Intervention de Brigitte Letombe

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 2 mars 2023 : 1ère réunion
Santé sexuelle et travail : quels aménagements possibles pour les femmes

Brigitte Letombe, gynécologue, membre du bureau du Groupe d'étude sur la ménopause et le vieillissement hormonal (GEMVI) :

Je vous parlerai aujourd'hui d'une étape tout à fait physiologique, d'une étape de la vie génitale des femmes, la dernière : la ménopause. Je suis ménopausée, comme 100 % des femmes de plus de 55 ans et 50 % de la population française, et j'ose le dire. Sans doute ai-je eu la chance de ne pas angoisser et de ne pas en souffrir parce que je suis gynécologue. Je n'ai pas eu à craindre un vieillissement intellectuel prématuré ou une entrée en dépression, ne me reconnaissant pas, sans oser en parler. C'est le cas de certaines femmes aujourd'hui. Elles ne font éventuellement pas le lien entre ces déficiences tout à fait transitoires et une carence hormonale. Surtout, on les somme de toujours rester jeunes et performantes.

On parle aujourd'hui plus facilement d'endométriose, de règles ou d'infertilité, mais le dernier des tabous féminins, c'est la ménopause. Il faut bien avouer que celle-ci, tout à fait physiologique, qui survient vers 51 ans, s'avère être une inégalité majeure entre les femmes et les hommes. Elle correspond non seulement à un arrêt de la fertilité - ce qui bien sûr peut s'avérer très douloureux pour les femmes qui n'ont pas leur compte d'enfant -, mais aussi, à la différence des hommes qui continuent à avoir une sécrétion hormonale et une sécrétion de spermatozoïdes, à un arrêt total de la sécrétion des hormones féminines que sont l'estradiol et la progestérone par les ovaires. C'est cette carence hormonale qui peut, dès la péri-ménopause, et donc avant même l'arrêt définitif des règles, avoir des répercussions. Celles-ci peuvent être très gênantes, responsables des symptômes qu'on dit climatériques très variés, dont on connaît essentiellement le signe majeur que sont les bouffées de chaleur. Ils peuvent aggraver notre santé cardiovasculaire et le risque osseux, donc le risque métabolique, de diabète, d'hypertension, d'hypercholestérolémie ou de fracture ostéoporotique.

Au XXIe siècle, en tout cas en France, on ne parle pas de sa ménopause, comme s'il était honteux pour une femme d'avoir plus de 50 ans. Mélange-t-on encore fertilité avec féminité ? Il est vrai que l'âgisme touche essentiellement les femmes. Un homme qui commence à accuser quelques rides s'avère plutôt séduisant, il a un peu de charme. Une femme au contraire, est une vieille peau avec des vapeurs. La ménopause est étonnamment encore un sujet tabou, alors qu'une femme a une espérance de vie de 85 ans, c'est-à-dire qu'elle vivra un tiers de sa vie en période ménopausique.

Quand avez-vous entendu pour la dernière fois prononcer le mot « ménopause » autour de vous ? Par votre mère, votre femme, votre soeur peut-être, mais en tout cas pas par une collègue. Elle craint, au contraire, si elle évoque sa ménopause, d'avouer non seulement son âge, mais aussi son éventuelle fragilité. Pour sortir de cette situation si délétère pour les femmes, au travail comme sur le plan personnel, familial, conjugal et social, il faut absolument informer les femmes, mais aussi les hommes. Nous devons enfin oser, tous, prononcer ce mot de ménopause.

J'appuierai mon propos par un diaporama. D'abord, il est nécessaire d'informer pour dédramatiser et préparer les femmes. Il faut nommer la ménopause pour lutter contre les moqueries, les lieux communs et la stigmatisation. Il faut préparer les femmes, leur environnement et les employeurs à cette transition physiologique qui angoisse. Elle survient souvent chez les femmes alors qu'elles sont au sommet de leur carrière. Il faut positiver pour lutter contre cette culture du secret, à la base des attitudes sexistes et de l'âgisme qui touche davantage les femmes au travail. Se sentant moins performantes, manquant de confiance en elles à cet âge, certaines femmes angoissées refusent les promotions et se tournent vers une retraite prématurée ou une reconversion.

