours bien, le temps des examens, du protocole est long. Une réflexion doit viser à une plus grande efficacité dans le temps, mais aussi en termes de chances d'obtenir une grossesse. Pour ce faire, l'amélioration des techniques de diagnostic et de prise en charge thérapeutique, l'accès aux soins en général et sur le territoire doivent faire l'objet d'une réflexion. Se pose ici la question du trajet : 101 centres d'AMP sont répartis sur notre territoire, mais leur accès est difficile dans certaines zones. Cette question est renforcée dans les zones rurales. Beaucoup de gens vivent à plus de deux heures d'un centre d'AMP. Là où les autorisations d'absence étaient prévues pour quelques heures, pour permettre de revenir au travail après le rendez-vous, certains ont besoin d'une journée entière, voire de plusieurs jours. C'est un motif de conflit avec les employeurs, mais aussi pour la personne elle-même qui se sent en défaut. La question du temps de transport reste floue, ce qui permet à certaines grandes entreprises d'être très généreuses, mais ceux qui n'y travaillent pas - et ils sont nombreux - sont lésés dans ce contexte. Je mentionnerai également les déserts médicaux, au sein desquels l'accès aux soins est très compliqué. Les personnes vivant en outre-mer ne bénéficient pas toujours de centres d'AMP. Il y en a en Nouvelle-Calédonie et en Guadeloupe, mais d'autres territoires n'en disposent pas. Lorsqu'il y en a un, il ne réalise pas toutes les techniques, ce qui oblige certaines personnes à faire de très longs voyages jusqu'en métropole. Je vous laisse imaginer les ruptures professionnelles que cela engendre, en plus d'une perte de repères et d'un isolement pour des individus déjà fragilisés par ces parcours.

Nos propositions rejoignent ce qui a déjà été dit aujourd'hui. Il est nécessaire que la société et le monde du travail repensent la question de la considération que l'on adresse aux femmes et à leur santé, et donc celle de l'articulation entre vie professionnelle et vie personnelle.

Évidemment, n'oublions pas les hommes. La grande majorité des parcours touchent des couples hétérosexuels. Les hommes aussi sont infertiles, mais la charge mentale, cela a été dit, est encore largement portée par les femmes. Pour autant, de plus en plus d'hommes s'investissent, prennent en charge les rendez-vous, les piqûres. Une articulation entre hommes et femmes est nécessaire.

Je pense que la fertilité et l'infertilité doivent devenir des sujets de santé publique. Dans le cadre de la loi bioéthique de 2021, nous avons obtenu un plan fertilité. En février 2022, un rapport sur les causes d'infertilité a été remis à Olivier Véran. Depuis, le sujet est un peu en stand-by. Le rapport contient de nombreuses recommandations. Il n'y a certes pas de sujet sur le travail, comme c'était le cas dans le cadre de la Stratégie nationale pour la lutte contre l'endométriose de 2022, mais ce rapport devait déboucher sur une stratégie nationale fertilité-infertilité, qui aurait pu aborder la question du travail. Ce n'est pas encore le cas.

Je n'entrerai pas trop dans les détails mais nous pouvons évoquer l'amélioration des taux de réussite de l'AMP avec l'utilisation d'outils nouveaux (diagnostic génétique, analyse de la capacité des embryons à s'implanter avant un transfert, intelligence artificielle, etc.), la téléconsultation... Au niveau de l'État, il me semble urgent que les politiques publiques insufflent ce changement réel sur la question de la santé des femmes et de l'articulation avec le travail, et avec l'AMP. Sans véritable politique publique, tous les petits défauts que nous avons énoncés vont perdurer.

Je peux mentionner le respect du droit, la création de nouveaux droits, le respect du droit du travail et la mise en oeuvre, au sein des entreprises, d'une vraie sécurité de la confidentialité des informations diffusées par les personnes, la nécessité de mettre en oeuvre de grandes campagnes de communication publique sur la santé des femmes et l'AMP. Il est également essentiel de mobiliser les partenaires sociaux, entreprises et syndicats, pour que nous réfléchissions ensemble à ces situations et que nous avancions dans la même direction. Enfin, il est primordial de soutenir les associations qui réalisent un travail important sur le terrain.

S'agissant des entreprises, il est urgent de proposer formation et informations sur la fertilité, l'infertilité et l'AMP, pour que les RH, les employeurs et les salariés prennent conscience de la situation et deviennent plus accueillants et bienveillants. Une attention particulière doit être portée aux petites et moyennes entreprises. Nous devons, je pense, nous appuyer sur ce qui existe déjà. Bon nombre d'entreprises commencent à entrer dans un cercle vertueux et doivent être mises en avant. L'Observatoire de la qualité de vie au travail (OQVT) fait signer la charte de la parentalité en entreprise. Certaines s'engagent sur les aspects de désir d'enfant. Le Parental Challenge fait également signer des engagements sur ces aspects de considération de l'endométriose, du syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), de l'infertilité. Cela existe déjà. Appuyons-nous sur ces exemples vertueux.

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