Tous les symptômes du climatère, que sont notamment les bouffées de chaleur, auront des répercussions sur la qualité de vie globale, avec des troubles de concentration ou de la mémorisation, qui arrivent dès la péri-ménopause, avant même l'arrêt définitif des règles. Ils angoissent les femmes, qui pensent être touchées par le vieillissement, parce qu'elles ne lient pas ces symptômes à la ménopause. Nous avons également évoqué les troubles du sommeil, qui ont des répercussions majeures sur la qualité de vie et sur la compétitivité au travail, mais aussi sur l'humeur, le stress, la dépression, l'irritabilité, et la vie personnelle, conjugale et professionnelle en général.

Nous avons mené en 2013 une étude avec le GEMVI, qui met en exergue le grand nombre de symptômes et le pourcentage de femmes touchées. 94 % des femmes de 45 à 50 ans sont touchées par au moins un symptôme de la ménopause. Elles sont encore 73 % entre 61 et 65 ans. Les symptômes les plus fréquents sont les bouffées de chaleur, les sueurs nocturnes, une prise de poids, les troubles du sommeil, les changements de l'humeur, les maux de tête et migraines, les troubles de la mémoire et les troubles urinaires.

Nous savons également que la symptomatologie climatérique n'est plus prise en charge. Nous avons réalisé une nouvelle étude en 2020, sur 5 000 femmes, publiée en 2022 dans le Maturitas, journal de la société européenne de ménopause. Elle montre que 87 % des femmes sont affectées par au moins un symptôme de la ménopause et que les symptômes génito-urinaires en touchent 67 %. On parle de symptômes génito-urinaires, parce qu'évoquer la sécheresse vaginale ou les difficultés sexuelles est assez stigmatisant. Il est difficile d'en parler. On oublie par ailleurs d'y associer une symptomatologie urinaire, qui peut bien sûr avoir des répercussions sur la qualité de vie au travail.

Seuls 6 % des 5 000 femmes de 50 à 65 ans étudiées sont traitées pour une symptomatologie par un traitement hormonal de ménopause. Avant la WHI (Women's Health Initiative), une étude américaine publiée en 2002, ayant déstabilisé les professionnels et les femmes par une balance bénéfices-risques négative vis-à-vis du traitement hormonal, on traitait, en France, environ 35 % des femmes. Aujourd'hui, on n'en traite plus que 6 %, alors que la symptomatologie majeure, dont je vous ai montré les différents symptômes, touche de façon grave 25 % des femmes en péri et post ménopause immédiate. Ainsi, au moins une femme sur quatre devrait avoir accès à une thérapeutique franchement efficace. Trois femmes sur quatre présenteront des symptômes. La dernière vivra peut-être sa ménopause comme une libération des règles, de la nécessité contraceptive, mais les autres souffriront d'une symptomatologie qui sera majeure pour une femme sur quatre.

Regardez la persistance des bouffées vasomotrices, le symptôme le plus connu. Nombreuses sont les femmes qui pensent qu'elles dureront un an ou deux. De nombreuses femmes me disent en consultation que leur médecin a assuré qu'elles passeraient rapidement, que ce n'est pas si grave. C'est faux. Une étude multiethnique débutée en 1997, qui suit donc des femmes depuis très longtemps, rapporte une moyenne du temps des bouffées de chaleur de sept ans et demi. Pour certaines femmes, cette période est beaucoup plus longue. Certaines souffrent encore d'une symptomatologie vasomotrice après quinze ou vingt ans.

Nous connaissons les troubles du climatère, qui vont gêner les femmes en début de ménopause ou en péri-ménopause principalement. La symptomatologie génito-urinaire et les difficultés urinaires, la pollakiurie, les cystites à urines claires, les petits problèmes de continence peuvent toucher les femmes assez tôt. Plus tardivement, si on n'a pas pris en charge cette carence oestrogénique, certaines femmes à risques pourraient être exposées à un risque d'ostéoporose avec des fractures graves ou un risque d'athérosclérose avec des accidents cardiovasculaires. Par ailleurs, nous n'avons pas de certitude à ce sujet, mais il est vraisemblable que cette carence oestrogénique soit liée à des troubles cognitifs et des problèmes de démence ultérieure. Aujourd'hui, 500 000 femmes entrent en ménopause chaque année, et 14 millions de femmes sont concernées au total. Ainsi, nous ne pouvons pas ne pas prendre ce sujet en considération, d'autant qu'il touche 100 % des femmes.

La société nationale de ménopause, le GEMVI, dispose d'un site professionnel présentant un volet grand public. La page d'accueil de ce site présente les informations sur la balance bénéfices-risques du traitement hormonal et l'information sur l'insuffisance ovarienne prématurée (IOP). Cette ménopause, qui survient bien avant 40 ans, nécessite un traitement hormonal substitutif (THS) pour que ces femmes ne soient pas exposées aux risques cardiovasculaires, ostéoporotiques et cognitifs bien plus tôt que les autres.

Nous avons beaucoup travaillé pour essayer de rappeler l'intérêt du traitement hormonal de ménopause aux professionnels. En 2021 ont été publiées les Recommandations pour la pratique clinique (RPC) par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) et le GEMVI. Nous avons également tenté de développer l'information auprès des femmes. Au-delà de l'information des praticiens, il est en effet nécessaire d'informer les femmes sur cette symptomatologie qui peut être particulièrement variée et leur permettre d'en parler. Nous avons essayé de déployer des « ménopause cafés ». Cette expérience a été lancée en Belgique. Lors de ce « speed dating ménopause », des tables rondes réunissaient un spécialiste et une dizaine de femmes pour parler des problèmes psychologiques, de poids, cardiovasculaires ou encore ostéo-articulaires. Ces réunions, qui demandent un investissement important et la présence de professionnels, n'ont pas pu être perpétuées.

Nous nous sommes tournés vers les applications, puisqu'il n'est plus possible aujourd'hui d'informer sans les réseaux sociaux. Nous travaillons sur le contenu d'information médicale de l'application Omena, première application française dédiée à la ménopause.

Nous avons également organisé deux conférences de presse. La première s'est tenue le 18 octobre 2022 pour la Journée mondiale de la ménopause. Je suis sûre que vous ne la connaissez pas. Elle existe depuis très longtemps. Elle n'est pas valorisée en France. Chaque année, un thème spécifique est traité. Cette année, il s'agissait du fog, qui correspond au brouillard cérébral et aux troubles de concentration et de mémorisation qui surviennent en péri-ménopause et en début de ménopause. Nous essayons d'en comprendre les origines, les raisons. Sachez que ce fog est transitoire. Ne vous faites pas de soucis quant à vos capacités intellectuelles. Nous avons été aidés par le laboratoire Vichy, qui nous a permis d'écrire cette tribune d'engagement pour une meilleure prise en charge de la ménopause et pour une libération de la parole, avec un QR code. Nous y avons insisté sur la formation des professionnels concernés au-delà de leur domaine d'expertise. À nos yeux, il est important que tout professionnel de santé quel qu'il soit, médecin généraliste, dermatologue, gynécologue, cardiologue, puisse parler à une femme de son éventuelle symptomatologie ménopausique. Il faut pouvoir créer un dialogue serein à l'issue de chaque consultation, pour que chaque femme de plus de 45 ans sache à peu près ce qu'elle peut ressentir et comment le gérer. Il est essentiel de pouvoir identifier toute cette symptomatologie.

Très récemment encore, en février 2023, nous avons tenu une conférence de presse avec le manifeste All for ménopause, un collectif regroupant à la fois des professionnels de santé et des femmes de la société civile pour interpeller sur la nécessité d'information. Nous avons insisté sur le fait que tous les professionnels de santé devraient pouvoir parler de ménopause à chaque femme dans cette tranche d'âge. Nous avons également évoqué l'éventualité de créer un diplôme universitaire de patients experts dédié à la ménopause, et de créer un parcours de santé pour les femmes dès 45 ans. Il nous semble également primordial d'interpeller les dirigeants d'entreprises et de grands groupes sur le sujet de la ménopause et enfin, si possible, d'identifier et de rendre visible une représentante de la santé des femmes au gouvernement.

Un travail a déjà été publié par Maturitas sur les recommandations de la prise en charge de la ménopause et de ce que l'on pourrait faire dans l'environnement professionnel. Je vous en présente quelques lignes. Les modalités de travail ne sont pas sans répercussions sur les symptômes de la ménopause. Par exemple, parmi les symptômes figurent des douleurs articulaires marquées du fait de la carence oestrogénique. Cela peut être un problème dans les travaux physiques. La ménopause peut également altérer le travail. Pour les femmes assurant des travaux essentiellement intellectuels, la fatigabilité, les troubles de la concentration et de mémorisation peuvent bien évidemment avoir des conséquences sur leur travail. La fatigue, la perte de mémoire, les difficultés de concentration, les pertes de confiance en soi peuvent altérer la performance des travaux intellectuels. Elles peuvent bien sûr conduire certaines femmes à une perte d'estime d'elles-mêmes et, parfois, à un syndrome dépressif. Les femmes ont souvent peur de la stigmatisation et de ce silence. Or les employeurs doivent assurer la santé et la sécurité au travail, ils n'ont aucun intérêt à perdre les compétences et les talents précieux pour une symptomatologie souvent transitoire, qui doit pouvoir être exprimée, comprise, accompagnée, voire traitée. Ainsi, il est important de proposer cette écoute, cette adaptation et cette flexibilité dont on a déjà parlé. Les employeurs doivent favoriser la culture ouverte, inclusive et solidaire de l'expression des symptômes de ménopause dans tous les lieux et modèles professionnels, avec une approche positive. Surtout, aucune tolérance ne doit être acceptée face à l'intimidation, au rabaissement ou au harcèlement, tout en sachant que certaines femmes ne désireront peut-être pas en parler.

Il est essentiel de veiller à ce que les femmes puissent avoir accès à un professionnel de santé formé à cette problématique. Il est par ailleurs primordial de permettre la flexibilité des codes vestimentaires des uniformes, en utilisant des tissus thermiquement confortables, voire bien sûr la flexibilité horaire. J'ajouterai que l'on peut prévoir un contrôle de la température et une ventilation adaptée sur leur lieu de travail, ainsi qu'un accès à de l'eau fraîche et à des vestiaires et des sanitaires privatifs. En effet, d'éventuelles difficultés urinaires peuvent nécessiter un accès à des toilettes sans problème. Pour les femmes dont le rôle est axé sur le client ou orienté vers le public, il faut permettre des pauses pour gérer des symptômes vasomoteurs particulièrement intenses. Elles doivent pouvoir se retirer sans avoir à trouver toujours un prétexte.

Tout professionnel de santé devrait avoir suivi une formation requise sur la ménopause et savoir que ces symptômes climatériques peuvent affecter le bien-être et les capacités au travail. Ils devraient être au fait d'une éventuelle nécessité, parfois, d'adaptation transitoire pour éviter la mise en arrêt de travail, le chômage, voire pire : le désir de tout cesser bien avant la retraite, ce qui occasionnerait un risque de perte de revenus, de pension et de bien-être ultérieur. Nous avons pour devoir de donner les clés, de ne pas banaliser, de permettre d'orienter, d'accompagner et d'adresser à un professionnel de santé pour un éventuel traitement.

En entreprise, il me semble important d'informer les cadres, les employeurs et les employés. Surtout, une information large est nécessaire pour tous les publics, tant les femmes que les hommes. C'est pour cela que notre travail a jusqu'à présent été tourné vers la société.

Enfin, je vous rappelle qu'un rapport parlementaire a été publié en octobre 2022 en Angleterre. Il contient un certain nombre de propositions. Il donne par exemple la possibilité d'éviter des frais de prescription pour le traitement hormonal et a permis aux femmes d'avoir accès à des oestrogènes locaux directement en pharmacie, sans prescription.

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